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Muller Joseph né le 18.11 .1923 
 
R.A.D.
 
Dans le cadre du service du travail obligatoire au Reich, je me suis retrouvé, au début d’avril 1942, impliqué du jour au lendemain dans les horreurs des bombardements alliés. Ma formation que j’espérais avenante me plongea au contraire dans la dure réalité de la guerre. J’étais affecté dans la Terror Angriff Einsatz 
et notre commando devait, à chaque dévastation aérienne placée par les Alliés sous le signe de la terreur, sortir des décombres les victimes calcinées ou gisant atrocement mutilées sous des tonnes de gravats fumants. Mainz (Mayence) et Wiesbaden ont ainsi brûlé plus de huit jours avant qu’on ne puisse maîtriser les sinistres incendies. Dure existence ! Je n’ai même pas eu l’autorisation d’assister aux obsèques de feue ma mère. Fin septembre, nous avons été libérés de nos six mois de pénitence. Durant ma rémission d’un mois de congé précédant mon incorporation dans la Wehrmacht, j’avais décidé dans un premier temps de me cacher ; mais bientôt, par déférence filiale envers mon père, je partis a contrario. En fait, nous fûmes rudement convoyés par une escouade irascible lors de notre transfert par camion à la caserne de Trèves, moi-même ayant dépassé le délai imparti de l’enrôlement du fait de ma valse-hésitation pour m’y soustraire. 
 
Trèves 

 Ce fut une formation militaire à la dure. Nous rechignions aux tâches dévolues en traînant les pieds. Chaque soir, pour avoir volontairement manqué les cibles lors des séances de tir, le gradé nous imposait durant des heures le lever-baisser de nos fusils respectifs. Nous devions durant cet exercice à ritournelles dire haut et fort : «Wir haben den Staat um soviel Patronen gestohlen ! Nous avons grugé l’État avec tant de cartouches. » Les nouvelles recrues furent bientôt ventilées dans deux escadrons différents : l’Infanterie Geschütz et la Kavallerie. J’atterris dans ce dernier régiment où je me rendis vite compte que la vie de palefrenier n’était pas de tout repos. Les chevaux étaient le dada de notre officier de service qui était en plus, comment dire, très à cheval sur le règlement. Brosser et bouchonner les bêtes, sortir le crottin, faire briller les mors, les rênes et la selle : eh bien, toutes ces activités étaient faites au triple galop avec le sergent sur les talons. Début décembre, nous voilà envoyés à Darmstadt, centre de tri, d’où s’éparpillèrent immédiatement les recrues ventilées vers leurs différentes affectations : Norvège, Italie, Yougoslavie, Nord Abschnitt.... Quant à moi, j’arrivai mi-décembre à Nevel dans la 12ème Division d’infanterie commandée par le général Lützow. Le capitaine Kruse qui dirigeait notre compagnie, la 6ème Kompanie du Régiment de grenadiers n° 48, nous expédia d’entrée en première ligne. La 12 ème division d’infanterie était à chaque coup dur, appelée en renfort pour briser l’attaque ennemie, colmater les brèches et redonner du mordant aux troupes en place. 
  
Chaque nuit, nous étions de sortie pour déposer des mines, aller fouiner chez l’adversaire et si possible lui prendre quelques sentinelles imprudentes. Nos rondes périlleuses s’effectuaient à genoux, avec des ruses de Sioux, le nez au ras des pâquerettes. À Nevel, je fus blessé une première fois par l’éclat d’un obus de mortier : un bandage sommaire calma la douleur. Ensuite, je réchappai par miracle avec ma section à un encerclement russe. Nous étions confinés sur un piton rocheux (Steinhöhe) considéré comme un avant-poste stratégique d’où l’on supervisait admirablement les lignes russes distantes de 150 mètres, creusées à l’orée des bois. Notre mamelon était labouré de tranchées peu profondes d’un mètre environ et dans lesquelles il fallait se coucher dans la journée pour échapper aux tirs des vigilantes sentinelles ennemies. Nous-mêmes étions cloîtrés dans un bunker enterré, chapeauté avec des troncs impressionnants le surplombant. Quelques embrasures taillées dans les parois du blockhaus en terre nous permettaient de suivre au plus près l’évolution de l’investissement russe qui nous abreuvait de projectiles. « Economisez vos munitions ! » Sous aucun prétexte, il ne fallait répondre à la provocation par des tirs intempestifs. La journée s’écoulait donc fastidieuse, sans possibilité d’allumer le poêle de campagne. Gare à la fumée prise pour cible dans ce cas par l’artillerie adverse ! Pour tuer le temps, les jeux de cartes agrémentaient ces mortelles journées et nous dormions beaucoup sur nos châlits faits de gros fagots. Chaque matin, l’un d’entre nous était chargé d’aller récupérer la tambouille à la cuisine roulante du secteur.
 

Je fus désigné un jour pour aller chercher à l’arrière l’approvisionnement tant attendu par le troupier affamé. Je portai deux énormes bassines remplies d’alimentation : du Kommissbrot, du beurre, du gruyère dur comme de l’os, un pain sec pour deux jours, de la confiture de betteraves (Rübenharz), du singe (viande), un bloc de margarine glacée (Eisblockmargarine) et de la saucisse accordéon (Zieharmonicawurst) ! Soudain, un choc violent à la tête m’assomma et je tombai sans connaissance. La nuit venue, retrouvant mes esprits, je me sauvai à l’infirmerie de campagne. On y constata qu’une balle tirée par un tireur d’élite russe m’avait perforé le casque d’acier et qu’une profonde blessure me cisaillait l’os frontal. Je fus soigné durant six semaines à l’hôpital de Vichna. Comble de malchance, aucune permission pour convalescence ne me fut concédée. Je retournai illico presto dans le pétrin. Seule satisfaction : je sus de la bouche de mes camarades retrouvés à nouveau dans le fortin que l’arbre du sniper fut haché menu par notre artillerie. Notre piton érigé en forme de dent de scie dans le dispositif adverse faillit devenir notre tombeau. Nous étions bel et bien prisonniers de l’encerclement habile des Russes, dans notre mini Alésia. De reddition, il ne fut pas question. Nous tentâmes et réussîmes la percée à l’arme blanche. 
 
Notre 12ème Division d’Infanterie se voyait gratifier, à chaque renversement de situation, d’un secteur de front où cela sentait le roussi. Puis je fus affecté à la 2ème compagnie dans la section des mitrailleuses en tant que second tireur. Ces engins de mort étaient installés en première ligne, et je puis vous affirmer que nos tirs fusaient en sarabandes mortelles sur les attaques russes. Newel, Staria-Roussia, Velikije Luki furent les villes et alentours où nous combattîmes. Notre régiment 
comprenait des bandits et des forçats condamnés pour vol, et à qui on avait proposé une réduction de peine s’ils se défonçaient sur l’adversaire. Aucun d’entre eux n’a vécu bien longtemps car ces gaillards-là étaient constamment sollicités pour les missions impossibles. Ma vie s’écoulait interminablement. Elle m’importait peu 
tant l’issue me conduisant à la mort me semblait inéluctable. Comme mes camarades, nous travaillions de guerre lasse sans protections, sans chercher à esquiver les tirs d’obus russes. Notre existence était devenue une impasse. Pourquoi endurer le froid ? Pourquoi se protéger dans nos habits frigorifiés, pourquoi ménager nos bottes de cuir dures comme de l’écorce ?
 
Réservées en extrême nécessité, nos rations de guerre étaient mangées à l’instant même, pour calmer la faim dévoreuse. Fallait-il creuser des trous ? Eh bien, comme des bêtes, nous nous échinions à la tâche et le soir venu, chacun d’entre nous était encore désigné comme sentinelle. Malgré les menaces de ces Russes coriaces n’hésitant pas dans leurs chemises blanches à tâter de l’adversaire, plus d’un tour de garde me trouva somnolent. Je savais pourtant que j’allais subir l’intraitable Conseil de guerre si l’on me surprenait endormi dans le trou. Mourir im Osten, peu m’importait alors mon existence devant ce Golgotha de souffrances ! 
Lors des affrontements contre les mastodontes blindés, nous aménagions des trous cylindriques dans lesquels chacun d’entre nous se lovait telle une larve. Nous attendions angoissés l’arrivée rageuse des T. 34 accompagnés de chars Sherman peints de l’étoile rouge. Ces derniers avaient été transbordés des navires alliés sur les quais de Mourmansk puis acheminés par trains vers le front. Pour nous donner du tonus, la vodka nous entretenait le moral et nous forgeait artificiellement du courage. Nous étions soûlés et réconfortés par ce breuvage qui nous chauffait les tripes, au point parfois de ne plus savoir ce qu’on faisait et où l’on était. Notre division, (la glorieuse n° 48 qui avait pris en son temps le fort de Douaumont, je le rappelle), était constamment sous tension et dès qu’une percée ennemie se dessinait, nous étions injectés dans le pétrin. 
 
Il y a deux façons de venir à bout des blindés, soit en profitant de l’angle mort et de la fumée environnante pour lancer une Tellermine (mine en forme d’assiette) dans les chenilles, soit de plaquer la mine magnétique à forte charge (Hohlhaftladung) sous le ventre d’acier et d’en tirer le cordon. A chacune de ces manipulations, il allait de soi qu’il fallait se ratatiner dans son trou de rat pour éviter les déflagrations. Malheur au soldat découvert ! 
 
J’ai vu plusieurs fois des T. 34 valser sur place et écrabouiller l’habitacle du camarade surpris que les tankistes ensevelissaient dans son cercueil de glaise. Le cri sauvage des fantassins russes (hourré, hourré) nous glaçait d’effroi et machinalement, avec nos armes lourdes nous fauchions des compagnies tombant par sections entières. Elles allaient de l’avant sans esprit de recul ; faisant fi du danger, elles subissaient des pertes innombrables. 
 
Nous étions au contact permanent avec les lignes ennemies et maintes fois nous avons été importunés par la musique égrenée des haut-parleurs installés avec l’aide des Flintenweiber russes. Elles venaient nous inciter à déserter. La voix répétait inlassablement : « Désertez, il ne vous sera fait aucun mal. Adhérez au comité du Freies Deutschland. Vous serez chaudement accueillis. De Gaulle recrute les soldats alsaciens et lorrains. Venez, pour vous la guerre est finie sur le front de l’Est. » Cette musique ensorcelante ne présageait rien de bon, car souvent ces dames-furies nous rendaient visite en faisant le coup de feu ou en emportant quelques sentinelles.... Le 1er janvier 1944, nous fûmes plongés dans l’enfer de Vitebsk. Pour pouvoir réduire les forces de résistance adverses, chacun d’entre nous dut transporter deux lourdes caisses de munitions dans une neige profonde, au contact immédiat des lignes russes. Il s’agissait d’avoir des munitions de rupture pour provoquer la débandade ennemie.
 
 

Le brouillard et le givre tenace estompaient nos silhouettes noires. J’avais l’onglée : mes doigts raidis par le portage m’arrachaient des hurlements de souffrance. Le 6 janvier, nous voilà parés pour l’attaque ! Toutefois les Russes se protégèrent, par anticipation, en déversant sur nous un déluge de feu. 
Leurs fameuses orgues-de-Staline à 16 tubes déchirèrent la matinée. Je plongeai vivement dans un fossé gorgé d’eau au moment où l’un des obus que j’entendis encore arriver m’atteignit dans l’échine. Ma main droite encaissa une bonne partie des éclats, mon dos ne fut pas en reste. Le sang que je perdais en abondance se figea progressivement sous la morsure du froid. Je me tenais immobile dans l’eau stagnante, les fantassins russes courant par ci par là. Un seul mouvement, j’en suis sûr, m’aurait envoyé rejoindre le bienheureux Lénine avec le salut mortel provoqué par la crosse des camarades d’en face. Le Trommelfeuer s’estompant et la 
contre-attaque allemande regagnant le terrain perdu, je fus enfin retrouvé, gelé vif. On me glissa sur un traîneau, puis je fus dirigé vers l’hôpital de campagne de Borissov où je subis trois semaines de galère.
 
J’étais devenu intransportable du fait d’une fièvre coriace qui me laissait affaibli et sans grand espoir de survie. Pour être rapatrié sanitaire, j’ai dans un réflexe habile, au milieu de mon délire, fait « chuter » le mercure de mon thermomètre. Heureuse initiative qui me permit d’être acheminé avec un autre brancardé à bord d’un Fieseler Storch (avion léger) vers l’hôpital de Koenigsberg. J’y endurai plusieurs opérations visant à rafistoler mon avant-bras difforme et mon dos ouvert aux larges blessures béantes. Je vivais un supplice lancinant dans mon carcan plâtré prolongé par une gouttière qui emprisonnait mon bras amoché afin d’en activer la cicatrisation. Peine perdue, à chaque mouvement un peu brusque, l’artère humérale envoyait mon sang gicler dans la salle. À la troisième opération, alors que je venais par ailleurs de subir plusieurs transfusions sanguines, je fus déclaré mort cliniquement parlant. Mais, sous la violence de plusieurs électrochocs assénés par l’équipe des chirurgiens sur ma cage thoracique, mon cœur reprit, je ne sais comment, ses pulsations.
 
Je revenais de loin ! Cependant je mis longtemps à remonter la pente. Les esquilles d’os provoquaient la suppuration de mes plaies dorsales et je 
traînais ainsi trois à quatre mois avant d’être hospitalisé à Wenigerode dans le Harzgebirg. Considéré comme une « gueule cassée » ayant servi magistralement le grand Reich, je cumulais les distinctions honorifiques. Je fus nommé sous-officier de réserve bardé de médailles :
 
-- Infanterie Sturm Abzeichen (insigne pouvant être porté lorsqu’on justifiait de 21 jours de combat rapproché)
-- Panzer Nah Kampfspange (barrette remise pour destruction rapprochée de chars) 
 
 

Me rétablissant péniblement en suivant une réadaptation permanente, je fus rattrapé par la guerre et fait prisonnier par les Américains le 1er mai 1945. Valides ou pas, tous les malades et blessés furent emmenés à Nauenbourg en Thuringe-Saxe : un immense camp regroupant 90 000 hommes. Les Américains 
n’étaient pas toujours commodes : ils nous distribuèrent durant quatre mois des boîtes de conserve (corned-beef ou de porc). Chaque boîte de 1 kg était attribuée à deux prisonniers et pas moyen d’avoir du pain ! Les Russes, un peu plus tard, reprirent en main notre camp, mais le menu ne s’améliora pas pour autant car les mêmes boîtes s’étaient donné le mot pour nous sustenter. Mon organisme peinait, le pus s’écoulait en masse de mes plaies. Les Russes nous relâchèrent en nous priant simplement de déguerpir. Pour rentrer au bercail, je parcourus à pied le Palatinat, m’arrêtant dans chaque ferme pour quémander du pain. Très souvent, un voile noir dû à ma faiblesse générale se dessinait devant mes yeux et malgré cela, je travaillais auprès des paysans pour mériter ma croûte. Je ne pesais plus que 45 kg (j’en avais 70 au front). La Croix-Rouge française me récupéra à la gare de Sarrebruck et me dirigea via Sarreguemines vers le centre départemental de Libération des prisonniers de guerre de Nancy le 2 juillet 1945. 
 
J’ai souffert encore durant un an de mes graves séquelles avant de parler de guérison que le Docteur Namur m’a savamment hâtée grâce à ses compétences. Je retrouvai en 1946 un poste de surveillant à la mine. Cela fait plus de 60 ans que je suis lourdement handicapé mais mon goût retrouvé pour apprécier la vie m’a fait oublier les tristes jours. Je me consacre à mes animaux d’élevage qui ne connaîtront sans doute jamais la vie de chien que j’ai menée sur le front russe. 
 

 
 

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