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Dor Emile, né le 8 août 1923


R.A.D : avril à septembre 1942

Séjournant d’abord au camp de Übersheim (Rhein-Hessen), je suis ensuite acheminé avec d’autres Mosellans à Rostock dans les Heinkelwerke, où quatre sections masculines plus une, exclusivement féminine, s’activent sur les chaînes de production d’avions.

A côté des baraques dans lesquelles nous logeons (il faut savoir que les baraques des garçons entourent de part et d’autre le baraquement des demoiselles), se trouve un autre dortoir où séjournent des captives russes ; leur logis est quelque peu éloigné de nos locaux d’hébergement. Au retour de leurs douze heures de travail continu, certaines d’entre elles, sans doute pour se défouler et peut-être surtout pour narguer l’autorité nazie, dansent ostensiblement en tenue d’Ève sur les tables, dans le reflet des lampes allumées. Le strip-tease des Falbala n’est pas pour nous déplaire mais nous avons consigne d’aller leur éteindre la lumière, étant donné le couvre-feu. Mais devant ce ballet digne des mille et une nuits qui ravit à merveille nos yeux d’adolescents, nous sommes peu enclins à faire respecter rapidement les consignes d’extinction des lumières.

Je travaille dans une équipe de maçons dont la principale tâche consiste à ériger le long des deux chaînes d’assemblage des murs pare-éclats. Nous remplissons de sable les parpaings creux, le but étant évidemment de neutraliser, en cas de raid aérien, les perforations pouvant être provoquées par des éclats de bombes sur les fuselages et les autres éléments mécaniques nécessaires au montage des avions Heinkel.

Durant tout mon séjour, les bombardiers alliés ne se manifestèrent point sauf lors de mon dernier jour de présence au camp. Le ciel est hérissé de ballons captifs qui ont pour louable effet de gêner l’intrusion des aéronefs alliés, et la Flak n’est pas en reste. Au matin de notre rapatriement, alors qu’un bombardement nocturne anglais a causé des dégâts dans la ville de Weimar, nous sommes encore dépêchés en treillis pour participer, deux heures durant, aux opérations de sauvetage et de déblaiement. Soulagés de déguerpir du champ de ruines, nous prenons à 13 heures le train du retour pour le pays natal.

Je reprends mon métier de mineur à Faulquemont. Hélas l’appel sous les drapeaux allemands se confirme bien trop vite à mon goût. Avec trois autres jeunes de Dourd’hal (annexe de Saint-Avold), je dois me présenter à la conscription (Musterung). Nous nous sommes donné le mot afin de ne signer aucun papier ayant trait à notre incorporation. Premier du quatuor, j’ai le redoutable privilège d’adresser un non formel au secrétaire-cerbère chargé de mon enregistrement militaire sur les tablettes aryennes. Il rugit un flot d’imprécations à mon encontre, imité aussitôt par une nuée de gestapistes qui s’en mêlent et qui se chargent sous forme de bordées d’injures, de menaces d’intimidation et de peur à me faire entendre raison. Je ne résiste pas longtemps à leur furie verbale.

Que faire d’ailleurs d’autre sinon m’incliner ? M’esquiver en France profonde, c’est soumettre père, mère (qui mourra en 1946) et leurs cinq autres enfants au châtiment de la déportation et au séquestre de tous leurs biens.

Résigné, je pars le mardi 24 octobre 1942, au surlendemain de la fête patronale, à PoTsdam dans le Grenadier Ersatz Batalion 178. C’est un crève-cœur et un arrachement brutal lorsque je vois s’éloigner les miens à la gare de Saint-Avold.

Pour dégrossir les recrues, l’instruction dure tout le mois de novembre. Puis ordre nous est donné de préparer les sacs de paquetage et de nous aligner dans la cour de la caserne. « Alsaciens-Lorrains, sortez des rangs, à gauche toute ! »

Notre bataillon part se ressourcer en France, mais sans nous ! qui sommes alors mêlés à de placides quadra-quinquagénaires et embarqués début décembre pour l’Ukraine, avec une halte d’une huitaine de jours passée dans les secteurs de Rowno et de Dubno. Puis, c’est la descente vers la Crimée et c’est aux environs de Feodosia que prend fin le trajet en train. Je cantonne durant sept mois dans ce secteur tranquille. Des patrouilles continuelles figurent au programme. Le légendaire froid sibérien (– 30°C) marque de son empreinte givrée le rude Noël 1942 que je passe si loin des miens.


En janvier 1943, nous logeons dans un village côtier évacué par ses habitants tatars ; nous sommes chargés d’assurer la protection des côtes de la Mer Noire (Küstenschutz).

Etant le plus petit de la compagnie, je deviens l’ordonnance à tout faire de l’Ortskommandant, un rôle qui n’est pas pour me déplaire car les victuailles ne manquent pas à la table du chef. Mais le bonheur et la routine sont des qualités bien fugaces dans la Wehrmacht car me voilà obligé d’accepter une convalescence forcée de 2-3 semaines. Avec le recul, j’ai gagné au change car ma villégiature se passe dans un hôtel adossé à la falaise, avec une vue imprenable sur la Riviera criméenne, dans un lit aux draps blancs et une cure de fruits inoubliable. Mais sur le coup, lorsqu’on m’annonce mon départ forcé, je ne puis réprimer ma déception. En effet, je perds mes acquis de soldat planqué, et ce, à cause de la maladie de l’armurier qui avait été pressenti pour ce séjour de rêve. Alors, faute de candidat, le commandant a jeté son dévolu sur ma personne. Mes refus énergiques ne le font point céder. Un ordre reste un ordre !

De retour de permission que j’ai passée en juillet 1943 chez moi, je me retrouve d’abord à Yalta (Jalta).

Puis, vaille que vaille, sans vrai moyen de locomotion, je rejoins Sébastopol, ma nouvelle affectation. Notre service actif y est fort réduit : entraînements aux tirs le matin, baignade l’après-midi. Parfois, nous sommes postés sur les quais de déchargement du port pour surveiller le transbordement des marchandises opéré par des femmes-dockers russes. Habiles à manier discrètement le rasoir, elles éventrent en catimini leur sac porté sur l’épaule. Sucre et denrées diverses s’écoulent furtivement des fentes. Comme les dames s’attardent volontairement en cours de route pour faire couler leur rapine, de petites pyramides jalonnent leur lent trajet. Des compatriotes en profitent pour les récupérer. Le coin est très agréable. Les vignobles que nous dévalisons nous occasionnent de mémorables indigestions de raisin.

Mais nous voilà bientôt appelés à nous mettre en route vers l’isthme de Perekop. Une oie en train de rôtir et des marchandises achetées à la cantine (Marketenderwaren) dans la foulée atténuent la nostalgie du départ et nous ragaillardissent pour affronter la longue marche à pied. Il nous faut faire route vers le front. Les Russes revigorés depuis leur victoire à Stalingrad collent continuellement aux basques des troupes allemandes qui retraitent. Constituant une avant-garde bien clairsemée, nous voilà orientés vers la zone des combats alors que partout refluent devant nous les troupes feldgrau débandées. S’imagine-t-on, du côté des officiers, qu’avec si peu d’hommes, on puisse arrêter un torrent humain en furie ? Ou bien sommes-nous des sacrifiés d’avance pour permettre au plus grand nombre d’en réchapper ? Nous nous retranchons pour la nuit dans une prairie.

La bouteille de rhum me sert de fortifiant en ces instants d’inquiétude. Une patrouille revenant du no man’s land nous signale l’arrivée des Russes. Il nous faut reculer, et c’est alors une fuite éperdue dans la chaleur et la poussière. L’alcool que j’ingurgite en tant que boisson, faute d’eau, augmente la soif. Seul sur la rollbahn, j’erre comme une âme en peine. Il me faut bientôt franchir une voie ferrée tenue sous le feu adverse. Des camions allemands cherchant à braver la mitraille dévalent à toute allure la pente et espèrent traverser sans encombres le fichu réseau de rails. C’est l’hécatombe, les obus bien ajustés massacrent les occupants. Je m’élance à mon tour sous les sifflements et les éclatements tonitruants. Je me débarrasse de mon fourniment militaire, jette mon fusil pour alléger ma course-miracle. Je franchis l’obstacle et, à ma grande joie, je me retrouve peu après avec un nouveau fusil (trouvé dans un coin) qu’un fantassin a sans doute abandonné dans la précipitation. Esseulé dans la nuit noire et complètement désorienté, je ne sais à quelle étoile me vouer pour m’aider à tracer la route. Une main s’abat soudainement sur mon épaule. Croyant être tombé sur l’ennemi, je n’en mène pas large, mais à ma grande joie, c’est mon sergent qui me fait l’immense plaisir des retrouvailles et qui, en guise de bienvenue, m’offre une nouvelle bouteille… de rhum que nous savourons dans la carcasse d’un camion.

Et toujours à pied, nous rallions Cherson.

40 à 50 000 de nos fantassins s’impatientent dans la ville tandis que le génie est en train de jeter un pont pour passer sur l’autre rive du Dniepr. Le canon russe tonne au loin. Dans la foule vert-de-gris, je perds de vue le sous-officier. Ereinté, je me dirige vers une maison. Je tire de sa couche un honorable vieillard. A la guerre comme à la guerre ! et je m’endors totalement épuisé. Réveillé en sursaut, je crains de me retrouver seul mais je constate avec soulagement que beaucoup de Landser continuent à attendre leur tour pour traverser le fleuve.

Assoiffé comme une éponge sèche, je cours sus à la Feldküche et sous les injures du cuistot, je remplis ma gourde de thé … au rhum. Décidément ! aux yeux de la Wehrmacht cet alcool de canne à sucre semble être devenu le carburant fétiche pour son troupier.

Vers 22-23 heures, c’est enfin le passage du Dniepr et le salut vers l’autre berge. Les emplacements de nos différentes compagnies y sont signalés. Les camarades n’en croient pas leurs yeux en me voyant arriver. « On te croyait perdu ! » D’autres compagnons d’infortune n’ont pas eu ma chance, deux Mosellans de la compagnie ont été pris par les Russes, me précise-t-on. La bonne vieille organisation prussienne reprend ses droits et nous voilà avec quelques gars et une mitrailleuse, à devoir nous établir à l’arrière du fleuve. C’est une contrée marécageuse ; trois ou quatre bras de rivière nous séparent du Dniepr. Le coin ne nous inspire pas confiance. Soudain, des bruits de rame provenant d’une roselière m’alertent. Ma rafale rappelle aux intrus notre vigilance. « Iddi souda ! Viens ici ! »

Une barque remplie de pêcheurs bien inquiets pointe son nez. Nous les délestons de leur sac de tabac.

A côté de notre 6ème compagnie stationne une Strafkompanie chargée elle aussi de surveiller les parages. Nous sommes établis dans une tête-de-pont et créchons dans une hutte de pêcheurs.

Les patrouilles alternent avec les périodes de repos, le froid s’intensifie (je me vois attribuer la E. K II le 3 décembre 1943).

C’est l’épaisseur de la glace qui déterminera à quel moment opportun il semblera judicieux à notre commandement de lancer ses patrouilles sur le fleuve gelé ; l’eau vive se laisse progressivement vitrifier.

En attendant la formation de la glace capable de nous supporter, nous sillonnons les berges dans des canots pneumatiques. Mais gare à l’imprudent qui prendrait un bain glacé, car les plaques translucides qui se forment sont d’insidieux pièges sur lesquels il n’est pas bon de prendre pied.

Ma section est composée de vieux soldats, la moitié d’entre elle comporte des blessés et des éclopés. Il n’y a aucun sous-officier qui nous dirige. « Emil, schnell, maintenant que tu es Gefreiter (caporal), tu vas partir le premier en reconnaissance. En tant que jeune célibataire, tu n’as rien à perdre mais nous si, avec nos familles et nos enfants ! » Drôle de camaraderie. J’essaye de temps en temps d’esquiver ces continuelles contraintes, et un soir à l’heure de la vadrouille classique qui doit m’incomber, c’est un Kumpel (copain) de Berlin, un dénommé Seeman, qui prend ma place. Il ne rentrera pas de son expédition nocturne. S’aventurant en groupe sur la couche incertaine de glace, nos gars sont pris à partie par une patrouille ennemie. La glace se rompt, des blessés tombent, il faut refluer sous les tirs. Seeman ramasse les fusils abandonnés par les blessés, mais patatras, il sombre dans les eaux glaciales, emporté par le poids des armes. En évoquant sa disparition, je ne peux m’empêcher de penser aux exactions qu’il a commises à l’égard des Juifs. Non content de briser leurs vitrines dans les rues de la capitale du Reich lors des pogroms, il poussait le nez de certains dans la merde. Le Judenhass (haine du Juif) proféré par le régime nazi déteignait sur la population. La justice divine a-t-elle sévi à son encontre en l’engloutissant dans les flots revanchards ?

Les Russes sont maintenant au contact. Comble de malchance, c’est à notre section qu’incombent les patrouilles des prochaines 72 heures. Au 2ème soir, je tiens mon poste, côté sud. L’adversaire avance dans les hautes herbes aquatiques. Notre point de résistance est hérissé de barbelés et de chevaux de frise. L’ennemi tire, nous répliquons. Et puis c’est la ruée sauvage vers notre ligne. Ma mitrailleuse lourde décime des rangs entiers mais malheur ! l’arme s’enraye et se grippe à cause du sable omniprésent. Je me précipite sur une mitraillette russe qui traîne fortuitement par là pour matraquer les sections irréductibles qui avancent toujours. Notre feu nourri ne semble guère impressionner les malheureux. Finalement, ce sont nos grenades à main, ultime parade défensive, qui viennent à bout de leur intrépidité ; les rescapés ennemis reculent.

Un peu plus tard, c’est le dispositif nord qui subit l’offensive suivante. Et comme là-bas nourriture et munitions s’épuisent et déstabilisent de ce fait la force de réplique de la troupe concernée, nous ne pouvons pas tenir plus longtemps notre propre ligne de résistance. Alors pendant que les nôtres refluent vers le fleuve, l’officier me désigne avec un soldat roumain pour tenir le Russe à distance. Collant à la compagnie, nous retraitons lentement, lâchant nos rafales dans le lointain. La rive est proche.

Sacrébleu ! voilà nos canots à moteur qui s’éloignent et nous oublient ! Que faire ? Je découvre par bonheur une barque et à coups de crosses de fusil en guise de rames, nous pagayons à deux pour rallier la rive sécurisante.


Le dégel se déclare peu après. Il nous faut alors attaquer l’adversaire avec nos Sturmboote (canots d’assaut). Pour ce faire, nous avançons progressivement et à pas de loup avec les bateaux d’une île à l’autre (il faut parfois les traîner sur la terre ferme avant de pouvoir évoluer sur le fleuve) ; c’est une opération discrète qui a pour but de surprendre l’ennemi là où il ne nous attend pas.

Notre artillerie participe à l’assaut, les Russes s’esquivent sauf deux des leurs qui restent bloqués dans un fortin. L’un des prisonniers refuse obstinément de nous suivre, le récalcitrant est mitraillé sur place. Le second est emmené à des fins d’interrogatoire. Son propos est laconique : venu tout frais de l’arrière, il ne connaît pas les forces dont dispose l’état-major rouge. Le malheureux captif culbute peu après sous les rafales. Vae victis ! J’ai un très vif sentiment de révolte envers cet acte très lâche. Pour justifier son exécution que je condamne de vive voix, le chef du peloton me signale les actes de cruauté de l’adversaire qui ne fait aucun cadeau aux soldats allemands !

Durant la nuit noire, je dois retourner au P.C. de la compagnie. Sans repère, désorienté dans la pénombre, je tâtonne du pied pour suivre la piste. Aucune lumière ne troue les ténèbres. A un moment donné, je sens un frôlement, j’entends des bruits indistincts provoqués par une forme qui s’évanouit. « Halt, wer da ! » Après les sommations d’usage, je tire. Alertée, la section envoie une rescousse. Les lampes de poche trouent l’obscurité. Rien apparemment. De manière péremptoire et sur un ton narquois, l’officier décrète que j’ai été victime d’hallucinations. « Sie sehen weissen Maüse überall, vous voyez des souris blanches partout. »

Le lendemain, on découvre des tracts disséminés dans tout le secteur, la présence ennemie était donc bien réelle.

Puis, nous avons consigne de rallier Melitopol. L’arrière-garde, composée d’un sous-officier, d’un infirmier, de mon beau-frère et de moi-même, part à la recherche d’une charrette destinée à convoyer des blessés. En cours de route, il nous faut freiner les ardeurs des gars d’en face. Malgré leur pression, et après de longues recherches effectuées sous la canonnade, nous dénichons enfin une carriole.

A un moment donné, notre lieutenant et le sergent s’interrogent sur l’identité des silhouettes qui se découpent au loin et qui se rapprochent. Ce sont les nôtres, pensent-ils, d’autant plus que le crépuscule qui tombe estompe les formes ombrées. La troupe s’engage sur la piste et déborde sur la prairie attenante. Je suis sur le qui-vive, leur allure et surtout leurs effets vestimentaires ne m’inspirent pas confiance. Soudain, alors que leur tête de groupe n’est plus qu’à 20 mètres de notre position, les gradés s’aperçoivent de leur méprise et un « Halt » adressé aux assaillants fait parler la poudre. Je suis posté dans le fossé mais tirer à cet instant équivaudrait à descendre mes propres compagnons. Les balles traçantes ennemies trouent l’obscurité. Le départ lumineux de leurs tirs me permet alors de cibler mes rafales et de balayer l’espace devant moi. Les rafales de l’adversaire reprennent de plus belle. Mon arme s’enraye, j’en change rapidement le canon pour riposter. Les rebelles décrochent.


Il nous faut reculer chaque nuit. Au loin sur l’horizon de petites formes humaines calquent leurs pas vengeurs sur les nôtres. Chaque soir, notre compagnie reflue vers 21 heures. Et c’est l’arrière-garde dans laquelle je me trouve qui fait au cours de la nuit un bruit d’enfer pour simuler une présence forte dans nos lignes. Puis nous courons à perdre haleine pour retrouver au matin de nouvelles positions hâtivement creusées. C’est une retraite en accordéon, on en oublie l’envie de dormir !

Un jour, à 500 mètres de la HKL (Hauptkampflinie = ligne principale du front), notre major, venu à bord de son engin chenillé, nous surprend en train de roupiller du sommeil du juste.

« Je devrais tous vous fusiller pour faute grave et négligence mortelle devant l’ennemi ! » hurle-t-il.

Le fait de nous morigéner nous laisse de marbre, nous nous écroulons abrutis de fatigue, qu’importe la sanction !

(Fatigué à l’extrême, mon copain, Hubert Geissler de Bitche, s’est ainsi retrouvé coupé de nos lignes. Il a atterri à Tambow, non sans avoir encaissé lors de sa capture une mémorable série de coups de bêche qui l’ont bien estourbi). Les Russes alignent des tireurs d’élite qui s’intéressent avant tout à nos mitrailleurs, ces décimeurs de première catégorie.

Je prends des éclats dans l’épaule droite. Peu après, on nous ordonne de mener une contre-attaque, nous sommes six-sept gars. Je tire à la Leuchtpistole (lance-lucioles). Un gars devant moi encaisse une balle dans la tête, le sang qui gicle l’aveugle. Je le ramène à l’arrière des lignes où il est dirigé vers un poste de secours.

Notre nouvelle position s’affirme être une vraie ligne d’arrêt ; c’est un Panzergraben de 6 mètres de long sur 4 mètres de large sur lequel se concentrent les vagues d’assaut adverses. Les Russes tentent de le submerger ; des Do-Werfer (lance-roquettes) lancent le feu du ciel et les obus massacrent à la pelle les hommes établis dans les tranchées : le sang y coule comme dans un ruisseau.

En ces instants critiques, un gros éclat d’acier fuse et percute mon avant-bras. Un Heimatschuss ! pensé-je, hélas, c’est une simple éraflure sur la peau parce que ma montre et l’étoffe du manteau ont amorti son intrusion.

Nous campons fermement sur cette position. Un de nos tireurs d’élite en profite pour y déquiller son 22ème fantassin adverse ; tous ces infortunés viennent comme à la parade s’offrir en sacrifice aux balles mortelles. Quant à moi, j’y tiens un poste de mitrailleur.


Lors de mon tour de garde, un de mes voisins s’écroule, troué comme une passoire. Il gémit et bientôt d’ultimes soubresauts annoncent son trépas. J’ai pris, en même temps que lui, des éclats dans la main et au bras gauches ; une balle m’a éraflé superficiellement la peau de mon dos. Je file vers le poste de secours, heureux en mon for intérieur, d’avoir hérité d’une plausible balle de rapatriement.

L’adjudant du bataillon indique aux blessés de le suivre jusqu’à Nikolaïev. Là-bas, le médecin débordé ne peut traiter tout le monde. Toujours à pied, je traverse la ville réduite en feu et en flammes. Embarqués dans une charrette, nous sommes dirigés vers un aérodrome.

Les blessés capables de se tenir debout ou de s’asseoir sont hissés dans un Ju 52 : direction la Pologne.

En cours de vol, des trous d’air nous précipitent la tête au plafond de la carlingue. Deux ou trois jours après, un petit avion me débarque dans un Lazarett établi à Fürstenwalde près de Berlin. Je m’inquiète de ma petite blessure, car quiconque fuit ses responsabilités au cours d’un combat risque le peloton d’exécution. On ne voit rien sinon une main enflée que le Stabsarzt a vite opérée en cisaillant les chairs pour en extraire l’éclat.

Je traîne quatre semaines à l’hôpital puis je profite de mes congés de convalescence que je passe dans une caserne des Sudètes (décoré du Verwundeten Abzeichen in schwarz le 19 avril 1944, médaille des blessés).

Pour la petite histoire, j’apprendrai après guerre, que mon frère y a également séjourné et que par extraordinaire, il s’est retrouvé quasiment sur les mêmes théâtres d’opération mais à des intervalles de temps décalés aux miens.

Je bénéficie d’une permission (Urlaub), j’en profite pour la rallonger de 52 heures, prétextant aux Kettenhunden chargés des contrôles dans les gares que j’ai dû aider mon père à la rentrée du foin, mes trois frères étant tous dans la Wehrmacht. Cela n’augure rien de bon à voir les mines renfrognées des gendarmes. J’ai l’impression, à mon retour dans l’unité, que les murs de la caserne vont s’écrouler lorsque je prétexte que mon retard est lié à la fenaison. Plein d’aplomb, j’affirme que c’est le Ortsbauernführer qui m’a réquisitionné à cet effet. Le lieutenant ne l’entend pas de cette oreille et me réclame l’adresse du responsable local pour vérifier mes dires.


Je me précipite dans ma chambrée pour rédiger un courrier explicite à ma mère où je lui développe les ennuis qui m’attendent si je n’arrive pas à convaincre l’autorité militaire de ma bonne foi. Elle file voir le responsable agricole pour qu’il argumente en ma faveur, ce qu’il fera pour mon plus grand bonheur. Son courrier bienveillant ne me vaudra que trois jours de geschärftes Arrest (arrêts de rigueur).

Je suis versé dans une nouvelle Stammkompanie basée en Haute-Silésie (Grenadier Regiment 667). Je passe chez un dentiste à la station de Lamsdorf où l’on me moule un dentier, c’est une opération qui nécessite plusieurs empreintes dentaires. L’oisiveté n’existant pas dans la Wehrmacht, on remarque mes performances de Nemrod au cours d’exercices d’entretien de tirs, et l’on me fait passer un stage de tireur d’élite qui se termine en novembre 1944. Je suis affecté dans le Volksgrenadier Regiment 587. Puis, per pedes, nous rallions notre nouvelle destination située dans les boucles de la Vistule (Weichsel Bogen). Deux jours auparavant, lors de la montée au front, notre colonne a été surprise par deux chasseurs-bombardiers Stormovik au moment de la distribution du repas. L’attitude incompréhensible de notre lieutenant néophyte qui nous hurle de ne pas bouger, c’est une attitude incompréhensible qui met en appétit nos rapaces ailés. L’œil dans son viseur, l’un des pilotes pique sur le groupe pétrifié avant que ce dernier ne réagisse et ne s’enfuie dans toutes les directions. Je me colle au sol avant de me planquer dans un trou pour éviter le feu meurtrier des mitrailleuses de bord. De nombreux corps gisent hachés au milieu de la nourriture éparpillée, des bouteillons éclatés et des charrettes pulvérisées. La cible était trop tentante pour les chasseurs soviétiques chargés d’appuyer leurs unités au sol.

Les temps sont durs pour ces jeunes aspirants inexpérimentés qui reçoivent leur baptême-de-feu de façon bien imprévue. Face au danger omniprésent, ces Junker sont à mille lieues de la réalité. Les enseignements théoriques prodigués durant leur rapide cursus les déconcertent car, ici, ils découvrent sur le tas le vrai visage de la guerre. Mais forts de leurs prérogatives de commandement, ils prennent des risques inconsidérés et font souvent payer le prix mortel à leurs hommes.

En décembre, un froid vif s’installe sur les hauteurs bordant le fleuve. Le brouillard dense persiste parfois jusqu’à midi sur les rives et gêne notre visibilité. Nous créchons dans des trous d’homme ; avec la tête sortie précautionneusement et rapidement au-dessus du parapet de terre nous vérifions les alentours. Les Russes établis à 200 mètres en face de nous ont creusé à la hâte leur abri, et par négligence ou nonchalance, le haut de leur taille dépasse de la tranchée sommaire. Nous pourrions aligner les cartons mais entre ennemis, nous avons institué un pacte de non-agression et nous nous saluons à chaque aube naissante.

Cependant un matin, un brusque changement d’attitude s’opère lorsqu’un énergumène ennemi ne trouve pas mieux que de m’adresser des rafales de bienvenue qui sifflent bien dangereusement à mes oreilles et sur les copains tout heureux d’échapper aux balles mortelles.

Le code de bonne conduite est rompu, et sur un ordre immédiat, j’ajuste à mon tour mon fusil à lunettes….

Début janvier 1945, notre compagnie reçoit comme consigne de contre-attaquer chaque tentative d’infiltration. Notre secteur fourmille de Russes impatients d’en découdre et de nous déborder.

Vers la mi-janvier, la grande offensive éclate avec les feux d’artifice des katiouchkas, les fameuses orgues-de-Staline suivies de la pétarade des tanks et des hourrés de l’infanterie russe.

Dans la vallée, les troupes allemandes tentent héroïquement de stopper la furia russe qui effectue des brèches dans nos dispositifs, les déborde et ne se laisse plus fixer par des combats menés de front. Ordre est donné de reculer. Je fais maintenant partie de l’arrière-garde (Nachhut) : nous courons en tirant dans tous les sens dans le but de feinter l’ennemi qui hésite à s’engager alors que les unités de la Wehrmacht refluent de partout.

Je retrouve peu après la compagnie postée au-dessus d’une colline au moment où sa ligne de défense longtemps héroïque s’écroule et à travers laquelle s’élancent nos amis, les Rouges.

Des kommandos allemands contre-attaquent sous la mitraille adverse. Pour échapper aux tirs de barrage, je me réfugie à l’abri des véhicules, tout en courant à la même allure que les engins mobiles qui encaissent les salves.

Je constate à un moment que mon pied dévisse, qu’il est mouillé et gluant. Je suis blessé, il est 4 heures du matin en ce 16 janvier 1945. La douleur devient vive, le médecin débordé ne peut pas m’aider. Le mal est intolérable et un infirmier me refile quatre pilules anti-névralgiques. Le Kommandeur du bataillon m’aperçoit, constate mon cas et hèle un véhicule qui m’emmène chez un chirurgien qui opère dans un hangar à foin. Il me déchire la botte, mais au vu de la bouillie coagulée qui enveloppe la blessure, il me fait un simple bandage et me conseille de refluer vers l’arrière.

On m’installe en haut d’un camion encombré de matériel. Il fait un froid de canard, la piste enneigée luit comme un miroir. Dans le ciel dégagé, les avions à l’étoile rouge exécutent comme à l’exercice les colonnes automobiles sans défense. Non, en aucune manière, je tiens à rester sur mon perchoir. Je marche par monts et vaux, je retrouve bientôt mon lieutenant qui, au vu de la gravité de la blessure restée sans soins, m’engueule en beauté. Il m’installe sur une couche, me refait le bandage et me dit qu’il reviendra me chercher après un repos réparateur. Il embarque mon fusil à lunettes, mon poignard à dents crantées prétextant qu’ils seront désormais bien plus utiles à d’autres défenseurs.

Ragaillardi par mon repos salvateur, j’atterris dans un véhicule sanitaire spécialement aménagé pour assurer le transport des blessés : des litières étagées permettent d’embarquer un maximum d’éclopés. Puis, un autobus nous convoie vers l’arrière sous les grondements inquiétants des T 34 qui ne feraient qu’un pâté d’alouettes de notre infirmerie-sur-roues s’ils pouvaient prolonger les tirs sur leur proie. Pourvu que notre car ne s’embourbe pas, cela ferait un beau carton pour les tankistes lancés à nos trousses.

Finalement, un véhicule frappé de la Croix-Rouge nous intercepte et j’atterris à Zwickau dans un hôpital situé dans les collines et non dans l’établissement hospitalier du centre ville, lequel reçoit, peu après ma venue, la visite meurtrière des bombardiers U.S. qui anéantissent la structure.

Une odeur de putréfaction se dégage de mon bandage qui a pris une couleur noir pourpre. Un sœur-infirmière me prépare un bain aseptisé, nettoie la blessure. La chair boursouflée a commencé à ressouder les moignons des orteils arrachés. Avec une tenaille, le praticien coupe les lambeaux des trois doigts de pied mutilés (seuls me restent le gros et petit orteils, les médians pourris ont disparu sous le scalpel). Les blessés sont allongés à la chaîne et le brave homme de l’art opère au fur et à mesure, sans discontinuer.

Au Lazarett de Krimitschau où je me rétablis progressivement, je me mets au service de l’infirmière qui me gratifie de sa ration pour mon aide appréciée. C’est là que je rencontre un Alsacien de 18 ans dont le calvaire mérite d’être conté. A peine arrivé au front, il prend un éclat d’obus dans la jambe. Face à la mitraille qui siffle de partout et gênerait le brancardage, son officier lui recommande de rester sur place, les secours interviendront plus tard, lui promet-il. La nuit, une patrouille ennemie s’approche, le découvre, lui vide son sac, rafle ses cigarettes et lui en allume une, celle du… condamné ! Un Russe lui décoche une rafale, il prend neuf balles dans le corps, cependant aucun organe vital n’est touché. Et ce n’est que trois jours après, lors d’une contre-attaque qu’on le découvrira plus mort que vif !

Les Américains approchent. Les Soviétiques vont-ils les prendre de vitesse ? La captivité pointe.

Les Boys, fusil sur le bras, investissent l’hôpital et placent deux sentinelles aux entrée et sortie.

Au culot, je demande dans un anglais approximatif à l’un des G.I.’s : « You speak french ? » Il me ramène un de ses compatriotes maîtrisant parfaitement la langue de Voltaire. D’un abord bien sympathique, le Franglais m’offre d’emblée deux paquets de cigarettes. Durant une quinzaine, je reçois des rations U.S. à gogo.


Puis brusquement, c’est un changement de décor radical. On nous embarque sur une semi-remorque vers un nouveau camp de regroupement. Nous sommes casés à 130 PoW (prisoners of war) par plate-forme. Notre chauffeur noir joue les Manuel Fangio. Dans un virage, par suite d’une embardée, une ridelle s’ouvre qui précipite une demi-douzaine de malheureux sur la route où ils sont happés par le GMC (camion) qui nous suit. Nous atterrissons à Ingelheim en Sarre dans un Lager où cantonnent apparemment 100 000 captifs. Comment subsister dans cette fourmilière humaine où chacun se bouscule pour hériter de miettes ?

A la recherche de compatriotes, je pars en goguette, m’arrêtant devant des groupes, soucieux de les entendre s’exprimer. Car ici se côtoient toutes les nations des belligérants. Je n’ai qu’une hâte, c’est de pouvoir entendre parler le français.

Je fais connaissance d’un jeune gars de la ville de L’Hôpital, incorporé dans la Luftwaffe. Perdu dans la masse et inexpérimenté, ce dernier ne me quitte plus d’une semelle.


Nous découvrons un drapeau bleu blanc rouge qui flotte au vent. Il devient vite signe de ralliement car, de tous côtés, affluent maintenant des Français qui se rassemblent sous leur bannière tricolore et essayent de s’organiser. La vie est rude ; nous nous enterrons dans des trous de renard. Faute de tentes, c’est le seul abri individuel dont nous pouvons disposer et ce calvaire va durer trois mois.

Une nuit, une pluie diluvienne noie le camp, les pauvres hères s’agglutinent pour ne pas être emportés par la coulée de boue.

Les Amiss’ (surnom donné aux Américains) nous refilent des boîtes de conserves, du thé, de la poudre de café. Mais qu’en faire sans eau ? Les brins de thé nous servent à rouler des cigarettes !

La roulante est accaparée par de fieffés prisonniers allemands, nous sommes à la portion congrue.

Le cimetière commence à se remplir de dépouilles. J’hérite d’une angine qui me rend patraque.

A Chalon-sur-Saône, habillés cette fois avec des treillis américains, on nous applaudit à tout rompre.Peu après, la Military Police appelle les Français, nous fait aligner en colonnes bien ordonnées et nous conduit d’un ton sans réplique à la gare ; à nous voir, on dirait une colonne de forçats qui auraient commis les pires crimes ! On nous jette notre ration dans le wagon, soi-disant suffisante pour trois jours de voyage ; en deux heures tout est mangé. En gare de Thionville, des parents avertis de la présence de leurs rejetons dans le convoi sont refoulés et ne peuvent leur faire parvenir aucun colis. En cours de route, des insultes fusent sur notre passage, on nous jette des pierres, même des traverses. Certains font mine de nous couper le cou.

Incorrigibles et versatiles Français !

Photo : rocker_projectors_katyusha_near_viborg_leningrad_front 1944.jpg

http://www.lescommunistes.net/-bolchevisme/images/rocker_projec.

 

www.rheinwiesenlager.de/zustaende. wikipedia


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