« Appelé dans un Gebirgsjäger Regiment qui évoluait en Tchécoslovaquie, je partis au mois d’avril 1943 dans le Caucase. Je me rappellerai chaque jour de ma vie la grande bataille de Krimskaïa dans la tête-de-pont du Kouban qui dura jour et nuit du 26 au 30 mai 1943. J’y ai perdu presque tous mes camarades. La terre était labourée par les obus ; les cadavres gisaient par milliers, déchirés par les éclats. Des chars brûlaient par centaines, les blessés gémissaient. Au milieu du déchaînement ininterrompu des orgues, la peur de mourir ne me quittait pas. Pendant mes rêves actuels, je revois souvent les bombardements intenses de l’artillerie adverse qui duraient souvent des journées entières sans s’arrêter ; je crois encore sentir l’âcre puanteur de la poudre qui nous asphyxiait surtout quand le temps était calme. La fumée dense, étalée en nappe grasse, venait se déposer dans nos tranchées et nous noircissait la figure tandis que des chars russes tournaient avec leurs chenilles sur les abris, en une valse mortelle comme pour mieux en écraser les occupants. J’ai été blessé trois fois par des éclats d’obus aux genoux, aux jambes et dans le dos.

Le 19 mars 1944, j’ai été fait prisonnier à Cheremetka, en Ukraine. En avril, dans un des premiers camps de captifs où j’ai été enfermé, j’ai vu des prisonniers de guerre roumains qui cuisaient et mangeaient de la viande humaine ! Au mois de mai, alors que notre transport de prisonniers était stationné en gare de Koursk, voilà que des soldats russes forcèrent notre sentinelle à leur ouvrir notre wagon. Féroces, ils sentaient la vodka. Avec des bâtons, ils martyrisèrent tous les occupants, en tuèrent quelques-uns en leur défonçant le crâne. J’ai alors vu des captifs hongrois qui perdaient leurs intestins tellement ils avaient été bastonnés : le sang coulait de partout. Les morts restèrent à nos côtés pendant plusieurs jours. J’ai connu les camps de Saslaw et de Ousman.

Au cours d’une nuit en janvier 1945, dans le camp de Tambow, je passai devant la baraque n° 22 classée comme chacun le sait en dépositoire-rebut. J’entendis des gémissements à l’intérieur. Avec un camarade belge qui était infirmier au lazaret, je rentrai alors dans cette baraque. Nous trouvâmes un cadavre qui bougeait. Le Belge me dit que certains infirmiers, trop pressés pour expédier les corps souillés et infectés, encore tièdes, hors des baraques d’hébergement, essayaient ainsi de faire de la place et d’éviter les épidémies. Le mort-vivant fut de nouveau transporté au lazaret où il mourut définitivement quelques heures après.

Aux mois de février et de mars 1945, je fis partie du commando-des-glaces. Durant toute la journée, nous dûmes casser et extraire des blocs de glace d’un étang et les transporter au camp de l’Armée Rouge, et cela sans ravitaillement en nourriture. Groupés en une trentaine de maîtres-glaciers début février, nous étions tombés fin mars à cinq rescapés du groupe initial !

J’ai également travaillé dans un kolkhoze, à l’écluse et à la fabrication de tuiles en bois.

 

Rapatrié en France le 26 août 1945, je pesais encore 42 kg. »

Schutz André, né en 1923

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