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« Incorporé dans l’infanterie le 29 mars 1944, et après une formation passée dans les casernes de Pologne, je me retrouvai sur le front de Varsovie, début novembre 1944. J’ai participé en dernier lieu aux combats du côté de Thorn.

Pendant notre retraite, vers la mi-janvier 1945, alors que les Russes nous poursuivaient depuis Varsovie, nous étions devenus semblables à un immense troupeau de gueux, fuyant dans une monstrueuse pagaille, harcelés par les tirs de canons adverses. L’aviation de chasse évoluant en rase-mottes nous mitraillait comme des lapins. Que de morts ! Mais ce que je n’oublierai jamais, ce fut ce soldat décapité par une balle explosive ! Spectacle horrible. Comme dans un film, je revois cette scène avec mes yeux et l’imagination d’un gamin de 18 ans. Durant cette déroute indescriptible, j’ai eu la chance de grimper sur un chariot entre deux attaques aériennes. Un convoi de civils était bloqué sur le bord de la route, nous le dépassâmes. L’attitude d’une femme me bouleversa singulièrement. En effet, elle levait ses deux mains vers le ciel en une prière muette, en nous prenant peut-être à témoins de sa profonde souffrance car ses mains étaient entièrement gelées. Même aujourd’hui, cette vision reste présente à mon esprit.

J’ai été capturé par les Russes le 23 janvier 1945, lors d’un encerclement. Comment oublier ces longues journées glaciales lors de nos marches forcées, vers une étape ou un camp ? Ne parlons pas du manque de nourriture. Même lorsque des civils polonais, pris de pitié à l’égard des pauvres prisonniers que nous étions, nous offraient de l’eau, nos gardiens projetaient souvent, par un coup de pied rageur, le récipient hors de notre portée.

Mais ce qui restera gravé dans ma mémoire, c’est cette élimination systématique de tout prisonnier ne pouvant plus suivre la colonne, expédié ad patres par une rafale de mitraillette dans les reins. Et comble de l’horreur, nous n’avions quelquefois plus d’autre solution que d’enjamber ces pauvres victimes, pour continuer notre route. Lorsque nous croisions des femmes-soldates menant des chariots vers l’avant, leurs insultes étaient accompagnées de coups de fouet appuyés : je me rappellerai toute ma vie les sifflements de leurs lanières zébrant nos échines ! J’ai connu les camps de Vitebsk et de Smolensk. En juin 1945, un camarade d’infortune me proposa une poignée de pommes de terre contre mon manteau, troc que j’acceptai. J’avais si faim ! Un copain, témoin de cet échange, me dit : « Mais tu es fou, sans manteau cet hiver, tu vas crever ! » Je lui répondis : « Mon cher, avec ou sans manteau je ne passerai pas l’hiver dans les conditions actuelles ! Nous ne pourrons séjourner en Russie que comme cadavres, compte tenu de notre misérable situation ! » et cette issue fatale qui m’attendait, j’étais persuadé qu’elle serait inéluctable. Oui, comment s’en sortir alors qu’on souffrait de dysenterie et qu’on devait attendre patiemment son tour pour aller aux latrines ? Oui, comment s’en tirer alors qu’on perdait son sang dans des douleurs atroces, sans aucune hygiène prévue pour enrayer la maladie ? Oui, comment espérer en la vie alors que les malheureux dysentériques attendaient une main charitable pour être secourus ? Voir le ramassage des morts, être confronté à la vermine dans les baraques semi-enterrées, être torturé par la faim qui nous a rabaissés au rang de bêtes et être poursuivi par les cauchemars que cette situation morbide entraînait, tout cela n’était pas pour nous réjouir le cœur broyé par l’épreuve. Oui, je pense à ces morts inutiles restés pour rien en Russie. Je pense à cette faim qui nous torturait, qui nous rapetissait au niveau de l’animal, je pense à toutes les souffrances que nous avons endurées. Jamais nous ne pourrons oublier. J’ai été rapatrié le 12 septembre 1945.

 

J’ai quitté l’Alsace depuis 38 ans (questionnaire rendu le 24 juillet 1988) et on ne parle pas de ces "choses" avec les gens de l’Intérieur : ils ne comprendraient pas. »

Zenatti Henri, né en 1926

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