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« Incorporé le 13 janvier 1943 dans la 8ème Panzer Armee, j’ai servi dans les saillants de Vitebsk et dans l’arc d’Orel (Orelbogen).

Durant le recul de l’armée allemande en juillet, nous n’avions pratiquement plus aucun répit. Les Russes nous suivaient et nous attaquaient de toutes parts, par air et par terre. Nous étions mitraillés par les avions et bombardés par leur artillerie lourde, y compris par les orgues-de-Staline très meurtrières.

A Orel même, j’ai subi le combat du corps-à-corps ainsi que l’attaque massive de blindés T.34 qui balayaient et écrasaient tout sur leur passage, les tankistes essayant surtout de combler les tranchées dans lesquelles nous étions. Ces combats sauvages généraient des coupes sombres dans nos rangs : beaucoup de mes compagnons d’infortune gisaient morts, gravement blessés et affreusement mutilés sur les champs de bataille.

Je fus tout particulièrement traumatisé et horrifié quand les brancardiers ramenèrent au poste de secours un de mes anciens collègues de jeunesse, tout ensanglanté et à peine reconnaissable. Il s’agissait de Sester Charles de Pfastatt, affecté dans un autre groupe et qui avait eu les deux pieds et l’avant-bras gauche mutilés.

Le 12 août 1943, pendant les durs combats à Karatchew, je m’évadai de l’armée allemande et je me cachai en attendant l’arrivée des Russes. Sachant que ces derniers seraient de toute façon vainqueurs, pourquoi me battre ? Mais les Allemands ayant contre-attaqué, l’attente pour m’évader fut plus longue que prévue et je ne pus me rendre à l’ennemi que le 15 août au matin. Je précise que nous étions trois Alsaciens dans notre groupe, dont un certain Hagenbach Pierre de Luenschwiller que nous avons perdu pendant les combats.

Au moment de mon évasion, j’étais accompagné de mon camarade Bauer Marcel de Carspach. Après qu’une première section commandée par un sous-officier russe nous eut jeté par terre, elle nous vola tout ce que nous avions sur nous, y compris le Soldbuch et nos bottes. Sur ces entrefaites, arriva une autre unité commandée par un commissaire, écumant de bave comme un chien enragé. En nous voyant, il cria : « Fritz, Fritz kaputt ». A bout portant, il vida son chargeur sur nous. Par miracle et ayant senti venir le danger, je m’étais jeté à terre, avec un dixième de seconde plus rapide que ses balles. Couché sur le ventre, retenant mon souffle, je fis le mort. Je fus ainsi épargné d’une exécution certaine tandis que mon pauvre copain Bauer, criblé de balles, rendait son dernier souffle.

Les marches forcées étaient toujours très effrayantes car nous dûmes avancer durant plusieurs jours pieds nus, sans nourriture, à part un morceau de pain dur et un peu d’eau, quand nous avions la chance de trouver en cours de route un puits (installation très rare en Russie). Alors un attroupement se formait, provoquant une vraie pagaille qui angoissait les gardes. Il nous arrivait souvent de boire dans des flaques boueuses. Pour laper sans danger de tir l’eau des ornières, chacun voulait se mettre au milieu du troupeau afin de se sentir le plus en sécurité. Les Russes sans pitié descendaient à coups de fusil qui bon leur semblait et surtout les traînards, c’est-à-dire, ceux qui étaient à bout de forces. Quant aux coups de pieds et de crosses de fusil, il vaut mieux ne pas en parler car chacun a eu sa part. Un jour où nous devions repartir pour une longue marche, alors que j’étais toujours pieds nus, j’ai vu par hasard dans un ravin une paire de chaussures, à demi cachées dans l’herbe. Je suis sorti du rang et en voulant les ramasser, j’ai eu en main les deux pieds d’un cadavre russe. J’ai été horrifié par ma découverte et lorsqu’il m’arrive d’y penser encore aujourd’hui, j’éprouve toujours une intense émotion rétrospective, très affligeante. Après un passage par le camp de Tula, je rejoignis le camp 188.

Le 24 décembre 1943, alors que j’étais au lazaret n° 3, avec de la fièvre et de l’eau dans les jambes jusqu’au ventre, je fus évacué avec une vingtaine d’autres malades sur l’hôpital de Tambow-ville.

Le transport fut particulièrement éprouvant et inhumain. Avec 30 à 35 degrés en-dessous de zéro, on nous mit sur un camion découvert, sans aucune bâche de protection, ni même une couverture pour nous protéger du froid qui nous transperçait. C’est dans cet état que nous fûmes cahotés sur des sentiers sans fin. Arrivés à destination, notre calvaire était loin d’être terminé. En effet, en débarquant à l’hôpital de Tambow-ville vers les deux heures de l’après-midi, nous avons malheureusement dû constater avec horreur qu’un de nos compagnons avait déjà succombé en cours de route. Quant à nous autres, nous fûmes transférés dans une pièce d’environ huit mètres sur quatre. C’était une chambre glaciale, sans aucune trace de chauffage. Etant catalogués comme grands malades, les Russes nous obligèrent cependant à nous mettre complètement à poil, sans nous fournir d’autre explication. Deux des Soviets ramassèrent nos frocs et disparurent. Nus, grelottant de froid et pleurant, nous nous serrions les uns contre les autres afin de nous réchauffer mutuellement. Nous étions affamés et transis de froid dans cette antichambre de la mort. Nos tortionnaires nous laissèrent dans le plus simple appareil durant ces quelque trois heures qui nous parurent interminables. Ce n’est que vers les cinq heures du soir qu’une porte s’ouvrit enfin. Un Soviet entra et nous fit comprendre que nous allions prendre un bain, mais que chacun devait y passer individuellement. Bien que nous entendions un clapotement d’eau dans la pièce voisine, aucun d’entre nous ne pouvait deviner comment s’était passé le bain de son prédécesseur. Quand mon tour se présenta, je compris vite que le fol espoir entrevu grâce à la perspective d’un bain réparateur et à l’amélioration supposée de nos conditions, n’était qu’aléatoire. A peine passé le seuil de la porte, je fus aspergé par un seau d’eau glacée !

Après ce bain forcé historique, je dus monter au deuxième étage, dans une grande salle d’environ quarante mètres sur quinze où tout était verglacé, vu que là non plus, il n’y avait pas de chauffage. A trois, avec une seule couverture, nous nous installâmes sur une seule et même couchette. Le lendemain 25 décembre, jour de Noël 1943, ce fut le déclenchement de nouvelles maladies personnelles, en l’occurrence l’herpès cornéen et plus tard, une congestion pulmonaire avec l’apparition de douleurs thoraciques suivies de crises d’étouffement et de forts bourdonnements d’oreilles. A l’hôpital, je vois encore cet Allemand malade et affaibli. Devenu à moitié cinglé, il avait ramassé peu de temps avant sa mort ses propres excréments, les avait portés à sa bouche. En les mangeant, il disait : « Das ist gute Marmelade ». Il est décédé deux heures plus tard.

L’hôpital en question était situé dans une caserne russe dépourvue de tout personnel soignant qualifié et de médicaments. Dans mes rêves actuels, il m’arrive souvent de revoir la doctoresse russe, laquelle à chaque fois que je présentais mes jambes enflées par l’eau et mes pieds nus, s’enquérait de ma nationalité. Apprenant que j’étais Français, elle criait : « Franzouski, dawaï, rabota ! vite ! travaille ! » et elle me jetait dehors.

Vers septembre 1944, il fallut évacuer les lieux pour laisser la place à l’armée ; nous fûmes transférés sur Kirsanow, où j’ai été souvent pris de contractions thoraciques avec un sentiment d’étouffement ; j’ai souffert aussi de vertiges, de ballonnements et de crises d’anxiété.

Eprouvant pour moi fut le Waldkommando. Malade, avec de l’eau dans les jambes et les pieds entourés de chiffons, je devais marcher cinq à six kilomètres jusqu’à pied d’œuvre dans la forêt. Pendant le trajet, étant donné que je n’en pouvais plus, les gardes russes m’obligeaient de courir sans arrêt de l’un à l’autre. Arrivé hors d’haleine devant l’un des gardiens, ce dernier me donnait, soit des coups de crosse de fusil, soit des coups de pied aux fesses pour filer chez la sentinelle voisine. Le retour au camp était tout aussi pénible, car nous devions ramener du bois pour le camp des officiers et la boulangerie. Nos gardes, me sachant très affaibli, faisaient exprès de me charger avec les plus lourdes branches : il me fallait tenir et souffrir ainsi jusqu’au camp. Après ces rudes journées de labeur, on ne disposait d’aucune autre nourriture que le morceau de pain reçu le matin.

 

Effrayante, l’anecdote suivante : une nuit, vers la fin avril 1945 ou au début mai, alors que commençait la fonte des neiges, la porte de notre baraque s’ouvrit brutalement. Quelques gardes entrèrent avec des lampes à pétrole et choisirent une dizaine de bonshommes dont je fis partie. Dehors, les Soviets armèrent chacun d’entre nous d’une barre à mine, avec laquelle il nous fallut entrer dans la morgue pour détacher les cadavres empilés jusque sous la toiture. Les macchabées formaient une masse compacte soudée suite à leur congélation due au froid. Nous détachâmes les corps tant bien que mal, mais ils furent souvent réduits en morceaux faute de pouvoir les dégager individuellement. Il fallut charger pêle-mêle les corps démembrés sur des traîneaux. Le macabre transport se dirigea vers la forêt de Rada où les dépouilles furent jetées dans des charniers. Pendant cette lugubre besogne de thanato-soutiers et cette nuit d’horreur inoubliable, je dus vomir plus d’une fois. L’équipe qui a contribué à ce funeste travail était à ce moment-là logée en quarantaine, dans le lazaret n° 7. A ce jour, je me sens encore mal rien qu’en y pensant. Je suis rentré en octobre 1945. »

Rossberger Alfred, né en 1922.


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