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Melling Albert † 
  

Notes du rédacteur (NdR) : 
 
J’ai eu la chance de trouver auprès de la famille Melling (frères et soeurs) un accueil chaleureux pour m’aider dans mes recherches. J’ai prospecté également auprès des camarades qu’il mentionnait dans ses quelque 200 lettres. Hélas, beaucoup d’amis sont morts : (Gross de Bining, Houllé Robert de Oeting etc...) . Cette sympathie que j’ai éprouvée post-mortem envers Albert Melling, je la situe à plusieurs niveaux : bien avant moi, le jeune Albert a fréquenté le collège de Bitche et l’on sent au détour de son courrier prolifique cette culture générale inculquée par les curés-professeurs du Saint-Augustin (1er prix de dessin, musique, culture générale). Sa piété, son amour filial et son destin brisé de jeune Lorrain, je les devine sans arrêt entre les lignes de son courrier. A sa mère, il va taire les horreurs de la guerre ; face à ses frères et sœurs, il s’épanchera plus facilement sur l’immense détresse du fantassin combattant sur le front de l’Est. De manière stoïque, il résumera les péripéties des combats de chaque instant.
 
La froide volonté qui l’anime sous l’aile de l’ange gardien ne le fera jamais douter de ses chances de revenir au bercail avec l’aide toute puissante de Dieu. La blessure de l’automne, certes sérieuse, est un signe du destin qui l’épargnera, il n’en doute pas. Son meilleur ami Paul Charton y laissera la peau. Le glacial hiver de 1943 le mûrit. Dans ses mémoires, il aborde succinctement le gigantesque instrument militaire russe : qualités combatives des troupes de l’Armée Rouge assez douteuses au départ mais devenant de plus en plus déterminées, équipements et moyens ennemis en hausse constante. L’adversaire sous-estimé au début de ses annotations devient progressivement une armée moderne et supérieure dans tous les compartiments. Les fantassins ennemis se rebiffent : ils entretiennent l’agressivité permanente sur toutes les lignes du front. L’Allemand au contraire se dilue pour conjurer chaque attaque. Les permissions sont supprimées. Albert confronte souvent son existence à celle qu’a subie son père lors de la guerre 1914-1918. Son père d’ailleurs gravement blessé sur le front russe en a réchappé ; le fils en fera de même, pense-t -il, et ils pourront ensemble égrener leurs douloureux souvenirs une fois la guerre finie. 
 
 
A chaque pas qu’il imprime dans la neige, le jeune Albert regrette le paradis perdu de sa douce enfance qui rayonne alors encore avec plus de nostalgie. Qu’il est loin ce temps insouciant ! (photo de la communion de sa sœur Julia et de son frère Joseph faite en 1940 à Bonnes en Charente). Les hommes sont dévorés par la vermine et les gelures sous les tempêtes hurlantes du vil hiver 1943. Les sautes de température déséquilibrent la nature : à la Schlammperiode s’intercalent des semaines glacées ponctuées de froid épouvantable qui mutile à vie. Lors des moments de dégel, la plaine devient une mer de boue. Dans le bunker ou le long de la Rollbahn, les soldats de la Wehrmacht survivent aux épreuves, mais pour combien de temps ? Le rouleau compresseur soviétique arrive et l’on sent, dans les dernières lettres, l’inquiétude perler. Non, Albert ne reviendra pas. Ses frères Joseph et Camille auront heureusement plus de chance ! Je n’ai pas cherché à m’immiscer dans la vie privée et sentimentale d’Albert, eu égard à sa pudeur et par honnêteté morale envers la famille. 
 
 

R.A.D.
 
Arbeitsmann Albert Melling Feldpost n°16 302 à la date du 31 décembre 1941 (photo avec Victor Flauss). 
 
Saarwellingen, le 16 février 1942, 
 
Chère Hélène, je viens de recevoir voilà quelques minutes ta belle carte accompagnée d’une jolie chanson que je recherchais depuis longtemps. Merci pour cette attention. Tu es en bonne santé, moi aussi. Tu m’as fait longtemps patienter et j’espère que tu penseras à m’écrire plus souvent. Ecoute, tu dois bien pouvoir disposer d’un peu de temps pour m’écrire d’autant plus qu’une carte remplit toujours de joie un soldat. De la façon dont nous passons notre service, tu n’as pas besoin que je te fasse un dessin. Nous ne serons pas encore libérés alors que nous aurions dû l’être pour cette semaine. Non, nous devons encore subir une rallonge de six semaines. C’est vraiment la poisse, ne crois-tu pas ? Je monte la garde entre minuit et 2 heures du matin. J’ai pensé à toi, endormie dans ton lit bien chaud. 
 
Relis donc le beau dicton sur la carte : 
 
Zwischen kommen und gehenEntre venir et partir 
liegt oft nur kurze Zeit se profile souvent un temps bien court 
doch dich nur zu sehen mais te revoir, toi uniquement, 
bedeutet schon Seligkeit. signifie déjà la félicité. 
 

Albert comme tous les enrôlés de force est obligé d’écrire en allemand. N’oublions pas qu’il a appris le français durant sa scolarité (école primaire puis collège). Ce n’est pas si évident de transposer en allemand ce qu’on pourrait sans doute mieux exprimer en français maîtrisé. (photo : Albert pose avec l’accordéon). 
 
Départ dans la Wehrmacht le 15. 12 . 1942 
 
« Arrivé par le train dans le beau Trèves. Je vais tout de suite vous écrire bien que je sois très fatigué pour avoir trimbalé (schleppen) la lourde valise (Koffer) durant cinq kilomètres. Marcel Bour (camarade habitant la même rue des Moulins, NdR) dort au-dessus de moi et nous sommes quatre Lorrains casés ensemble dans le dortoir (Stube) qui compte 35 hommes. Nous n’avons pas encore eu nos effets militaires (gemustert). Demain ou après-demain ? 
 
Nous ne savons pas si nous sommes en Allemagne ou en France, tout le monde s’exprime en français ici ! Les Messins et les Thionvillois sont également avec nous, nous avons âprement débattu de politique avec des soldats. (Wir haben schwer Politik getrieben mit Soldaten). Nous risquons d’être emprisonnés ! (verhaftet). Houllé Robert de Oeting est également dans notre chambrée... Ne vous en faites pas, car ça n’ira pas mieux 
pour autant, nous rentrerons bientôt de toute façon. Soyez donc salués cordialement et embrassés. » 
 
16. 12 . 1942 
 
Carte adressée à son père Herrn Melling Johann Baptist Kochern str. 65 Pfarrebersweiler (Lothringen) « Nous n’avons pas encore obtenu nos effets militaires. Peut-être demain ? Je stationne toujours à Trèves. Je vous écrirai bientôt. Voici mon adresse : Melling Albert, Alte Horn Kaserne, Trier.... » 
 
18. 12 . 1942 
 
« Nous resterons à Trèves, but assigné de notre formation militaire. Tante Mathilde et sa fille étaient déjà chez moi pour me rendre visite. Hier après-midi, nous avons enfin eu droit à une première séance d’habillage. Nous sommes revêtus d’habits modèle artillerie légère. Marcel Bour, Flauss Victor, Muller Joseph (copains de Farébersviller, NdR) sont tous ici, nous dormons dans la même salle. Ce souhait de pouvoir rester ensemble nous a réussi pour le moment. Je sais qu’à la maison c’est bien plus beau. D’ailleurs, je préfèrerais mille fois travailler à la mine plutôt que de devoir subir la vie militaire (mitmachen). Lundi, début de service. Oh ! weh. Aïe, aïe. Nous sommes tous une bande de Lorrains, tous de ma sorte, prêts à ne pas nous laisser faire.
 
Des gars de Metz, Thionville, Sarreguemines, Saint-Avold sont ici et tous parlent français. Ne vous en faites pas, nous les aurons (écrit en français). Vous pouvez m’écrire désormais pour que je sache ce qui se passe chez vous. Dommage que je ne sois pas à la maison pour Noël, Dieu l’a voulu ainsi. Nous sommes toujours en civil. Ecrivez-moi ce que je dois faire : refuser de porter l’uniforme ou accepter d’être enrôlé pour que vous ayez la paix. Les premiers Lorrains sont hélas partis, quelques-uns sont déjà au front de l’Est (Ostfront). Mais de là à savoir si nous irons là-bas aussi, c’est une question de temps (eine Frage der Zeit) car nous sommes tous bons pour le service, ils ont besoin de nous, les vaillants Lorrains. Bises et salutations à vous tous, également aux familles Wagner et Schoemer, (les épouses W. et S. étant les tantes d’Albert, NdR). 
Voici ma nouvelle adresse : Kanonier Melling Albert 1. Batt. L. Art. Ausb. Abt 34 Kemmel Kaserne Trier. » 
  
Trèves le 20. 12 . 1942 
 
Chers parents et fratrie, Je suis toujours en bonne santé. J’espère la même chose de vous. Nous sommes toujours très gais ensemble. A quoi ça sert d’être tristes, c’est ainsi (es hat ja doch keinen Zweck). Un gars de Longeville (Lubeln) discute et nous entretient le moral. Mardi il y a le serment au drapeau (Vereidigung). Nous ne voulons pas nous laisser insermenter. Zingraff de Seingbouse (condamné à 15 ans d’emprisonnement, cf. son témoignage, Ndr) est également revenu avec la Kriminalpolizei. Qu’y a t-il comme informations provenant de la maison ? Voilà 5 jours que je suis séparé de vous et que je n’ai pas de lettre m’apportant de vos nouvelles. Aujourd’hui c’est dimanche et pas de messe. Triste mais vrai. Bises à tous (également aux familles Wagner et Schoemer).» Au détour de ses premières lettres, la fronde du jeune Mosellan est assez outrancière. On peut y noter naïveté et candeur des jeunes recrues. Aux yeux des militaires il faut donc sévir. 
 
L’ardeur et la rébellion juvéniles sont vite battues en brèche. La prise en main des jeunes recrues se fera dans la «douceur», certains éléments perturbateurs sont ventilés dans d’autres casernes surtout lorsque les Messins, Thionvillois et Sarregueminois arrivent en voulant casser du «boche». On sent très vite l’emprise de la discipline toute germanique prendre le dessus. La distribution des treillis et des uniformes de sortie tirée en longueur les confine dans la caserne. Les ordres sont hurlés, les consignes sont à respecter et le tout se déroule im Laufschritt, en courant. L’instruction est subtile et poussée dans ses moindres règlements. Gare à ceux qui ne connaissent pas la nomenclature des grades ! Les informations sont données avant et après les repas au réfectoire. 
 
Même si «ventre affamé n’a point d’oreilles», celles des jeunes Lorrains sifflent sous les coups de semonce. Naïveté des jeunes recrues «Nous avons débattu de politique. On parle français. Sommes-nous bien en Allemagne ? Dans les chambrées, nous chantons des chansons suspectes ou nous les transposons avec des paroles françaises. Pendant que nous tapons la belote, un jeune Loubler (de Longeville-lès-Saint-Avold) nous fait rire et affiche ouvertement ses convictions francophiles.» Albert écrit en français : après la pluie le beau temps. On les aura. » Voici l’appel classique le soir avant l’extinction des lumières (il ne faut surtout pas se tromper quand on annonce les chiffres). Soldat X... meldet Stube Nummer 5 gereinigt. -Feuer gelöscht -20 Männer von welchen 16 in den Betten liegen – 2 sind im Gefängnis und 2 im Lazarett. Soldat X... signale que la chambre n° 5 est propre. Extinction des feux faite. 20 hommes dont 16 sont couchés au lit, 2 sont en prison et 2 à l’hôpital. 
 
Pour éviter la franche camaraderie et le copinage inutile, les jeunes Lorrains sont affectés dans des chambrées différentes. Une poigne de fer s’abat progressivement sur eux. Certains jeunes refusent le serment du drapeau. Qu’à cela ne tienne ! un ou deux jours de tôle, sans nourriture, déstabilisent les Mosellans d’autant plus qu’on les intimide : «En cas d’insoumission, vous serez la cause directe de la déportation de vos parents. Ils partiront assurer la colonisation allemande aux fins fonds de la Pologne ! Les biens de vos parents, leurs maisons seront placés sous séquestre et donnés aux Siedler*. L’octroi de la nationalité allemande est un cadeau du ciel, vous l’avez obtenue sans la mériter. Faites vos preuves pour vous en montrer dignes, imbéciles !» 
 
NdR* : Ein Siedler, c’est un ressortissant allemand installé aux lieu et place des expulsés français pour venir germaniser le pays annexé. 
 
Trèves le 24. 12 .42 
 
 
Chers parents, frères et soeurs, Je vous écris bien que je n’ai toujours pas eu votre courrier. Je suis toujours en bonne santé et j’espère la même chose pour vous. J’ai longuement hésité à vous l’écrire. Finalement nous avons dû prêter serment, nous avons traîné jusqu’au soir. On nous a enfermés durant six heures et demi dans la cellule 11, Marzel dans la 12 (in der Zelle gesessen). 

Ce que nous avons subi, je vous le raconterai entre quatre-z-yeux. Par amour pour vous, je l’ai fait parce que je ne voulais pas vous envoyer à la mort (in den Tod jagen). Plutôt moi que vous tous ! Je tiens le pouce, il n’y a rien à changer au destin. Le mieux c’est de n’être pas né.Mais Dieu l’a voulu ainsi et nous ne pouvons pas nous y opposer. Ne vous offusquez pas de mes propos.
Ce soir, en cette veille de Noël, vous êtes devant le sapin illuminé, l’enfant Jésus va naître (das Cristkind kommt) mais je ne serai pas avec vous. Comme j’apprécierais cette fête familiale ! Mais cela ne m’est pas octroyé comme d’ailleurs l’année dernière à pareille époque où j’étais au R.A.D. Le capitaine est venu nous voir et nous a demandé où était notre sapin. Un gars de Kappelkinger lui a simplement dit : 
«c’est la guerre, Herr Hauptmann. Pas de futilités ! Il faut compatir avec les soldats du front.» Ce dernier est 
resté pantois et sans réactions (platt) «mais ça ne doit pas vous empêche de fêter Noël», plaida-t -il. 
 
Chers parents, je n’ai aucune envie personnelle de fêter Noël (Weihnachten). Je suis triste, vous devez vous en douter. Je me suis fait voler mes cigarettes. Réclamez ma carte de tabac à la mairie. Si vous voulez, vous pouvez venir me les apporter ou envoyez-les moi. » 
 
Témoignage de Marcel Bour, camarade d’Albert, habitant la même rue des Moulins à Farébersviller : 
 
« Après six heures passées dans le noir, on nous a sortis des cellules et emmenés dehors. Sur la place, un parterre d’officiers supérieurs de la Wehrmacht nous attendait. Le cœur battant, étant vaguement inquiets par rapport à notre précédent refus, nous avons tenu bon en disant que nous ne voulions pas prononcer le serment au Führer en tant que Franco-Lorrains. Cependant, pour ne pas attirer des ennuis inutiles à nos parents, nous avons signé notre engagement en jurant uniquement sur l’épée (auf dem Schwert). » 
 
2. 1. 1943 
 
« Je veux vite vous écrire. Si vous apprenez que vous devez partir (fortkommen) et tout quitter, envoyez-moi un télégramme. Camille doit me ramener de l’essence pour mon briquet et le nécessaire à nettoyer les ongles. Je me fais trop remarquer avec mes griffes sales. (Ich falle zuviel auf mit meinen schmutzigen Krallen). Nous avons passé une «belle» journée : nous ressemblions à des cochons qui se seraient vautrés dans la boue et 
la vase ; ça ne nous ébranle pas (ein Seemann nicht erschüttern). Il nous faut toujours du courage dans cette guerre. Alle Räder rollen für den Sieg ! tel le dit le slogan. Toutes les roues tournent pour la victoire ! 
 
Vous n’avez pas de souci à vous faire, j’exécute le tout, sourire aux lèvres. Dis à Camille de me ramener des cintres (Kleiderhölzer), trois si possible. A propos de permission, je ne sais pas où c’en est, ça fait deux fois que j’en redemande, mais cela ne m’est jamais accordé. Ça va réussir, bon sang ! Je dois donc attendre et boire du thé ! Abwarten und Tee drinken !» 
 
Le 3. 1. 1943 
 
« Ah ! je suis au courant du cas Mayer* de Théding. Celui-là a eu de la chance de pouvoir rester 14 jours de plus. Il faut espérer que je puisse bientôt rentrer, si ce n’est pas le cas, à la grâce du ciel tant pis, um Gottesnamen. Pourquoi la guerre ? sans doute parce qu’il y a trop d’hommes en ce monde et ce qui est en grand nombre doit disparaître ! De la bonne humeur et une grande joie règnent dans notre chambrée malgré ce que 
nous endurons. Je tousse toujours, ça ne fait rien. Mardi, je me porte pâle, on verra bien. Nous faisons de l’exercice avec des canons de 1850. C’est beau et romantique mais cinq hommes sont nécessaires pour les pousser. J’ai reçu mes piqûres hier. Impossible de bouger mon bras avec leur diable de piquouzes (deiwels Einspritzungen) ! Tout va bien dans la caserne à chameaux sur la colline (Kamel Kaserne am Berge). 
 
NdR : Albert utilise un jeu de mots pour tourner en dérision la vie... de chameaux (Kamel) qu’il mène dans la caserne Kemmel (bataille meurtrière de la 1ère guerre mondiale au mont Kemmel en Belgique). 
 
*Mayer Victor fut emprisonné à Spandau, célèbre prison berlinoise. Son père déporté fut expédié à Dachau, où il mourut, NdR). 
 
 
Le 7. 1. 1943 
 
« Je vous écris quelques mots avant de m’étaler sur la paillasse (Strohsack). Victor Flauss (voir son récit) me signale des difficultés dans l’acheminement du courrier : 14 jours de retard ! Je ne sais pas ce qui se passe chez vous. Chaque soir, nous réconfortons Marcel, bien déprimé. Moi, je ne perds pas espoir (die Hoffnung nicht sinken) aussi longtemps que je vois la Terre. Ce matin, on nous a éreintés (geschliffen). Nous sommes tous très fatigués, abattus (fertig). J’ai les jambes en coton, il m’est impossible de courir. Gardons courage. Le Longevillois nous fait rire et nous fait passer agréablement le temps. 
 
Vous-mêmes devez être drôlement contrariés dans votre choix d’accepter ou non la D.V.G. (Deutsche Volks-gemeindschaft) puisque j’ai dû, d’une manière infidèle prêter serment à un nouveau pays. Je comprends que vous n’êtes pas très chauds pour devenir Allemands, faites-le car la guerre ne va pas durer une éternité, et comme disent certains, on n’est pas à plaindre car d’autres familles subissent elles aussi de dures épreuves. 
Marcel et moi sommes de corvée : nettoyage des chambres.» NdR : Les recherches entreprises à Longeville-lès-Saint-Avold ne m’ont pas permis de retrouver le joyeux drille dont parle Albert. 
 
Le 13. 1. 1943 
 
« Pardonnez mon écriture rapide car depuis dimanche je n’ai pas une minute à moi pour écrire mon courrier. Marraine, parrain et l’oncle de Dieuze m’ont écrit ces derniers jours. Je ne dispose d’aucun moment pour leur répondre. Je demande une nouvelle permission ; peut-être l’aurai-je pour dimanche en huit. Trois gars de Farschviller ont été appréhendés et sont chez nous. Maintenant le service militaire devient dur. Nous sommes toujours dans l’eau du matin six heures au soir dix heures. Malgré les pieds dans les flaques, il n’y a pas moyen de tomber malade, dommage ! L’espoir est placé chez moi au premier rang. Je suis content : «après la pluie le beau temps» (en français). 
 
Le 14. 1 . 1943 (photo prise en compagnie d’Arthur Schmitt, de Lydia, la sœur d’Albert et de sa cousine) 
 
 

« On ne peut s’opposer à la volonté de Dieu sinon nous sommes perdus. Le Créateur est le plus fort. J’ai appris que les gendarmes ont 
attrapé de bonne heure les hommes du village même ceux de 40 ans. Les recrues de Farschviller nous ont dit que les mineurs sont partis en Sarre 
travailler dans les mines et pourraient rentrer le dimanche. Après tout, cette situation ne serait pas trop pénible. Schmitt Arthur est également venu 
chez nous, nous sommes à cinq. Si l’on vous chicane (schikanieren) écrivez-moi pour que je puisse aller exposer avec force vos problèmes. 
Puisque je suis soldat allemand, ils ne peuvent plus rien vous vouloir ! J’irai immédiatement voir le chef de la batterie et là on verra ! Demain nous tirerons à balles réelles (scharfschiessen). Un don du sang est prévu l’après-midi. Bises à tous et également aux familles Wagner et Geissler de Théding. 
 
 
NdR : Les mineurs de Farébersviller qui avaient opté pour leur retour en France en août 1942 ont été emmenés à Neunkirchen en Sarre début janvier 1943. Déportés, ils partiront peu après dans les mines de Silésie et dans les Sudètes, accompagnés de leurs familles. 
 
 
Le 17. 1. 1943 
 
«Espérons que vous êtes encore chez vous. Je suis étonné de recevoir de vos nouvelles qui sont, comme je le constate, toujours encore expédiées de la maison. A Trèves, l’oncle à qui j’ai montré votre courrier était lui aussi étonné de vous savoir encore à Farébersviller. «Ça ne durera pas, et ils feront avec tes parents ce qu’ ils ont fait avec les autres. C’est arrivé à des gens de Metz. Car ils n’ont aucune retenue, même des S.A. 
sympathisants ont dû partir. J’ai enfin mangé correctement (anständig), j’ai reçu du pain et du beurre à emporter. Camille vient-il dimanche ? J’espère vous savoir encore à la maison, sinon je me sentirai abandonné. Je ne vais pas au front, donc vous n’avez pas de souci à vous faire. Je prends la vie comme Dieu me la donne. » 
 
Le 18. 1. 1943 
 
« Je crois savoir que Rosalie et Séraphine (habitantes de Farébersviller, NdR) sont parties comme déportées. Jour horrible qu’il m’est impossible à décrire, à se sauver ! c’était inhumain ce que l’on a enduré. Je souhaite au plus vite que la guerre se termine. Même si notre village ne sait pas à qui il appartient, il le saura, la guerre finie. Envoyez-moi un télégramme si vous êtes déportés. » 
 
 
NdR : La toile d’araignée nazie tissée autour de la population de Farébersviller englue dans ses fils tentaculaires les citoyens et les familles angoissées. Une fois les mineurs partis, c’est au tour de 43 familles de plier bagages vers les Sudètes et la Silésie. On maintient également la pression sur celles qui restent. 
 
 
Le 1. 2. 1943 
 
Merci pour le paquet que j’ai pu ouvrir hier soir à neuf heures. Si papa veut venir dimanche, qu’il s’épargne la montée des escaliers avec sa jambe raide, je le rejoindrai à 13 heures en bas. Nous pourrons manger au restaurant où j’étais dimanche dernier avec l’oncle, j’ai pu y déguster à nouveau une soupe grasse, avec des pommes de terre rôties auxquelles je ne suis plus habitué. Nous ne partons pas encore pour Bitche, peut-être en mars. »
 
 
NdR : Albert écrit souvent à la voix impersonnelle (si l’ on vous chicane... ils ne peuvent plus rien vous vouloir) pour ne pas s’attirer des ennuis avec le régime. Le père d’Albert a été grièvement blessé à la jambe en 1916 sur le front russe. 
 
 
Le 6. 2. 1943 
 
« J’ai un foutu mal de ventre, au point que je me suis tordu de douleur sur le plancher. Après m’être couché au lit, cela va mieux. J’ai reçu hier soir votre lettre expédiée le 4 février 1943. Hier soir nous avons pratiqué un exercice de défense aérienne avec casque et fusil (Luftschutzübung). Je me suis bien endormi après tout ça. Malheureusement, dans l’apprentissage de notre formation, nous avons vécu peu après une alerte au gaz la 
même nuit (présence de la voiture à croix bleue). Une effroyable sensation d’étouffement m’a saisi et ma tête était prête à éclater (papa doit sûrement se rappeler de cette époque oppressante qu’il a passée dans les tranchées). J’ai dû sortir en catastrophe par le soupirail, prêt à vomir. C’était une situation pire que celle où ils ont tiré avec des pois durs et nous n’en n’avions pas pour en manger ! Quelle minable plaisanterie. Il ne s’agit pas de voir la vie en noir, (nicht tief ins Loch schauen) après ce séjour ingrat. » 
 
13. 2. 1943 
 
« J’ai écrit au curé.... » 
 
16. 2 . 1943 : permission de 2 jours (NdR) :
 
Une lettre nous signale son retour par Saarburg avec une heure vingt-cinq de retard, retard confirmé et mentionné par le chef de gare pour éviter les ennuis. Visite chez le docteur (ampoules au pied ouvertes au bistouri, soigné à l’iode), il est alité trois jours (Bettruhe) pour se reposer. 
« Joséphine doit ramener le film de Camille, s’il est développé... » 
 
19. 2. 1943 
 
Carte postale représentant au verso la ville de Trèves mit Krahnen (avec des grues cendrées). 
 
22. 2. 1943 
 
« Je vous annonce mon départ pour Bitsch le 28. 2 . 1943. Le départ de Bour Marcel est envisagé vers l’Est à Vilna en Lituanie, ne le dites pas à sa maman. Je garde courage, nous restons à trois Mosellans logés dans la même chambre (un de Metz, Schissler de Farschviller et moi). Beaucoup ont pleuré car ils devaient quitter la caserne. Espérons que je ne parte pas aussi vite. Priez pour moi. » 
 
24. 2. 1943 
 
« Ça y est. Tous nos camarades sont partis, même Marcel pour Vilna. J’étais triste au point de n’avoir pas pu lui dire au revoir. Je suis convoqué à 10 heures chez le médecin. Dieu soit loué ! je ne pars pas encore ! j’aurais préféré que Marcel reste avec moi. Il n’y a rien à changer au destin. (Es ist nicht daran zu ändern.) 
 
1. 3 . 1943 (Feld Postbrief) 
 
« J’ai déménagé au rez-de-chaussée en compagnie d’un maire du Luxembourg de la classe 1911. Je vous enverrai un télégramme si je pars. J’ai écrit à Schwartz Eugène. Où est Marcel ? » 
 
17. 3. 1943 

E.L.F. (Es Lebet Frankreich, vive la France).............. Je suis à nouveau étrillé du matin au soir, rund von Morgen früh bis Abend spät. J’ai reçu un coup de téléphone de Camille qui s’est renseigné pour savoir si je suis encore là. J’ai droit à une nouvelle formation plus dure, cela me donne deux à trois mois de rémission. J’en profiterai pour faire une nouvelle demande de congé. » 
 
 
 
 
 
26. 3. 1943 
 
« Déclaré malade, je me repose au lit. J’éprouve sur mon lit de misère de la nostalgie envers ma belle Lorraine. J’espère rester longtemps ici à la caserne plutôt que de partir au front. J’ai reçu une carte de Juliette, merci mon Dieu ! Est-ce le calme à propos de votre déportation ? Ils ne vous importunent plus. Je suis de garde au piquet d’incendie (Luftschutz). Pas d’attaques d’avions depuis 14 jours, Trèves respire. 
   
28. 3 . 1943 (Feld Postbrief) 
 
La guerre ne durera pas éternellement, Albert réclame un missel et un chapelet. Il a reçu une carte de bonne fête. 
 
7. 4. 1943 
 
« Une grosse tempête sévit au point que les lumières s’éteignent. Un con (ein blöder Mensch) veut nous faire des marches épuisantes. Je l’ai propulsé dans le coin pour qu’il nous fiche la paix. Une alerte d’avion cette nuit. Si je n’ai pas de permission, je me porte pâle. » 
 
11. 4. 1943 
 
« Merci pour le paquet, je fais le gourmand avec ce qu’il y a dedans. Je confie une lettre à Matz Peter (l’oncle d’Arthur Schmitt, NdR) qui vous la remettra. Les avions nous ont survolés de 1 heure 20 à 5 heures du matin sans arrêt. La Flak (défense contre avions) a lancé des balles éclairantes. J’étais normalement de garde, j’ai resquillé et je me suis planqué dans une agréable voiture où j’ai dormi. » 
 
14. 4. 1943 
 
Cette carte de la mi-mars annonce son voyage en train à Baumholder Nabe. 8 jours à y passer, puis c’est le départ vers l’inconnu. Kanonier Melling Albert Unterstab E Block 7.17 Baumholder Nabe. Il ne m’est pas possible d’assister à la communion de Juliette. Je resterai à l’artillerie, par expérience et ouï-dire c’est mieux que l’infanterie. Albert peste contre sa classe d’âge. Il regrette la Charente. (Pays de l’Exode). 
 
17. 4. 1943 
 
« J’ai un immense espoir en Dieu. Il m’a pris sous sa protection. Chers parents, nous sommes partis sans avoir pu nous dire au revoir. » 
 
19. 4. 1943 


Une lettre succincte expédiée de Baumholder signale son départ vers le front.   
 
1. 5. 1943 
« C’est un départ long peut-être de 2000 km avec ses 8 jours de route. De la gare, nous avons encore trotté 6 km pour arriver à notre cantonnement près d’Orel. Les Russes sont sympathiques. Avec Houllé d’Oeting nous avons mangé des pommes de terre et du pain. 
Il a tué un corbeau (Kob) ; accompagné d’un oeuf, nous l’avons cuit pour le repas du soir avec les pommes de terre. J’avais faim et le volatile ne m’a pas enlevé l’appétit.
 
D’ailleurs il a été bien rôti par Houllé, c’était bon. La soupe était également succulente, puisque grasse. Qui a dit que les corbeaux sont maigres comme des chèvres, (Geissen) ? Je suis avec trois camarades (Houllé, Gross de Bining près de Bitche et Nimsgern de Oeting). Pourvu que je rentre, le reste est scheiss égal. Je fais partie d’un Sturmregiment (régiment d’assaut). Ne soyez pas tristes, nous nous reverrons. (nicht traurig... wiedersehen).» 
 
Affectation d’Albert : régiment 195, Sturmdivision 78 
 
L’ancienne division 78 est revenue exsangue des combats menés devant Moscou. De cette retraite où l’ennemi sibérien bien fourré en habits blancs lui décochera au milieu du blizzard ses coups ravageurs, elle tient le choc. Le troupier que chaque inspiration glacée oppresse se bat comme un diable ; les batailles d’été et d’hiver près de Rshew (6 mois en 1942) ont décimé la troupe ; il ne reste plus que 1500 survivants dans la 78 moribonde. 
 
Le 27.12 .1942, est donc créée la nouvelle division d’assaut - la Sturmdivision 78.
 
Son devoir futur, à travers la modernisation de sa logistique, est de servir de brise-vagues (Wellenbrecher) dans la mer rugissante russe. 
Sa force de frappe doit agir chaque fois comme un coin dans le dispositif adverse en y menant des contre-attaques puissantes et en y creusant des brèches. L’écusson du Ulmer Munster (cathédrale d’Ulm) va être remplacé par le poing-de-fer, symbole de vigueur, de solidité et de puissance, à charge pour ce dernier d’asséner à l’ennemi des contre-coups mortels. Les photos qui vont suivre ont été prises par l’abbé Friedrich, aumônier militaire de la 78 ème Sturm-division. Albert lui a servi la messe comme enfant de chœur en première ligne ! 
 
Sympathie avec les paysans russes 
 
Deux lettres datées l’une du 15 mai, l’autre du 23 mai 1943 nous le signalent autour d’Orel. 
  
Albert écrit sous une tente car les mouches, moustiques et punaises le rendent fou (photo). Il est affublé d’une moustiquaire mais les bestioles 
tenaces s’incrustent partout ; la main qui écrit est le siège en règle des Schnocken (patois francique, car en allemand on dit Schnacken = moustiques) ! « Même la fumée des cigarettes qui bleuit l’air de notre tente ne les incommode pas. Au dehors, les paysans russes profitent pour planter les pommes de terre. Ah ! je les planterais tout seul sur des hectares s’il le fallait, malgré la fatigue. Ah ! si je pouvais être chez moi, j’échangerais volontiers ma situation de soldat pour celle d’agriculteur !» La pluie s’est installée dans la contrée. Albert dort sur une litière imbibée d’eau car la 
tente filtre l’eau comme une passoire (wie ein Sieb). Finalement, à cause de l’averse continuelle, les fantassins vont dormir dans une maison. 
Tous ses habits dans le paquetage sont trempés. 
 
«Je porte le treillis d’un de mes camarades en attendant le séchage des miens.» Le Mosellan sympathise avec une famille russe et partage avec elle les repas à midi : pommes de terre à la robe des champs, beurre, sel (Pellkartoffel, Butter, Salz) sont appréciés. Il a l’air d’apprécier (fein), la mère (matriochka) lui donne des oeufs et une tasse de lait. Les gens paraissent aisés : dans notre maison, on accroche les images saintes comme chez toi, maman. » Il récupère vite (on peut supposer qu’il dort dans un lit convenable) et surtout apprécie les repas à la ferme. «Ce soir j’ai 
tellement mangé au point de devoir desserrer le pantalon ! Ah ! Ces Russes sont bien gentils. Je parle avec des signes de la main, sinon c’est ne poïne maïu (je ne comprends pas). Ce sont des archanges (Erzengel) bien 
charitables. 
 
NdR : Malo Archangelsk est effectivement le lieu de cantonnement de la 78 ème Di. Rappelons qu’il est interdit de préciser le lieu du cantonnement. On écrit im Osten, Ortsunterkunft unbekannt, (à l’Est, en un endroit inconnu). Juin 1943 : Lorsque Albert arrive dans le saillant d’Orel, la situation est calme depuis avril. Il faut dire que les Russes y ont été battus à pleine couture. Dans la nuit du 11 mars, l’un des régiments de la 78 interceptait et 
neutralisait les coups portés par deux divisions russes d’élite, dont la fameuse 70 ème NKVD, tandis que l’autre unité régimentaire allemande, risquant le tout pour le tout crânement, avait pu terrasser trois jours auparavant l’ennemi soviétique au sud de Dmitrovsk. La 78 ème va repousser systématiquement toutes les attaques de l’ennemi et elle va faire pencher la balance du bon côté durant les combats d’hiver 1943-44 en contrecarrant tous les plans offensifs de l’ennemi, NdR. 
 
Osten le 6. 6. 1943 
 
«C’est dimanche, je tiens à vous donner signe de vie. J’irai bientôt remplacer les camarades au front. Je suis stationné ici à 12 km à l’arrière. Je suis bien malheureux dans ce pays inconnu et triste parce que vous ne pourrez jamais venir me rendre visite. Je vous ai envoyé 50 R.M . Les avez-vous eus ? c’est l’argent de ma solde. Si vous envoyez un paquet, il met quatre semaines pour me parvenir ! Pensez plutôt à m’expédier des paquetons, car un paquet de 100 g va aussi vite qu’une lettre. Ah ! si vous me voyiez, je suis brûlé par le soleil et je ressemble au petit nègre de la crèche ! Si je pouvais être à sa place ! Envoyez-moi, S.V .P, des enveloppes, du papier de cigarettes et des pierres à briquet. J’ai peu à fumer au point que je réutilise les mégots (Stumpen). 
 
7. 6. 1943 
 
« Je vous ai envoyé l’autorisation pour m’expédier un colis d’un kilogramme. Le vaguemestre m’a donné 15 lettres ! Il va falloir gratter des lignes pour contenter tout le monde et donner des nouvelles à Marcel Lang, Pierre Steinmetz, au Pastor (curé). Quelle vie ! Les balles miaulent autour de la tente, parfois à 20 ou 30 cm de moi. Elles m’éclaboussent de terre. Qu’elles sifflent, après tout ça me laisse froid ! » 
 
11. 6 . 1943 Fern der Heimat (loin de la patrie) 

 

« Je pleure de joie en récupérant votre courrier. C’est le premier que je reçois à nouveau de vous depuis 5 semaines. Je pleure souvent dans cette maudite Russie (in dem verfluchten Russland). Nous allons vers l’avant. Je me suis payé 40 km à vélo dans les fondrières, vous savez c’est comme le Sumpfen (marécage) du Wiesling (un lieu-dit de Farébersviller, Ndr) mais c’est de la rigolade à côté de cet enfer vaseux ! Il faut arracher un pied après l’autre de la gadoue. Mon vélo dégoulinait de m... boueuse. C’est durant la nuit du 28 au 29 mai que j’ai parcouru cette distance. On s’enfonçait dans la gadoue jusqu’au ventre (Bauch). Grosse activité aérienne, les obus pleuvent au-dessus de nous. (Hochbetrieb in der Luft, die Granaten platzen über uns... » 
15. 6. 1943 
 
Je reviendrai à nouveau à la maison (Ich werde wieder zurück kommen.) Quand la guerre sera finie, j’aurai de quoi vous raconter sur les évènements difficiles que je vis actuellement avec mes camarades. Il faut de la chance, et j’en ai. Marcel Bour m’a écrit qu’il l’a échappé belle. Un Lorrain de Richeling et un Luxembourgeois ont déserté. J’ai reçu vos six petits colis qui contenaient quatre fois des biscuits, un saucisson et huit cigares. Je serai en première ligne (Stellung) dès que vous aurez reçu mon courrier. 
 

 
24. 6. 1943 
« Je suis en bonne santé. De gros orages éclatent au-dessus de nous. Le ciel est noir. On a peine à voir et il n’est que 13 heures. J’ai écrit au général Traut, natif de Sarreguemines pour mon cas. Il a promis d’essayer de le régler. J’ai de la chance de ne plus être au front. Bonne fête, papa. » (C’est la Saint Jean-Baptiste, NdR). 
 
30. 6. 1943 
 
« Ah ! si moi aussi je pouvais avoir la chance d’être à la maison. (Könnte ich auch dieses Glück haben zu Hause zu sein.) Le commandement rappelle à l’arrière tous les Allemands de l’extérieur (Auslandsdeutsche). Les Lorrains se retrouvent ensemble et unis pour s’épauler comme des bardanes (die Lothringer sind zusammen wie die Kletten). J’ai reçu la lettre du curé et un paquet de tabac fort. Les cigarettes sont plus supportables que le tabac russe que j’ai néanmoins maîtrisé. Que papa garde ses cigarettes ! je sais qu’il aime également fumer. » 
 
6. 7. 1943 

« J’ai reçu votre Kilopacket ainsi que quatre paquetons. Ouf ! car je ne disposais plus de peigne ni de pierres à briquet. Deux Lorrains sont avec moi dans la compagnie. » 
 
 
Chronologie de l’Opération Zitadelle démarrée le 5 juillet 1943 
 
Avec l’opération «Citadelle», la Wehrmacht va tenter de couper le saillant Orel-Koursk. 
 
5-6 juillet : les Allemands avancent de 10 km vers le sud. Ils ont plus de 25 000 tués et blessés, perdent 200 chars, 200 avions. L’attaque au sud entame les premières lignes de défense russes, puis s’enlise. 
 
6-9 juillet : une farouche résistance soviétique oblige Model à engager toute sa masse de manœuvre, mais tout le front russe tient. Le front russe du Centre prépare une contre-offensive. 
 
12 juillet : la plus grande bataille de chars de la guerre ; les attaques allemandes au sud avancent de 30 à 40 km au prix d’une perte de dix mille hommes et de 350 chars. Les fronts russes de Briansk et de l’Ouest passent à l’offensive. 
 
15 juillet : le front russe du Centre passe à l’offensive. 
 
16 juillet : le repli allemand commence. Le front russe de Voronej passe à l’offensive. 
 
17 juillet : le front russe du Sud-Ouest passe à l’offensive. 
 
19 juillet : le front russe de la Steppe passe à l’offensive. 
 
 23 juillet : Les Allemands sont revenus à leurs positions de départ. L’opération «Citadelle» se termine par un désastre. 

26 juillet : Le haut commandement allemand ordonne le repli d’Orel suivant le plan prévu. 
 
4-5 août : les armées soviétiques reprennent Orel et Bielgorod. 
 
6-11 août : les fronts de Voronej et de la Steppe font leur jonction à Kharkov. 
 
 22 août : menacées d’encerclement, les forces allemandes évacuent Kharkov. 
 
23 août : les armées soviétiques reprennent Kharkov et menacent toute l’aile sud du front allemand. 
 
7. 7. 1943 
« L’ennemi nous attendait, nous le savions par des déserteurs. Je suis installé dans notre tranchée (in den Graben), l’oeil en alerte. Je surveillais hier notre première ligne. L’avance de nos troupes a pourtant surpris les Russes. J’ai vu la route encombrée de prisonniers. Les morts peuplaient les environs du champ de bataille. J’ai pleuré en apprenant l’enlèvement des cloches au village. Leur tintement était si apprécié et désormais on 
va tous les regretter ! Quelle idée ! La Flak a descendu trois avions russes. Nous-mêmes avons reçu des tirs d’obus russes ce matin. Avant-hier et hier, c’était bien pire. » 
 
Ndr : Grâce à leur espion Werther, les Russes connaissent la date précise de l’attaque de l’Opération Zitadelle. Non seulement, ce sont eux qui vont surprendre l’OKW dans ses préparatifs en déclenchant des tirs de contre-batterie qui vont désorganiser l’attaque allemande mais ils ont fait creuser d’arrache-pied par la population civile d’innombrables tranchées qui s’échelonnent en profondeur, rendant la progression allemande quasiment 
impossible. 
 
8. 7. 1943 
 
Légère accalmie dans les tirs. Je profite pour vous écrire. Je suis comme d’habitude enterré dans mon trou profond de 1,50 m. Les obus pleuvent. Je continue d’écrire mais à nouveau miaulent les obus. Je rigole après leur passage. (Ach wie froh wäre ich wenn ich unter unserem Dach leben könnte). Ah ! quelle joie, si je pouvais vivre sous notre toit. Les avions russes arrivent à nouveau, le matraquage continue. C’est une drôle d’impression quand ils vous survolent et que les éclats s’éparpillent aux alentours (die Splitter 
in der Gegend herum schwirren). Je suis pris dans la nasse du rouleau compresseur de feu. (Ich stecke in der Klemme der Feuerwalze). 
 
9. 7. 1943 
 
« En ce moment, nous ne disposons d’aucune tranquillité ni de nuit ni de jour. On s’est payé une marche nocturne de 15 km. Je suis de garde, enterré dans mon abri du matin jusqu’à midi . Nous reculons sous les coups de boutoir ennemi. 7 ou 8 fois, j’ai eu beaucoup de chance. Je souhaite le repos, car j’ai de petits yeux chargés de fatigue. Nous dormons tous en marchant comme des gens ivres. La nuit hostile est devant nous. Priez le Bon Dieu pour qu’il continue à me protéger ! Je suis de nouveau de garde, il a fallu creuser son trou. J’ai faim et soif et personne n’est ni en vue ni de retour de la cuisine roulante pour calmer mon estomac. Il est 10 heures et demie. Nous sommes à 1 500 mètres des lignes russes. Nous avons assisté à un duel aérien entre avions russes et allemands. Les avions allemands sont venus fort à propos pour arrêter la progression des Ivans. C’était le vrai cirque Sarasain dans le ciel (der richtige Zirkus Sarasain). En l’espace d’une ou deux minutes, trois avions russes ont été abattus. J’étais bien au chaud dans mon trou spacieux. Le sous-officier est passé ce matin car il était inquiet de mon silence. Il me croyait mort. Non, je ne mourais pas si vite ! (aber nein, so schnell geht es nicht.) Je me fiche éperdument des grenades qui peuvent continuer de pleuvoir, mon heure n’a pas encore sonné.
 
Je suis coriace comme un lapin mâle. (Ich bin zäh wie ein Kaninchenbock). J’ai revu mon cher ami Paul Charton de la caserne de Trèves. Albert est heureux de retrouver son camarade de chambrée ainsi qu’un Luxembourgeois, plus deux Yougoslaves, tous bons camarades qu’il a appréciés durant sa formation. Marcel a de la chance d’être parti en Norvège, c’est mieux là-bas qu’ici. (voir le témoignage de Marcel Bour). La terre danse jour et nuit ici (die Erde schaukelt. Da drönt es nur noch, ça ne fait que gronder). Je suis sûr de m’en sortir, mais quand cela s’arrêtera-t -il ? Dieu seul le sait ! Un tir des orgues-de-Staline, ça fait 48 coups en même temps.
 
Papa n’a sûrement pas connu ça. Je me situe à la même latitude que Moscou mais plus au sud. L’avenir est entre les mains de Dieu, mais sûrement pas avec les tanks Ferdinand (gros tanks allemands, Ndr)». 
 
10. 7. 1943 
 
« Je suis à 900 mètres devant les Russes. Il est midi. Je vous écris malgré le gros tir d’artillerie et les avions qui ne nous laissent pas tranquilles. Nous subissons une vraie vie de taupe (Maulwurfleben). Le nez est collé dans la paroi de glaise lorsque nous arrivent les obus mortels. En ce cas-là, la terre est le meilleur abri. Je continue de vous écrire depuis mon trou pendant qu’éclats d’acier et balles explosives passent au-dessus de moi. Nous étions prêts à l’attaque, mais il a fallu redescendre dans nos tranchées, faire le coup de feu et solliciter nos fusils pour arrêter la contre-attaque russe. A nouveau, les as allemands ont abattu six avions russes. J’ai bien dormi cette nuit dans mon trou si bien aménagé que je peux continuer à écrire aux connaissances de Théding et à toute la famille (marraine, parrain...). 
 
13. 7. 1943 
 
« Samedi, ce fut la première attaque à laquelle j’ai participé (es war der erste Angriff den ich erlebt habe). Je ne me la serais pas imaginée ainsi ! Dieu soit loué, Gott sei dank ! je suis passé à travers le feu. Certains camarades n’ont pas eu cette chance, j’ai à remercier Dieu. Malheureusement, j’ai perdu la montre de Joseph avec la croix et la médaille, la lanière s’est sans doute cassée dans le feu de l’action. Il fallait avancer et ne pas penser aux futilités. J’ai tout perdu, même l’argent... Mieux tout ça que ma personne ! Lors de l’attaque des Stalinorgel, de petits éclats de fer ont frappé mon casque d’acier. Le colonel se frotte les mains : nous avons fait 1 500 prisonniers plus une Flinteweib (femme-soldat). Les Russes déplorent de nombreux morts. En fait ils m’ont appelé pour que je me rende. C’était un piège. Ils m’ont poursuivi. J’en ai attrapé un tas. Brûlez un cierge pour moi, car je l’ai échappé belle. Brûlez-le en l’honneur des Plaies Sacrées (heilige Wunden) de Jésus-Christ pour m’avoir épargné durant le déluge (Trommelfeuer) des orgues-de-Staline. Il faut avoir confiance en Dieu pour qu’Il nous aide. »
 
Historique : La ville d’Orel est menacée par l’Armée Rouge. Pour desserrer l’encerclement soviétique, la 78 est dépêchée sur Malo Archangelsk (carte) au moment où beaucoup de ses permissionnaires aguerris ont déjà bouclé leurs valises et que des unités d’alarme peu mordantes et des renforts peu enthousiastes la défendent. 
 
19. 7. 1943 
 
« Ce matin, il m’est difficile de vous écrire. Je n’ai plus de papier à lettres. J’ai tout perdu. Les Russes ont tout pris, je suis à sec (blank da stehen). Hier soir, le colonel a décidé le retrait de quelques kilomètres. C’était trop dangereux (schlimm) à cause de la gravité de la situation. J’ai prié Dieu. Merci pour votre lettre du 1.7. 1943 que je lis et relis. Ils viennent à nouveau d’enrôler une classe. On entend des choses du côté de la Sicile. La guerre sera bientôt terminée, je l’espère.» 
 
20. 7. 1943 
 
« Les tirs sont moins nombreux. J’espère que cela reste ainsi. Je peux donc vous écrire. En tout cas je rêve à mon doux lit et à mon chez-moi, au lieu de me morfondre dans la 3 ème tranchée (dritten Laufgraben). Nous sommes bouffés par les poux et les mouches. Je ne peux pas dormir, une odeur épouvantable nous submerge. Je n’ai plus rien à manger ni à fumer. Je regrette ma montre, les stylos, les lettres que j’ai perdus durant le 
combat. Mon camarade me prête du papier. Si vous voulez, envoyez-moi un paquet de 100 g. Je veux écrire au curé. Retournez-moi la nouvelle adresse de Marcel. Je remercie constamment Dieu de me protéger du malheur. » 
 

21. 7. 1943 
« Ce soir nous tournons les talons (machen die Absätze vor). Wir räumen, nous déménageons. Je me rapproche petit à petit de vous. L’oncle de Soultzbach va bientôt venir vous voir, vous allez fêter vos retrouvailles et les miennes aussi dès mon retour. Ah ! maudite Russie (verdammtes Russland). J’ai un sacré respect des tirs d’obus, surtout dans la journée du 11.7 . 1943 où j’étais au milieu d’eux dans mon trou qui a été à chaque fois épargné miraculeusement... .  
NdR : Albert se réjouit de pouvoir apprécier les cochonnailles lors de sa permission. N’oublions pas que l’abattage d’un cochon est réglementé. La viande doit servir au Reich. Pour ne pas éveiller les soupçons, les parents et le fils ont convenu d’un mot de passe : oncle de Soulzbach = cochon. 

27. 7. 1943 
 
« Il est tard ce soir. Je vous écris bien que je ne distingue plus rien. Nous retournons vers l’arrière. Nous sommes restés 20 jours dans le pétrin (in der Scheisse). Je suis hyperfatigué (übermüde) mais en bonne santé. J’ai obtenu votre papier à lettres. Vous savez que j’ai tout perdu. Envoyez-moi également le nécessaire à raser, pas besoin de savon. Merci pour la photo regroupant Lydia et Juliette. Que se passe-t -il en Italie ? Les Alliés n’ont-ils donc plus envie d’avancer ? (haben die keine Lust mehr ? ) Je garde courage. » 
 
29. 7. 1943 
 
« Le temps pluvieux est exécrable. Je suis habitué à la boue. Je suis couché dans la tente sur le ventre pour vous écrire. Savez-vous où je me trouvais au moment de la contre-offensive ? Sur le front dans l’arc d’Orel, posté avec une mitrailleuse en toute première ligne ! Une seule fois, j’ai été enveloppé de terre par un obus qui a explosé à 1,50 m de moi (krepiert). J’ai été recouvert de 5 cm de terre. J’étais en train de manger ma tartine 
beurrée, soudain elle a été saupoudrée de terre. J’ai reçu un petit éclat gros comme une demi-tête d’épingle dans la main (einen halben Spingelknopf). Nous nous sommes bien battus, il y a eu une distribution d’E.K . 1 und 2 (Ehren Kreuze = croix de fer 1 ère et 2ème classes).  
 
 
Historique de la 78 :
 
 

Evacuation de l’arc d’Orel du 31 juillet au 18 août 1943 et position aménagée sur la Hagenstellung après des combats retardateurs menés durant la retraite sur les lignes grün, rot, schwarz. 
 
 
 
1. 8. 1943 
 
 

reculer jusqu’à Briank. Cela va en faire des kilomètres, des centaines de kilomètres à marcher. Ah ! si je pouvais déjà être en septembre pour 
« En soirée, je retourne vers le front. A 8 km derrière, nous constituons la réserve de la division sur la rote Linie - ligne rouge. Il est question de 
poser ma permission. Le commandant refuse à ce que je vous envoie ma solde. Il y a d’autres chats à fouetter, a-t -il dit. Tous les hommes, en ce moment, sont réquisitionnés. J’ai reçu le rasoir, il manque seulement les enveloppes. » 
 
4. 8. 1943 

« 

 
Ce ne sont que des marches épuisantes avec à la clé des tranchées à creuser. Notre recul a été différé dans la journée mais cette nuit nous avons perdu 30 km. Je me suis échiné, épuisé à creuser sur une hauteur (auf einer Höhe gewatzt). Mes jeunes années sont passées comme dans un rêve, je pense à cette belle époque. J’ai invoqué Dieu pour qu’il continue à me protéger. » 
15. 8. 1
943 
 
C’est l’Assomption et la fête de Marie, reine de la paix, mais également une dure bataille. Le 15.08 (dimanche) a été un jour noir. Les Russes nous ont attaqués à 19 heures. A 20 heures 30, seuls 28 hommes sont restés vivants de notre compagnie. Frank de Sarreguemines est tombé, un autre Lorrain blessé. Je ne peux pas assez louer Dieu pour sa bonté infinie. Les obus continuent de grêler (es hagelt mit Granaten ). » 
 

Feldpost nummer 09496 
20. 8. 1943 
 
« Je transmets ma lettre à un permissionnaire. Elle arrivera plus vite. Mon camarade de la caserne de Trèves, Charton, est sans doute mort. 
Seul votre Albert vit, car Dieu a dû m’accorder une grâce spéciale. » 
 
Une lettre des parents de Paul Charton datée du 23 août 1943 venant aux nouvelles de leur fils est adressée aux parents d’Albert à Farébersviller. 
  
« Est-il blessé ? prisonnier ? votre fils peut-il nous renseigner ? Que Dieu nous épargne le pire. Attendons la réponse de votre fils avec impatience. » 
 
24. 8 . 1943 Briansk le 24.8 au soir. 
 
« Cette lettre partira par poste aérienne. Ne vous affolez pas en voyant écrit dessus Luftpost. Je suis en bonne santé. J’ai reçu vos enveloppes, vos lettres et la médaille sainte bénie par le curé. Je lui écrirai à l’occasion. J’ai séjourné entre Briansk et Karatschew voilà huit jours, là où nous avons pris des coups. Je reçus là-bas une déflagration si formidable qu’il me sembla que ma tête allait éclater. Mes oreilles en sifflent encore maintenant au point de devoir aller prochainement consulter le médecin. Dispose-t-il de matériel sur place pour me soigner ou faudra-t -il que j’aille à l’hôpital ? Les Russes ont mis des habits allemands et ils sont pires que les S.S ., c’est la division de la garde de Moscou, les gars de Staline (dem Stalin Seine) mais ils ont été bien étrillés (auf die Ohren bekommen). Lorsque ces zouaves attaquent, ils ne se soucient pas de leurs pertes. Les Stukas les bombardent actuellement trois fois par jour, il faut qu’ils déguerpissent (flüchten) de notre secteur.... » 
 
25. 8. 1943 
 
« Ce soir, j’écris encore à Robert, à Marie-Thérèse. En fait j’ai eu besoin de tout l’après-midi pour écrire à tous les autres. Envoyez-moi l’adresse de Gustave que je vous ai réclamée plusieurs fois déjà. Je suppose que certaines lettres n’arrivent pas à être acheminées, disons bien que les deux tiers ne sont pas parvenues car les partisans nous causent beaucoup d’ennuis. J’ai reçu la solde qui se monte à 70 Marks. Es ist bald Zeit, c’est 
bientôt le moment pour obtenir une permission. » 
 

26. 8. 1943 
Historique : Double jour de gloire pour la 78 ème division au poing-de-fer. Elle commémore le 2 ème anniversaire de sa création par une grande victoire ! Ce jour-là, face à des forces ennemies largement supérieures (4 divisions de la Garde et un corps de chars) accompagnées d’une division ainsi que de plusieurs régiments d’artillerie et renforcées par des escadrilles d’avions, notre vaillante division a surmonté 32 attaques, dont 7 
importantes. Les Soviets ont subi une lourde défaite ponctuée de nombreux tués et blessés. Nos soldats purent tenir de main de maître la ligne de front en détruisant 89 tanks sur les 100-120 injectés dans la bataille, ce qui porte le nombre à 1028 blindés russes détruits durant la campagne à 
l’Est. (Extraits : La victoire le jour du jubilé. Reporter de guerre, Walther Beckmann). 
 
 
 
28. 8 . 1943 A l’Est, le soir 
 
« J’ai à nouveau passé deux journées terribles comme à Karatschew. Je suis sous la protection divine (ich bin unter Gotteschutz). Ayez confiance en notre Sauveur. (Habt vertrauem zu unserem Heiland). Je prie sur l’image de la Croix de Jésus. Rosaire et prières sont mes espérances (Rozenkranz und Gebet sind meine Hoffnungen.) Demain dimanche, je serai à nouveau dans la tranchée. Ich habe dem Tode ins Auge gesehen, j’ai regardé la Mort dans les yeux. Tanks, avions et infanterie russes nous ont attaqués sans relâche. Je suis vidé... » 
 
4.9.43 
 
« Dieu m’a préservéd’avoir pu à nouveau me soustraire de ce champ de bataille ressemblant à un cimetière. Nous roulons dans le train vers une destination inconnue. Smolensk ? Wiazma ? Il doit se passer quelque chose de grave chaque fois que notre 78 ème division d’attaque intervient. Nous sommes dans un E-Transport. E wie Eilmarsch (marche forcée), E wie bittere Elend (misère noire) und E wie geduldiger und beladener Esel (âne patient et bâté). J’ai pris un léger refroidissement dans cette foutue Russie. Tout le monde en a marre (Alles hat satt hier). L’Anglais a débarqué en Italie. Ah ! que j’aimerais aller là-bas. Tous ici craignent le front russe. » 
 
Histoire du fiasco de l’opération Zitadelle 
 
Dès le 15 avril 1943,  Hitler prépare l’opération Citadelle où il s’agira d’attaquer l’ennemi pour résorber le Dès le 15 avril 1943, Hitler prépare l’opération Citadelle où il s’agira d’attaquer l’ennemi pour résorber le saillant de Koursk en infligeant une sévère défaite à l’armée russe prise en tenailles de part et d’autre d’Orel et de Kharkov. En cas de succès, le haut-commandement allemand n’écarte pas la possibilité de tourner Moscou 
par le nord-est et de prendre à revers la totalité du Centre russe. « Par votre victoire, vous prouverez au reste du monde que, plus que jamais, toute résistance aux armées allemandes est vouée inévitablement à l’échec. » La IXème Armée venant d’Orel et la IVème Armée blindée remontant de Kharkow devront couper en tenaille le front de Koursk puis exploiter la percée en fonçant aussi loin que possible. Mais, grâce à un excellent service de renseignements, (les agents de l’Orchestre Rouge) le commandement soviétique arrive à reconstituer la direction de l’attaque allemande, les forces, les positions, les ressources de l’adversaire et même le moment où l’offensive sera déclenchée. Une défense de fer est érigée : 
 
- lignes renforcées par de nombreux canons (96 au kilomètre), implication de chars et d’avions, 
- système de défense articulé en profondeur (barbelés, mines, nids de résistance, tanks enterrés...), 
- huit lignes successives de positions renforcées qui attendent l’Allemand. Au cours des trois mois que dure la préparation, 300 000 travailleurs creusent des milliers de kilomètres de tranchées. La supériorité russe est ainsi prépondérante dans tous les domaines : 
- 7 contre 5 pour les hommes, 
- 2 contre 1 pour les canons, 
- 4 contre 3 pour les chars, 
- 6 contre 5 pour les avions. 
 
Les Allemands escomptent une rapide percée. Mais les Soviétiques les devancent en contre-bombardant les troupes allemandes prêtes à s’élancer le 5 juillet 1943 le jour même où le plan Zitadelle prévoit de réveiller le front russe ! Le groupe d’armées von Kluge et le groupe von Manstein attaquent en direction l’un de l’autre. Formés en pointe, trois corps blindés foncent sur le saillant nord de Koursk. En face, le maréchal Rokossovski a assuré la défense autour d’un tissu serré d’organisations défensives. Quatre fois, les Allemands tentent de percer au cours de la journée. Quatre fois, ils échouent. Les Russes se battent avec une farouche résolution, s’accrochent à chaque parcelle de terrain, tiennent le plus longtemps possible et passent ensuite à leur tour à la contre-attaque. Au prix d’efforts démesurés et de très lourdes pertes, les Allemands parviennent à enfoncer la ligne de défense principale de la XIII ème Armée. Au cours des combats des 5 et 6 juillet, ils avanceront de dix kilomètres, mais ils laisseront sur le terrain 25 000 tués et blessés, 200 chars et canons automoteurs, plus de 200 avions et une bonne partie de leur artillerie et de leur matériel. 
 
De plus, presque tous les régiments allemands perdront une grande partie de leurs officiers. Par exemple, le 195ème régiment (celui de Rémy Albert, cf. son récit) de la 78 ème division d’infanterie (XXIIIème Corps) aura tous ses commandants de compagnie hors de combat en deux jours. 
(sources Colonel Koltounov, historien militaire russe).
 

Situation du régiment 195 d’Albert Melling  
 
Dès le début de l’offensive le 5 juillet 1943, la 78 ème Sturmdivision conquiert dans des combats extrêmement meurtriers les localités de Glasunowka, de Trossna, de Petrowka et de Protassowo, solidement verrouillées par des champs de mines, des réseaux de barbelés et des tranchées antichars. 
 
Dans l’arc d’Orel (Orel Bogen), malgré les pertes, les lignes de la Wehrmacht s’enfoncent dans le camp russe. Pour trancher cette grosse verrue qui avance dans leur dispositif, les Russes mettent à profit une formidable préparation d’artillerie et une percée rageuse sur un front étroit ( cf. lettres d’Albert : die Erde schaukelt et Stalinorgel le 9 juillet 1943, Trommelfeuer et Kassunder le 13 juillet 1943). De violentes contre-attaques russes obligent les Allemands à rompre. Leur flux est stoppé. 
 
Le 11 juillet, un immense tournoi de chars s’engage. Les Russes perdent plusieurs centaines de chars, mais l’offensive allemande est cette fois brisée près de Koursk. Pire, il s’agit maintenant pour la IVème Armée d’empêcher que le saillant d’Orel ne soit amputé et que les troupes allemandes qui s’y retranchent ne soient anéanties. Les tirs de réplique adverses transpercent les positions fortifiées allemandes. La IXème Armée qui a perdu les deux tiers de ses chars est incapable de poursuivre l’effort et doit revenir à son point de départ (23 juillet) en raison des troupes soviétiques du front de Briansk et de l’Ouest qui déclenchent leur offensive contre les Allemands dans la région d’Orel. Le 16 juillet, le gros des unités de la Wehrmacht recule, protégé par une forte arrière-garde dont fait partie Albert Melling. Menés pour protéger leur retraite, des combats acharnés se 
déroulent alors à 30 km puis à 15 km au sud d’Orel près de Smijewka et de Moltschanowka Les Allemands ne peuvent résister qu’en retraitant pied à pied (lettres du 1 er août, du 4 août).
 
Dans la tête-de- pont d’Orel où les Allemands avaient pourtant installé un solide réseau de défenses très développé, la situation empire. Le Russe harcèle l’ennemi qui doit décrocher au plus vite du saillant d’Orel (nuit du 3 au 4 août). Le 4 août, les Allemands lâchent définitivement Orel qui est occupée le lendemain par l’adversaire. Model, surnommé le Lion de la défense, envoie une instruction où il exige de chacun le plus grand effort. 
Cependant, l’offensive victorieuse de la Rote Armee continue en forçant les Allemands à lâcher Koursk. En effet, la Garde (2ème 
Corps de cavalerie, XI ème Armée, III ème Armée blindée) avance entre Orel et Briansk. 
 
En raison de la gravité, Model ramène ses troupes sur la ligne Hagen installée à l’est de Briansk au cours d’une retraite organisée, utilisant des positions intermédiaires entre le 31 juillet et le 17 août (appelées lignes verte, rouge et noire). La 78 éprouve de lourdes pertes à Karatschew le 14-15 août (14 août, blessure de Rémy Albert, voir son témoignage) mais réussit à s’accrocher aux positions préparées à l’avance près de Briansk. Au 18 août, les Russes du front de Briansk et du front du Centre (général Bagramian) sont arrivés sur la ligne de défense allemande. En raccourcissant le saillant d’Orel, Von Kluge va récupérer 17 divisions pour se constituer une réserve. Pensant affaiblir l’ennemi, les Allemands lancent une offensive sur Kharkov le 3 août. Les Russes résistent puis aspergent d’attaques apocalyptiques (3 000 pièces d’artillerie) le dispositif allemand. La II ème Panzerarmee disparaît, le groupe Mitte est groggy. Le 8 août, une brèche de 50 km est même ouverte entre la IVème Panzerarmee et la VIIIème Armée. Plutôt que de s’engouffrer, les Russes attaquent partout, fixent et usent les réserves ennemies. L’échec de l’offensive allemande sur Koursk devait porter le coup de grâce à toute la propagande allemande bâtie autour du mythe de la nature saisonnière soviétique, qui voulait que l’Armée Rouge ne fût en mesure de partir à l’attaque que pendant les mois d’hiver.
 
Les faits viennent de démontrer qu’elle est désormais capable, été comme hiver, de se battre. Une fois de plus, le haut commandement allemand a mésestimé la puissance de l’Armée Rouge et surestimé sa propre puissance et ses moyens. Parlant des batailles de l’été, Churchill a écrit : «Les trois immenses batailles de Koursk, d’Orel et de Kharkov, qui se sont toutes les trois déroulées en l’espace de deux mois, avaient sonné le glas de l’armée allemande sur le front de l’Est.» 
 
 

 
 
Le 22 août, Kharkov à son tour tombe sans combat. Albert Melling retraite le 15 août près de Karastchew (très grave blessure de son ami Charton, laissé pour mort), subit le 26 août des combats à Rushnoje, à 25 km au sud- ouest de Karatschew, puis arrive début septembre à Jelna. Il sera blessé le 22 septembre. Le front se stabilisera. Nous y retrouverons Albert au début de l’année 1944. Sa blessure lui évitera les quatre batailles d’Orcha. 
 
6. 9. 1943 
 
« On nous a transférés ce matin à 4 heures sur de gros camions qui ont roulé 25 km vers Zehnijà. Les murs vibrent. (Hier rappelt die Wand). Est-il vrai qu’ils ont fait 200 000 prisonniers américains en Italie ? Un temps terriblement froid s’installe (furchtbar kalt). Nous gelons. Tout est mort dans les jardins. » 
 
8. 9. 1943 
 
« Ce matin, j’ai reçu vos 2 lettres et vos 4 paquets de 100 g expédiés le 12 août 1943 (rasoir plus savon). J’ai vécu 14 jours sans me raser avec une barbe (Vollbart) de 1 cm. J’étais noir comme un nègre au point que mes camarades ont bien ri. Eux aussi, ressemblaient à des épouvantails. Je suis au repos actuellement. » Historique de la 78 : La pause espérée ne dure pas. Plus au nord, dans le secteur de Jelna, cela sent le roussi pour la IVème Armée. 
 
A nouveau, l’heure est à la «promenade vers l’arrière» dans la première quinzaine de septembre. 
 
11. 9. 1943 A son frère 
 
« A midi, on nous a rameutés par camions pour fermer la brèche ouverte par la cavalerie cosaque. Nous sommes toujours en mouvement. Maintenant que l’Italie a capitulé, tous disent ici que la guerre est perdue, vivement la paix ! Je suis là depuis presque 9 mois et dans 14 jours je fête mes 21 ans. Remercions Dieu pour qu’il continue à me protéger. Voici l’automne qui survient. La pluie battante noie mes camarades, elle ruisselle 
dans nos manteaux gorgés d’eau. L’eau à n’en plus finir me démoralise. Les moustiques sont toujours légion, le froid ne les a pas encore engourdis. Du Niemand’sland monte chaque matin le brouillard tenace. La bruine de septembre entretient la mer de boue. Cette couche molle de terre gluante me harasse, mes habits pèsent une tonne. Dans cette nuit opaque où chaque bruit est amplifié, j’ai conscience sans arrêt que cette guerre n’est pas 
la mienne, son caractère farouche m’affecte : je dois me battre pour une cause qui n’est pas la mienne. Les coups de boutoir se succèdent, je suis sans arrêt sur le qui-vive. Je dors très mal ; le peu de repos concédé me laisse agité.
 
C’est une vie cruelle où j’en veux à la France d’avoir sacrifié ma jeunesse anéantie dans la honteuse abdication de l’Armistice. Que de souffrances physiques et morales il faut endurer ! Que penserait maman en me voyant ? Chaque semaine, des renforts arrivent, des jeunes comme moi, pour suppléer les vides laissés par les morts et les blessés. Ici, il faut combattre sans arrêt et avoir les nerfs solides. Je me suis regardé à la dérobée dans la glace : horreur ! mes yeux cernés, mon teint livide, ma barbe poisseuse m’ont vieilli et bien vieilli. 
 
Et toujours pas de permission ! Le Russe nous talonne et va nous étrangler, il faut que je sorte de ce guêpier. 
 
19. 9 . 1943 Midi 
 
« Combien de temps durera encore cette foutue guerre ? (wie lange wird dieser blöde Krieg noch dauern). J’en ai assez, par-dessus les oreilles (satt über die Ohren). On nous a envoyés le 11.9 pour colmater la brèche ouverte. Nous avons combattu le 13.9 à 5 heures du matin sur la ligne ferrée Desna-Briansk. Le village s’appelle Kasanova. Le Russe a réduit notre bataillon à 50 hommes, notre compagnie est encore la moins 
touchée avec 20 survivants. Quels dommages ont subis les malheureux Lorrains ! Chaque soldat dit qu’il faut s’arrêter. Il n’y a aucune raison de continuer, la guerre est perdue. Lors de l’attaque près de la voie ferrée, aucun d’entre nous n’a voulu avancer vers le russische Panzergrabe (fossé anti- chars). L’officier nous a menacé de nous fusiller. Avec d’autres camarades catholiques, nous implorons Dieu sinon nous serions irrémédiablement perdus (rettungslos verloren). 
 
29. 9. 1943 
 
« Il fait nuit. J’ai été blessé le 22. 9 à midi. Cela s’est bien passé. Un obus m’a provoqué une blessure dans le dos comme Charton (wie es bei Charton den Fall war) et un éclat est rentré à hauteur du ventre (Rückenschuss, Bauchwanddurchschuss). Je suis heureux d’être sorti de Russie et content de ce qui m’arrive ! » (en français) 
 
1. 10. 1943 
 
« Je suis hospitalisé à Varsovie, j’ai un peu mal. J’ai bénéficié d’un repas amélioré (pain blanc, oeufs, pommes de terre) malgré la blessure qui guérit bien. Vous ne pouvez pas deviner mon soulagement d’avoir pu quitter ce pays où il fait mal y séjourner. Malgré mes blessures, je suis parvenu à retourner à l’arrière. Malheur aux camarades qui tombent entre les mains des Russes : ils sont perdus. J’ai enfin bu ma première bière depuis 6 
mois, j’espère maintenant obtenir un congé. » 
 
2. 10. 1943  

« Varsovie : j’éprouve de la nostalgie à penser à mon village. Je vous raconterai mes aventures de Russie. Je suis orphelin de mes affaires, seul un petit baluchon ne me quitte pas. Camille, que devient-il ? J’ai bien mangé, on a droit à du pain blanc (weissbrot). Espérons que mes blessures ne guérissent pas trop vite ! » (en français). 
 
4. 10. 1943 
 
« Avez-vous encore vos poules et vos lapins lorsque je reviendrai en permission ? Je rêve de planter mes dents dans un civet au vin, ou bien sucer les os de notre coq, je veux parler de celui qui gratte sur le tas de fumier (Mischtkratzer). J’ai bien faim. Je n’oublierais jamais les tanks russes avec leur canon de 17,5 qui fonçaient sur nos trous dans tous les sens (kreuz und quer). Il fallait ouvrir les yeux. Les seules pensées qui reviennent à ce moment-là sont : la maison, vous, mes chers parents. Je vous raconterai cela de vive voix. » 
 
5. 10. 1943 
 
« Le médecin m’a ausculté ce matin parce que je lui ai signalé la présence d’un éclat dans mon ventre. Il l’a localisé au-dessus de la cuisse gauche, ce sale morceau (Dreck) mesure la largeur d’un doigt de la main. Je ne sais pas si le chirurgien va vouloir l’extraire. » 
 
7. 10. 1943 
 
« Enfin la lecture d’un livre puis un jeu d’échecs m’ont changé les idées. Nous tuons le temps (schlagen die Zeit tod). Quelle impatience de rentrer ! J’ai un bon ange gardien, ein guter Schutzengel. Je suis devenu froid à la guerre, je suis habitué à ces horreurs pour survivre. A midi, un jour, nous avons mangé près du champ de bataille, j’étais assis sur la tête d’un Russe, chassant d’une main les mouches et mangeant de l’autre. 
J’ai reçu des habits de rechange du fournier de l’hôpital. 
 
NdR : Ce Malgré-Nous était-il un dur ? Forfanterie ? Insensibilité du fantassin comme les poilus qui avaient enterré dans les parapets des tranchées leurs camarades tués ? La Wehrmacht a à ce point mêlé la guerre à la vie d’Albert, elle l’a si intimement fait vivre avec la mort de tous les instants qu’on ne peut vraiment pas le blâmer. Ses lettres ne sont que la partie visible de l’iceberg de souffrances vécues par ce jeune. Il aurait pu sans nul doute nous raconter de vive voix les dures conditions dans lesquelles il vivait à ce moment-là. 
 
9. 10. 1943 Varsovie 
 
«J’ai le temps d’évoquer avec vous les nuits russes, effroyables quand Ivan nous attaque. La retraite en Russie ! Ce terme sonne comme un glas (Todeglock, patois ; en allemand Totenglocke) dans ma tête. « Il neigeait. L’empereur Napoléon revenait, laissant derrière lui brûler Moscou fumant... » Ces vers de Victor Hugo que nous avions serinés sur les bancs du collège me reviennent constamment en mémoire. Que de drames 
horribles ont dû se passer lors du recul des troupes françaises ? Les blessés qu’on abandonnait, tout comme mon ami Charton Paul, ceux qui se cachèrent dans le ventre des chevaux morts pour y chercher chaleur et abri, nous, c’est dans des terriers. Je pense aussi aux pontonniers courageux du général Eblé dans les flots glacés de la Bérézina et tous ces grognards qui marchaient pieds nus assaillis par les moujiks et les Cosaques. 
Oui, me voilà transposé 130 ans après dans le même contexte. Cela faisait plusieurs fois que sous les coups de boutoir des Ivans, nous fûmes obligés de déguerpir. Deux fois de suite j’ai tout abandonné. Comme tous mes camarades, il fallait filer vers l’arrière. Les orgues-de-Staline ont décimé la compagnie et avec le peu de rescapés disponibles nous avons essayé de tenir tête à la marée humaine. Sauve-qui-peut général. 
Cela grouillait derrière nous. Quelques chars pétaradant accompagnaient les fantassins russes. Je les ai laissé s’approcher. Puis ce fut le déchaînement des armes automatiques. Il y eut un moment de flottement dans leurs rangs mais impassibles, d’autres soldats rouges arrivaient pour nous submerger. 
 
Le sergent désigna deux mitrailleurs pour les contenir pendant que, sous une giclée de balles, nous allâmes prendre appui sur une nouvelle colline. Les barbelés de la deuxième position d’arrêt furent franchis, les Russes investissaient nos lignes et s’éparpillaient le long de nos galeries. Les deux malheureux tireurs furent bientôt submergés. Leur action retardatrice nous avait sauvés ! J’avais laissé dans ma cagna (Bude) tous mes effets personnels, A Dieu va ! Nous n’avions plus les renforts pour les contenir et les repousser. Dans un mouvement de panique générale, nous avons filé vers l’arrière. Rettet wer sich retten kann ! Sauve qui peut ! Déjà là-bas au P.C ., l’alerte avait été donnée et le feu de roulement de notre artillerie survint à point nommé. Il fallait désormais se cramponner au terrain. Ordre nous fut donné de revenir à la charge. Un officier, la main gantée (pourquoi gantée ? Albert ne parle pas de revolver, NdR), nous emmena vers l’ennemi. Avec des Hurra gutturaux nous fondîmes sur l’avant-garde qui reflua bientôt. Le reste des assaillants stoppa. Quelques coups d’artillerie venant de notre secteur éparpillèrent par coups directs au but leurs troupes disloquées. Ce soir-là, chacun campa sur ses positions. Comme d’habitude, dans une atmosphère tendue où il ne fallait perdre aucune minute, en des gestes rapides, allez hopla (expression typiquement mosellane, NdR) chacun creusa sa tranchée et son trou d’homme. Du barbelé fut tendu sous les obus fumigènes. Un volontaire partit enterrer quelques mines. Un autre jour allait commencer demain. Si les renforts ne viennent pas, pensais-je, ce sera fini de nous ! Maintenant que je suis blessé, pourvu que je ne sois pas rappelé au front. Un nouveau médecin me soigne. J’ai 
le temps d’écrire mes mémoires sur mon lit d’hôpital. » 
 

11. 10. 1943 Matin : Varsovie 
« Pourvu que je puisse encore rester longtemps ici ? Nous avons subi des bombardements provenant d’avions anglais, américains et même russes sur Varsovie. J’ai reparlé de l’éclat dans le ventre au médecin. Il veut me faire passer un radio (röntgen) cet après-midi à ce sujet. La surdité de mes oreilles s’estompe. J’ai retrouvé un bon appétit (pain blanc et autres bonnes choses). Je refuse de goûter au pain noir. Il n’y avait que cette horreur spongieuse dans nos tranchées depuis 6 mois ! » 
 
11. 10. 1943 Au soir. 
 
J’ai reçu votre courrier du 6.10.43 . Mon courrier de ce matin est déjà parti, je réponds aussitôt par un autre au vôtre. Camille a aussi dû aller chez cette sale bande (Sau Bande). Je serais un âne si je devais mourir pour eux (ins Gras beissen). A propos de la lettre des parents Charton, qui souhaitent obtenir des renseignements sur le décès de leur fils, je n’ai pas eu le droit de répondre (consigne de la compagnie) sur les circonstances de la mort de mon ami. Si j’ai traîné par ailleurs, c’est que mon carnet contenant les adresses (celle des Charton) était tombé aux mains des Russes. Je vais enfin vous écrire pour que vous répondiez aux parents Charton. C’était mon meilleur ami, mon deuxième frère. Le 15 août, il était 17 heures et demie. Paul Charton (photo ci-jointe) est tombé à Karatschew, à côté de moi. Il venait d’être décoré de la croix-de-guerre n° 2 quelques jours auparavant. Il m’a dit que cette décoration, il ne la voulait pas, mais préférait que ses parents réintègrent à nouveau leur domicile. (Les parents de 
Charton ont été déportés, NdR). Penché sur lui pour le réconforter, je lui ai reparlé de sa croix et de ses parents. Il ne me fournit aucune réponse à ce sujet et il devint bien pâle. J’ai moi-même hérité un peu de sa nonchalance (Leichtsinnigkeit) et suite à ma blessure reçue de manière insouciante je paie les pots cassés (die Folge habe ich heute) Toujours est-il que malgré cela, j’ai loué Dieu sur le bonheur d’être en vie.(extraits de la lettre ci-dessous). Ainsi, Paul Charton gît à l’extérieur (ausserhalb) de Karatschew à environ 300 mètres d’un chemin accédant à la voie ferrée (Bahngleissweg) sans avoir pu être enterré. Je ne pouvais plus m’occuper de lui, sinon la même chose me serait arrivée. Il ne lui sortait plus que de l’écume de la bouche et du nez.
 

Il fallait que je parte le plus rapidement possible car le Russe tirait de façon inquiétante sur l’endroit. Nous avions encore un passage étroit libre (Lücke frei) pour ne pas être attrapés. Avec 28 hommes nous nous en sommes sortis. Les blessés et les morts, nous les avons laissés bien qu’ils criaient pour qu’on les emmène. De même je n’ai pu ramasser ni papier ni objets personnels de valeur appartenant à mon regretté camarade, bien qu’il me l’ait demandé en pleurant... » 
 
 
12. 10. 1943 Varsovie 

« La réponse du médecin est tombée ce matin : vous resterez trois semaines ici, puis vous irez à Constance sur le Bodensee et enfin en permission. Je suis heureux de sortir du Schlamassel (mêlée d’un combat ou, péjorativement, mixture douteuse, NdR).» 
 
15. 10. 1943 
 
« J’ai reçu votre lettre et j’ai écrit à Camille. A 2 heures, cette nuit, alarme aérienne : comme il faisait trop froid dans la cave, je suis resté au lit malgré les bombes tombant au loin. » 
 
15. 10. 1943 Lettre à Camille, son frère, 
 
« J’ai appris que tu étais entre leur pouvoir (Herrschaft). Tu es assez grand pour savoir ce qu’il faut faire. Albert rappelle l’état de ses blessures et indique qu’il va se faire réopérer. 
 
20. 10. 1943 
 
« Suite à ma 1ère opération, je suis toujours à Varsovie : fiévreux et couché depuis trois jours. Pire ! on se fait engueuler par le personnel quand on réclame du rab. «Bande d’affamés ! ihr verfresste Bande !» tempêtent nos infirmiers. Ah ! voilà de belles paroles de réconfort pour des soldats blessés. Ils me voient d’un mauvais oeil. Sie haben mich auf dem Korn, je les em... (ich scheisse sie voll) cela suffit, j’en avais assez et je leur ai dit mon fait (dann hat es zwölf geschlagen.) Je vous demande des biscuits ainsi que du tabac pour ma pipe ou quelques cigarettes. » 
 
23. 10. 1943 
 
« Je n’ai pas d’argent, envoyez-moi 10 Marks. Avec papa on pourra évoquer à mon retour nos souvenirs de guerre... » 
 
25. 10. 1943 Lettre à Camille, 
 
« Je suis habillé chaudement : l’hiver est arrivé. (Winter vor der Tür). Il lui fait des recommandations : pourquoi écris-tu que tu pleures ? Maman s’inquiète et me l’a écrit. Il évoque la jeunesse qu’il a passée avec son frère. J’ai pu visiter Varsovie où je constate de nombreuses destructions... » 
 
26. 10. 1943 
 
Il rappelle qu’il va encore cette semaine à Constance en convalescence. Les trois paquets ne sont pas arrivés. «Si quelqu’un les a volés, qu’il soit puni de maux de ventre un jour entier pour lui apprendre à ne plus le faire.» 
 
28. 10. 1943 Soirée 
 
« Je suis désolé de ne pas pouvoir me rapprocher de la maison. Changement de programme. En effet, je me suis plaint de mon état auprès du médecin. Soyez à jeun demain matin ! m’a-t -il dit. Je vais être opéré afin d’extraire l’éclat. Je crois que c’est mieux ainsi. En restant ici, je peux récupérer tous vos paquets qui se perdent souvent à cause des vols et des bombardements. » 
 
30. 10. 1943 
 
« Je suis très faible au point de devoir rester au lit après mon opération. Vous le constatez à mon écriture. On m’a attaché, puis endormi. J’ai pensé que c’était fini, es ist aus mit mir. L’infirmière m’a giflé à mon réveil (ausgebatscht) et m’a posé des questions pour me faire recouvrer les esprits. Elle m’a dit m’avoir entendu parler en français. J’ai constaté les mêmes effets d’égarement (durcheinander) lors de ma blessure survenue au 
front. Merci pour vos paquets mais le gâteau et le beurre sont inutilisables. » 
 
1. 11 . 1943 Soirée à Varsovie 
 
« Je suis au lit, faible. Demain, c’est la fête de tous les morts (Allerseelen). Je suis torturé par les douleurs et toujours affaibli. » 
 
4. 11. 1943 
 
« J’écris de mon lit, assis sur mon derrière. On va m’enlever les pincettes dans 3 à 4 jours. J’ai reçu un paquet de tante Marguerite (biscuits, bonbons, une pomme). » 
 
8. 11. 1943 
 
«Je suis assez patraque et mes jambes ne me supportent toujours pas trop bien. L’air est oppressant dans la pièce (schwül). J’étais hier à la messe où j’ai apprécié le sermon. Les autres malades sont sortis dans l’après-midi. J’ai préféré dormir et épargner argent et cigarettes. Je veux également écrire à Marcel. » 
 
10. 11 . 1943 Varsovie 

«J’ai reçu avec joie vos 35 Marks plus trois petits paquets. J’irai avec plusieurs camarades en ville samedi. Nous avons reçu comme consigne de sortir groupés. J’ai obtenu 8 cigarettes françaises d’un Sarrois. » 
 
13. 11 . 1943 
 
« Ici tout se passe bien : ma guérison va bon train. Je serai dans 8 jours à Konstanz. J’étais en ville : Warschau (Varsovie) paraît interminable. Nous avons utilisé le tramway sans payer. » 
 
22. 11 . 1943 Konstanz 
 
« L’envie me démange déjà de venir vous rejoindre, mais je préfère traîner ici jusqu’au 7.12 pour espérer passer Noël et les fêtes de fin d’année chez vous. » 
 
1. 12. 1943 
 
« Je suis déclaré K.V . = Kriegsverwendungsfähig (se prononce Ka Faou, c’est-à -dire rétabli pour l’emploi de la guerre, NdR). J’ai été hier visiter Constance, près de la frontière suisse. » 
 
Témoignage de sa jeune sœur Julia : 
 
« Albert a passé Noël chez nous. Je me souviens qu’il était assis près du couloir et qu’il a dit : je ne veux pas mourir pour cette bande (mordre la poussière). «Für diese Bande, will ich nicht in das Gras beißen». 
 
31. 12 . 1943 Konstanz 
 
« Je suis revenu fatigué de mon voyage retour en train. J’ai mangé vos provisions apportées de la maison. Il y a beaucoup de neige : il a d’ailleurs neigé au cours de mon voyage entre Sarreguemines et Obermodern. Adieu les fêtes : je suis de garde demain. 
 
3. 1. 1944 
 
«Voici ma nouvelle adresse : Grenadier Melling Albert, 1 Marsch Grenadier 1. Batalion 195. Chernoz Kaserne Konstanz. A partir du 5 janvier 1944 je serai affecté, c’est une mauvaise nouvelle, à une Marsch Kompanie, avec comme prime un retour au front. » 
 
7. 1 . 1944 Constance 
 
«J’ai oublié la pipe et les pierres à briquet. J’ai mangé une Schmalzschmiere ... (tartine au saindoux). » 
 
10. 1 . 1944 Constance 
 
« J’étais chez le médecin pour faire durer la convalescence. Il a été intraitable en me disant qu’il y a des cas plus graves que le mien. » 
 
12. 1. 1944 
 
« Je suis sur le départ : sans doute par Oberhofen près de Haguenau. Maman, ne te fais pas de souci. On m’a signalé après le repas du soir que j’ai une nouvelle affectation. Pas de chance ! Ce sera Tübingen. Voici mon adresse : Grenadier Melling Albert 5 /78 /20 Wirtsch Truppen Teil. Grenadier 1. Batalion 470 Tübingen. » Témoignage de Lydia Melling (son autre sœur ) : J’étais allée avec mon père rendre visite à mon frère Albert à Tübingen juste avant son départ pour la Russie en janvier 1944. Quand nous arrivâmes à la caserne, du haut de la fenêtre, il nous montra en croisant les poignets qu’il se considérait ici comme prisonnier du régime. 
 
Les gradés étaient horribles. Un père du nom de Gottlieb osa demander à parler gentiment si possible à son fils. «Sie sollten Satan heissen und nicht Gottlieb. Vous devriez vous nommer Satan et non Amour de Dieu. » Je me rappelle notre départ. Il était rentré dans le compartiment. «Ah ! sœurette, dit-il, si tu pouvais me ramener dans ta petite valise !» Et il dut sauter presque du wagon car notre train commençait à partir. Je ne le revis plus. Il nous écrivait énormément. Lors de sa permission, il me raconta -sans trop en parler à maman- tout ce qu’il avait déjà enduré. 
 
Tübingen le 17. 1 . 1944 
 
« Départ en train mercredi vers la Russie. » 
 
26. 1 . 1944 Soldat Melling Feldpost n° 09496 B. 
 
« Je suis stationné entre Litzmanstadt et Varsovie. Après quatre jours de voyage, nous campons actuellement à 60 km de Varsovie puis nous partirons dans quelques jours à Orcha. J’ai vu passer un train sanitaire. Ah ! si nous pouvions en faire partie ! » 
 
31. 1. 1944 
 
« C’est dimanche, la neige a recouvert la contrée. Il fait très froid : j’ai les pieds gelés. Le vent balaie la neige dans les yeux et le visage. Le front est peu éloigné, car j’entends les canons. Pourtant la contrée est tranquille. Je suis posté sur la Rollbahn entre Smolensk et Orcha. Les croix de bois ont poussé partout tant les pertes ont été sévères durant mon absence ! Pourvu que j’aie autant de chance qu’en juillet et en septembre dernier. 
Merci, mon Dieu ! » 
 
 

2. 2. 1944 
« Il est 10 heures 30 et tout paraît noir ce matin. J’endure un mal épouvantable aux dents. J’ai la jambe gauche raidie. Après avoir fait la sentinelle, je dois déblayer la neige. Dans la nuit noire, on a l’impression de distinguer des fantômes. Il a à nouveau neigé et je puis vous dire qu’il fait un froid de canard sibérien. Pourvu qu’Ivan nous laisse tranquilles ! Pensez à moi durant ces nuits d’hiver où je ne peux dormir que deux heures d’affilée ! Un vent de neige souffle des flocons ravageurs à vous écorcher vif ! Mille coups d’épines cinglantes vous piquent dans les poils de barbe. Je grelotte à me déchausser les dents. A même le froid horrible, couvert de semoule de poudreuse, les pieds engourdis dans la misère gelée, à la fin du «posten stehen», je ressemble à un bonhomme de neige frigorifié.Mes os raidis craquent sous les assauts du froid polaire (Polarkälte). Mes yeux larmoient, les lancinantes rages de dents se succèdent. 
 
 
 
 
 
 
 
NdR : Le ciel gris quelque part im Osten avec ses nuages noirs ajoute une sale impression de peur ; dans ces contrées irréelles, calcinées par le froid polaire, la Russie profonde, avec ses nuits noires (Dunkelheit), berce les sommeils agités de mauvais génies annonçant la mort prochaine. Albert se raccroche au Dieu miséricordieux. 
 
 
 
 
6. 2. 1944 
 
Un horrible mal aux dents me poursuit avec une gingivite qui décolle et boursoufle les chairs des gencives (Zähnefleisch schrumpelt, schrumpfen en all. NdR). J’ai passé deux jours et deux nuits dans les tranchées. 

Une de mes connaissances a été blessée : quelle chance pour lui ! Le froid est atroce ; le vent souffle au point d’arracher les oreilles. Il se fait poète : Le soleil, à bout de course, fait surtout semblant de réchauffer ces immenses contrées où les aurores aux couleurs de l’arc-en -ciel créent des paysages fantastiques. Dans le halo rougeoyant du crépuscule, la vague brutale de cette chape de plomb glaciale écrase pour la nuit le pauvre Posten (sentinelle) qui bat interminablement la semelle. Sous les chutes de neige qui s’accumulent et qui, en d’autres lieux éclairent les visages rieurs des enfants, le froid vif ici paralyse. Vivement le havre salutaire du bunker ! En attendant, les minutes s’égrènent comme des heures. La bise des steppes qui déchire la solitude en sanglots lugubres glace la moelle des os. Mes doigts de pieds pèlent sous les assauts insidieux de l’engelure. Les Fusslumpen (chiffons aux pieds) sont trop vite trempés dans mes bottes en faux cuir. Ah ! si je pouvais hériter de ces moelleuses Stieffel (bottes) des troupes sibériennes toutes en feutre, rembourrées et étanches. Pourvu que les Russes, ces soldats d’élite rusés, ne viennent pas nous surprendre cette nuit. Heureusement que la lune étincelante dispense sa luminosité avec assez de clarté pour détecter les patrouilles ennemies. Il s’agit d’avoir l’œil et l’oreille aux aguets nous serine à chaque fois l’officier de ronde, comme si on avait besoin d’un dessin. Dans cette plaine laiteuse pareille à du cristal coincée entre la voie ferrée et l’autoroute (Rollbahn), le blizzard de l’Oural chasse devant nous une neige atroce et dure comme de la grenaille de fer.
 
 
 
 
 

routine harassante. Mes doigts sont en compote à force de creuser dans l’airain. Ces trous que j’excave laborieusement sont autant d’abris bien ridicules lorsque les Stalinorgel vont déchirer le coin. Pour sauver ma peau, je ne rechigne pas à m’épuiser à cette tâche colossale. D’ailleurs, mes camarades travaillent tous d’arrache-pied avec la peur qui nous tenaille et nous fait passer des nuits blanches.
Les triples gants tricotés avec du Garn (coton) par maman tiennent mes mains au chaud, sinon l’acier de mon fusil bleui par la froidure tenace me brûlerait la peau. J’arpente sans arrêt la tranchée ; le sentier que j’ai damé est dur comme une pierre tombale. Mes oreilles sont plaquées dans une espèce de chapska, faite d’un calot ajouré et triplement calfeutré. Sous un tel frimas, la vermine travaille au ralenti. Accoutré comme un épouvantail (Botzman) à me faire peur, je ne peux ni me laver ni me raser. «Ha ! Ha ! voilà la sentinelle givrée qui revient au bercail» ironise un camarade compatissant qui sait que son tour prochain l’attend. Je songe à mon travail de terrassier qui m’attendra tout à l’heure. C’est devenu une 
 
Sur plus d’un mètre, la terre ressemble à du béton. Nous la dégelons avec un petit fourneau. Le terrain gelé empêche tout travail de consolidation du bunker. Ah ! si je pouvais émigrer vers l’Ouest. Je sais que c’est impossible. Déjà papa, en qualité d’Alsacien-Lorrain, est resté sur le front russe. Ici, j’ai peur de ces hordes sauvages qui défendent le sol sacré de leur patrie. J’ai peur de tomber entre les mains de ces Russes impitoyables qui se sentent à l’aise dans leur pays. Ils défendent une cause, ils sont habitués à vivre dans des conditions précaires et surtout depuis la défaite de Paulus à Stalingrad ils ont un moral à nous dévorer crûs. Le poêle est poussé au rouge vif, et pourtant nous gelons vifs à un mètre. C’est bien simple : dans la glacière aménagée dans le talus, le kommissbrot (pain de munition) ressemble à du béton et le beurre est débité à la hache. Nous suçons les glaçons de vin provenant des bouteilles éclatées par le gel. » 
 
 
 
 
 
 
 
10. 2 . 1944 Osten 
 
« Je vous écris sous un minable éclairage (armseelige Beleuchtung). Le fourneau dégage cette fois beaucoup de chaleur. A l’intérieur, le sol gelé a fait place à de l’eau, il faut marcher sur des planches. Les nuits s’éternisent horribles (grausame) avec des tempêtes de neige dans la 
figure où il m’est impossible d’ouvrir les yeux. J’ai pensé à vous lors de ma garde à minuit, à vous savoir dans votre bon lit. 
J’ai le cou gonflé, mes amygdales (Mandel) sont douloureuses. Je passerai chez le médecin, pauvre bougre que je suis (ich armer Kerl). Je 
vais réchauffer à nouveau ma soupe aux pois d’hier soir. » 
 
20. 2. 1944 
 
Ich armer Tropf, pauvre gars que je suis ! Fichue Russie, verflixtes Russland. Nuit horrible, impossible à vous décrire. C’est mon tour de garde pour deux heures. La bise intraitable m’accompagne vers mon poste de guet. J’arpente le dédale des boyaux, bien courbé en deux car ma silhouette se découpe trop bien dans le glacis blanc qui nous sépare des lignes russes. Je pousse un juron en glissant le long de la tranchée et je me cogne les coudes en m’affalant dans le trou gelé. Mes genoux craquent lorsque j’essaie de me relever. Je dois déjà avoir du rhumatisme. Ce n’est pas étonnant avec le froid inhumain qui règne en maître ici ! Sur le ton de la boutade, la sentinelle que je viens relayer et qui claque des dents, ne signale rien de particulier. Devant mon créneau de tir, je garde mon Sturmgewehr (fusil d’assaut) le long de l’épaule. L’installer dans la neige entassée sur les bords c’est le retrouver transformé en une espèce de tromblon espagnol (spanische Büchse) ; la culasse resterait introuvable sous le givre agglutiné.
 
Il faut être paré à toute éventualité et pouvoir appuyer sur la gâchette. En tuant le temps, il m’arrive souvent de vérifier si mon fusil est toujours prêt et d’attaque. Les Russes intrépides, tels des fantômes blancs, se fondent habilement dans cette plaine enneigée. Les coups de main sont fréquents : j’ai l’oreille aux aguets, j’ai relevé à cet effet ma calotte rembourrée pour mieux distinguer les bruits insolites. Je suis sur le qui-vive, la nuit limpide et étoilée amplifie les craquements. Le Russe nous mijote quelque chose. J’envoie une fusée blanche qui illumine le décor rempli de carcasses calcinées de chars et de dépouilles ensevelies sous la neige. Je vois à plus de 100 mètres mon collègue soldat qui s’enfonce derrière le parapet. Les Scharfschütze russes sont passés maîtres dans l’art de nous trouer la cervelle. Mes yeux larmoient sous les assauts du vent. Mes pommettes se tétanisent et deviennent dures comme de la pierre. Je suis fragile des dents, l’haleine glaciale de la bise irradie de douleur mes gencives et mes dents me causent des algies lancinantes (stechend Zähnweh). Mes nerfs sont à vif et mes amygdales deviennent dures comme des œufs (wie harten Eier). Mon Dieu, que fais-je dans ce monde monstrueux ? J’ai envie d’être chez moi, auprès des miens, dans un bon lit de plumes, enveloppé par le duvet moelleux que maman a prélevé sous les ailes des canards qui barbotent dans le Kochernbach qui coule derrière la maison. Ce soir, mes chers, je pense à toutes mes parties de pêche avec le panier où un remue-ménage argenté de vairons s’agitait chaque fois dans l’osier tressé. Derrière notre maison, s’étage une espèce de piscine naturelle où nous, les garnements, aimions nous ébattre. De là datent mes premières brasses. Un obus éclate tout près et me transpose dans le contexte hostile. A nouveau, la poudreuse a fait son apparition et me recouvre imperceptiblement. Je me secoue car la semoule céleste dégèle et fond dans mon cou, accentuant mon mal de gorge. Une rasade de schnaps me fera dans une demi-heure le plus grand bien. J’ai donc passé 90 minutes ici ! et machinalement je me mets à nouveau à réciter le chapelet. 5 dizaines de je vous salue, Marie que j’égrène sans bouger les lèvres craquelées enduites de saindoux ! 

J’ai une pensée fugitive vers la crypte du collège de Bitche dans laquelle se nichent dix petits autels où les curés célébraient chaque matin la messe. Papa y était descendu en venant me rendre visite un dimanche de parloir. Que ce temps béni me semble lointain ! Je vis ici dans l’enfer... Dieu, que ça va être bon de terminer sa veille. Rien de sérieux à signaler. Le Russe en face doit aussi se geler le bout du nez et se morfondre sous les assauts du rude hiver. La froidure lui enlève toute velléité de conquête. 
  
 
D’ailleurs, s’il poussait la chansonnette trop loin, nous lui enlèverions aussitôt l’envie. En tant que vétéran j’ai réussi à surmonter mon appréhension face à l’ennemi. Il faut pour cela être toujours le plus rapide en action mais aussi se ménager une porte de sortie lorsque les sections adverses foncent vers nous. Nous les fauchons sans pitié. Elles poussent des hurlements effroyables. 
 
Heureusement que les katiouchas ne sont pas du nombre sinon elles nous pulvériseraient ! Hans va venir me relayer. En partant vers la cambuse (Bude), je lui taperai sur l’épaule histoire de le rassurer dans cette nuit malsaine. Les nuages noirs s’avancent à une allure vertigineuse et vont bientôt voiler la lune. Je me hâte vers le logis chauffé. Je pousse la porte calfeutrée et une odeur écœurante faite de transpiration et d’effluves humains me prend à la gorge. Qu’importe ! Mille fois mieux ici que dehors. Je m’affale dans mon recoin que je partage avec Hans. Sa paillasse est encore chaude ; vite, je déchausse mes bottes durcies et encroûtées de neige. Les Fusslumpen (chiffons pour envelopper les pieds) sont accrochés aux fils qui courent dans l’abri. A défaut de confiture, on pourra toujours étaler ton Zewekäs ! (fromage entre les doigts de pied, NdR) plaisante en se 
pinçant le nez un Berlinois, assez sympathique. On m’a préparé du Kräutertee (tisane aux plantes) et je lampe à petites gorgées ce liquide brûlant qui décongestionne aussitôt mon larynx irrité. Une rasade de schnaps achève de me requinquer. Vite, je me recouche dans les horribles sacs de jute. Mais déjà la vermine intenable refait surface et sort de sa léthargie forcée ; ça me cause d’horribles démangeaisons et pendant 2 ou 3 minutes, en 
serrant les dents, je reste impassible sous le grattage infernal des bestioles. Puis, d’une brusque détente, je me lève pour m’attaquer à ces puces sournoises. Si je ne fais rien, je vais encore me griffer au sang. L’inspection commence ; mes ongles écrasent en masse ces parasites. Mon linge de corps, gris sale et troué, dégage un relent fétide qui fait pousser des hoquets à la cantonade. Personne ne pipe mot car nous sommes tous logés à la même enseigne. Depuis plus de trois semaines, aucune relève n’a été faite. Nous ressemblons tous à des sauvages. Nos cheveux gras sont hirsutes, la crasse s’étale partout. 
 
« Tu viens jouer aux cartes, insiste le sergent. 
 - Non, j’ai à faire. Il faut que j’écrive à maman pour la rassurer ! » 
 
Le matin approche. L’homme de quart s’affaire pour activer le feu. Le Keks (biscottes très sèches) que je trempe dans ma tisane fade calme mes gargouillis. Quand je pense au lait crémeux de chez moi ! Pour midi, ce sera à nouveau mon tour de garde et je sais qu’auparavant je vais encore me régaler d’une boîte d’horrible viande que je mange sans grand appétit. La journée s’annonce claire. Attention donc aux Russes qui vont encore nous gratifier de quelques pruneaux bien ajustés ! Nous n’avons rien à leur opposer. Il faut économiser les munitions plaide gentiment le lieutenant. La fraternité des armes vécue dans ces conditions difficiles amadoue le gradé qui ne cherche plus à nous mener la vie dure. Il sait sans doute qu’une balle perdue peut très vite l’envoyer zum ewigen Vater, chez le Père éternel. » 
 
23. 2. 1943 
 
« J’ai à nouveau sacrifié ma nuit pour travailler. Nous avons creusé des tranchées de 17 heures à 2 heures du matin. J’ai écrit aux Koch, à Georgette, (les voisins, NdR).

inspire la guerre. Je suis habitué au fameux ratsch’ boum. Eux, ils vont le découvrir. J’ai d’ailleurs avec moi un effronté galopin imprégné d’idéal hitlérien qui fait preuve d’un mordant qui m’indispose. Attends, polisson (Lauser). Mon vœu ne tarde pas à se réaliser. Les Russes nous 
 Dix mois d’armée sur le front de l’Est confèrent une dignité à l’ancien que je suis face aux jeunes bleus qui nous arrivent pêle-mêle des centres des R.A.D. disséminés en Allemagne. Leurs visages blêmes reflètent déjà l’appréhension que leur 
envoient quelques pruneaux près du taillis où nous sommes postés. Ces obus arrivent sans crier gare : l’entonnoir est déjà creusé alors que nous arrive le bruit de la décharge qui éclate en tonnerre. Ratsch...boum ! 
 
Mon fier-à -bras a ravalé son caquet et se pelotonne au fond de la tranchée. De la terre et des impacts métalliques nous grenaillent et nous entourent constamment. Lève-toi, blanc-bec, les Ivans vont peut-être tenter une sortie ! Sous son casque rabattu qui dévore son visage gris d’angoisse, le jeune s’amène piteusement en tremblant afin de m’aider à approvisionner la mitrailleuse. Je hume l’air et je pars d’un gros éclat de rire : Scheiss Kerl ! t’as chié dans les frocs ! » 
 
 


24. 2 . 1944 Dimanche. 
« L’ennemi ne nous laisse aucun repos dans ses attaques suivies peu après de tempêtes de neige. En avez-vous entendu parler ? et nous toujours dehors au poste de sentinelle ! On ne voit pas à deux mètres, tellement c’est horrible et pénible. Nos trous individuels avaient disparu, égalisé par la neige. Après ça, il a fallu continuellement déneiger à la pelle mais le zigoto nous a tiré des obus (der Hund hat dann mit Granaten geschossen) et la Schweinerei était là ! Un Lorrain est mort ainsi que de nombreux Allemands. D’ailleurs j’ai eu de la chance ; le souffle d’un obus explosant non loin de moi m’a soulevé et jeté sur le dos. J’ai dû en rire peu après. Nous sommes inquiets. On dirait que le Russe nous réserve une nouvelle bataille.
 
Je suis depuis peu à 30 km à l’arrière, loin de la Rollbahn, c’est tranquille. Pendant huit jours, je vais pouvoir apprécier le poêle chaud et me reposer comme il faut. Je m’inquiète pour Camille. Ces longs monologues ont pu être expédiés par des amis permissionnaires et ont échappé ainsi à la rigide censure militaire. 
 
 
 
 
 
 
2. 3. 1944 à l’Est quelque part. 
 
« Quelle misère pour nous les Lorrains ballottés par l’histoire ! Après les pères, les fils ! 20 ans après rebelote ! (das selbe in grün) J’ai reçu votre lettre du 3.2 avec un mois de retard. Pourtant, je sais que vous m’envoyez régulièrement des colis et des lettres. Sans doute, comme je vous le 
mentionnais déjà, vos envois ont été perdus, volés ou retardés par les partisans. Je serais si heureux si la guerre s’arrêtait. » 
 
Lydie écrit au général Traut. (Photo ci-dessous, visite du général Traut dans les tranchées) 
 
 
 
 

3. 3. 1944 à l’Est. 
«Je suis heureux de dire ma joie de savoir Camille en permission. Quelle drôle de jeunesse ai-je à vivre dans cette Russie épouvantable (grausames Russland). Depuis 1935 je suis séparé de vous (les années de collège). Mon Dieu, vivement la Paix ! » 
 
5. 3. 1944 
 
« Ça barde devant nous. Nous avons effectué une marche de 20 km en avançant vers le front. Nous sommes arrivés, épuisés à la roulante, vers 19 heures. Il restait encore 5 km à faire avant de parvenir aux tranchées. Comme il se faisait tard, le lieutenant a décidé que nous irions demain. Der 
Russ schiesst wie verrückt (Le Russe tire comme un forcené). Toute la nuit, un tir continu d’obus s’est abattu dans notre secteur. Heureusement nous ne sommes arrivés dans les tranchées que le matin ! Il tire avec la grosse artillerie à proximité. 
 
Je séjourne actuellement dans une maison russe et j’en profite pour vous écrire. Que Dieu me protège, je le conjure. Camille est déjà reparti, le congé a été court pour lui. Je vous expédie mon courrier par avion. » 
 
6. 3 . 1944 Lundi 17 heures, 
 
Nous sommes bloqués dans un Hexenkessel, un chaudron de sorcière. A nouveau, Trommelfeuer (feu roulant) comme hier. J’ai observé les tanks ennemis sur ma gauche ; je ne peux vous communiquer tout ce que les Russes ont pris. Pourvu qu’on se tire du piège pour ne pas finir encerclés (eingeschlossen). Sinon, nous partirons pour la Sibérie (Sibirien). Promotion ordonnée par le capitaine : Gefreiter, caporal. 
 
7. 3. 1944
 
« Que sa volonté soit faite ! (sein Wille geschehe) Qu’ai-je eu comme jeunesse ? rien ! Qu’en ai-je à attendre ? toujours rien ! Mais je garde un énorme espoir pour voir cette guerre s’éteindre et se terminer. Je suis installé dans le bunker pendant qu’au dehors éclatent et sifflent les obus. Cela va bientôt faire trois mois que je suis à nouveau chez les Russes. » 
 

8. 3. 1944 Mercredi 
« Mes camarades dorment. J’entretiens le feu et je profite pour vous écrire. J’ai reçu votre lettre du 23.2 . Un tir nourri d’obus s’allume au 
dehors, c’est à devenir fou. Si vous lisez le journal vous saurez comment, dans l’enfer déchaîné, les deux tiers des compagnies russes 
ont été décimées, leur artillerie écrasée et leurs tanks détruits. Je ne souhaite pas vous décrire l’état des lieux ni notre moral. La Wehrmacht communique : Lors des âpres combats de résistance autour de l’autoroute de Smolensk, la 78 ème division de Bade- Wurtemberg placée sous les ordres du général Traut, a connu de grands succès. L’ennemi a perdu entre le 5 et le 8 mars plus de 4 000 tués, 43 tanks, 45 canons et d’innombrables armes de tous calibres. 
 
Historique de la division : 
 
Le 5 mars au matin démarra le Trommelfeuer russe. Nos canonniers, tireurs de roquettes, lanceurs de mortiers attendaient le signal d’aide 
des grenadiers dans leurs lignes. Des lucioles rouges annoncèrent l’entrée en scène des Russes. Aussitôt des feux d’arrêt furent exigés sur les points Arras, Eupen et Bern déjà si chaudement convoités lors des quatre précédentes fois. Des T 34 s’avançaient. Aussitôt nos Tigres et canons 
automoteurs se mirent de la partie. Nos défenseurs se tenaient les genoux dans l’eau glacée et argileuse. Les pertes russes étaient incroyables, les nôtres importantes également, non pas tant du fait des attaques ou des contre-attaques mais dues au feu roulant. On ne peut pas assez féliciter les infirmiers, les brancardiers qui s’occupaient des 1ers soins et emmenaient les blessés vers l’arrière où ils étaient pris en charge par des médecins- 
officiers qui les soignent nuit et jour. Les plus grièvement atteints étaient embarqués sur des Ju 52 (Junker). Le point culminant de la bataille se situa le 3 ème jour où toutes nos forces furent engagées. Les trains d’équipage (Tross) ramenaient vers les régiments et au plus près des bataillons et des sections, les indispensables «biens» pour nourrir l’offensive et cela sous le feu ennemi. Des tonnes de munitions et de ravitaillement furent ventilées 
dans la troupe combattante. Les cuistots, les chauffeurs assuraient la subsistance chaude aux estomacs affamés. On mit deux nuits et un jour 
pour nettoyer la percée faite au sud... On fit l’éloge de la division pour la 5ème fois dans le communiqué de la Wehrmacht. 
 

11. 3 . 1944 Changement d’écriture (Spitzschrift benutzen) Albert l’utilise pour s’entraîner. 
Mes chers parents, frères et sœurs, Je peux à nouveau vous écrire quelques lignes. Ne vous moquez pas de moi si j’utilise une autre écriture par rapport à mon écriture classique. Je dois m’assurer que je la maîtrise encore car il faut que je réfléchisse avant de coucher les lignes sur le papier, ce qui n’est pas votre cas puisque vous, vous utilisez ce type d’écriture depuis de longues années. (Les parents d’Albert écrivent en allemand, conséquence de la défaite française de 1870 qui a vu la Moselle être intégrée à l’Allemagne, NdR.) . Mes chers, je suis à ce jour toujours en bonne santé et j’espère de tout cœur vous savoir également en forme, là-bas dans notre belle patrie où je séjournerai bien volontiers si la guerre entre 
temps ne s’était pas engagée. C’est ainsi hélas, Dieu l’a voulu, c’est le destin et c’est sa volonté et non la nôtre, car Lui l’Eternel sait au mieux ce qui est bon pour nous. Mes chers, voilà à nouveau deux jours durant lesquels je ne vous ai pas écrit, n’en soyez pas chagrinés, mes chers, je n’y puis rien, j’avais commencé à vous écrire lorsque j’ai dû faire autre chose. A mon retour, il se faisait tard et le préposé à la cuisine était déjà parti en emmenant le courrier. Mes chers, je suis cloîtré dans le bunker et je pense à vous. Vous, vous pouvez séjourner dans votre vieille cuisine, regarder par la fenêtre et apprécier la lumière du jour. Chez nous, il n’y a pas de fenêtre. Une bougie nous éclaire tout au long de la journée en diffusant une clarté à pleurer (jemmerliches Licht). 
 
La nuit, nous travaillons ou bien nous montons la garde. N’oublions pas au passage la chasse aux poux (das Läuse fangen), qui sont épouvantables et bien coriaces même en période de froid, car ils ne nous laissent pas en paix. Marcel m’a donné de ses nouvelles, cela m’a fait bien plaisir. J’étais dehors voilà peu, ne me demandez pas comment ou pourquoi. J’ai été forcé (gezwungen). Es ging ums Leben : il y allait de notre vie. L’obus est arrivé en miaulant (geknallt) et j’ai tout juste eu le temps de faire un écart et déjà il éclatait (gekracht). Mes chers, je clos ma lettre pour aujourd’hui. Je tremble encore d’effroi (Schreck). Vous pouvez vous faire un aperçu de ce que peut-être notre vie ici. Tout à l’heure, il y a 
eu un tir d’obus intense. Effroyable (schreckend) ! Soyez salués et embrassés, Votre Albert qui séjourne bien loin (in weiter Ferne). » 
 
16. 3 . 1944 Jeudi 16 heures 
 
 

« Après une heure de garde, à peine, j’avais les habits mouillés jusqu’aux os. Temps exécrable : il règne ici en maître un temps humide et glacé (nass und eiskalt). J’ai une sacrée ch... avec des traces de sang visibles. J’en veux à mort à ces militaires, ces assassins de ma jeunesse (diese Militären, diese Mörder meiner Jugend). J’ai enduré trois heures de garde cette nuit dans mes bottes glacées. La nuit précédente, quatre obus ont explosé au bord de mon trou. J’ai été propulsé par leur souffle d’un bord à l’autre puis expédié, jambes en l’air, dans l’eau. » Das Bollwerk der Autobahn (le bastion de l’autoroute). 
«...Chacun de nos soldats, qui subit le diabolique tremblement de terre et qui aperçoit, à travers le brouillard noir et gris des explosions, le cortège de fantômes angoissants, sait qu’il est au milieu de l’enfer. Chacun de ces ultra-courageux se tapit au fond de son trou. Ces grenadiers intrépides de 18, 19 ans, venus du Wurtenberg, de Bade, d’Alsace ou de Lorraine, ces jeunes aux yeux clairs et audacieux, se sont dépêtrés de leur condition de civils pour devenir de glorieux combattants, des hommes mûrs rompus aux assauts, endurcis par les privations, confiants devant la mort, rois de l’Armée et desquels dépend le sort de l’Allemagne. Autour d’eux, la campagne se dénature. Les vergers, les forêts, les taillis font place à des souches et à des squelettes d’arbres. Les salves ennemies ont tracé des entonnoirs l’un à côté de l’autre. Ces trous béants de 5 mètres de diamètre, profonds de 2 à 3 mètres, ont noirci le paysage de neige désormais noir de poudre, embruni de mottes la terre gelée, rougi de sang les plaques de neige bordant les tranchées. A part le blanc à perte de vue, ce sont les seules couleurs visibles du paysage. Nos fossés sont comblés et nivelés, les bunkers éventrés.Des adjudants et des sergents suppléent les officiers tombés. Et lorsque les vagues d’assaut soviètes s’avancent têtues dans cet univers lunaire, nos gerbes mortelles et les grêles de grenades les terrassent. Les dépouilles ennemies s’étagent en 3 ou 4 couches dans nos tranchées au point que nos fantassins reculent dans un second fossé offrant un meilleur abri aux tirs.»
 
(Édition spéciale du Stosstrupp pour les soldats de la 78). 
 
19. 3. 1944 
 
« Fête de la Saint-Joseph. Dimanche (15 heures) j’en profite pour vous écrire. Des jours très difficiles à surmonter m’attendent. J’espère l’appui paternel de Saint Joseph. Dieu était là aujourd’hui pour me protéger. » 
 
22. 3. 1944 

« Je confie ma lettre à un permissionnaire. L’infirmière au Krankenrevier soigne ma dysenterie. Je ressemble à un voleur. Mon état n’était plus supportable, aussi me voilà au sec pour quelques jours. » 
 
24. 3. 1944 
 
« Je suis faible et malade parce que j’endure depuis quinze jours des maux de ventre et d’intestins dus à un refroidissement intestinal (Darmverkältung). Je ne peux plus rien manger, les coliques me font trop souffrir. Je suis très fatigué ! » 
 
24.3 . 1944 à Camille de l’hôpital. 
 
« Alors le pauvre Bour Emile est mort ? (voir récit le concernant). Remarque cela aurait pu m’arriver le 18.3 . J’étais avec mes camarades dans le bunker lorsqu’à midi, 4 Russes nous ont attaqués. Nous les avons chassés, je les ai poursuivis avec mon pistolet-mitrailleur et voilà qu’à un 
moment, 10 Russes environ se trouvèrent à trois mètres de moi. Grâce à Dieu, je les ai aperçus, à la dernière seconde. Je me suis baissé et déjà leurs balles miaulaient au-dessus de moi. Un camarade est mort, un autre blessé à la main et avec les autres nous sommes sortis vivants du choc. » 
 
27. 3 . 1944 Die Kostina Mulde (dépression de terrain) : position d’Albert Melling. 
 
 

Les grenadiers souabes qui tiennent la position la désignent sous le vocable : Aire ou plancher des combats rapprochés - Nahkampf Diele- . 
Il existe au sud du Dniepr supérieur, une  avancée de front, en forme de nez s’incrustant dans le niemandsland à 50 mètres à peine des tranchées ennemies. Bien que personne ne l’évoque, c’est un coin chaud qui a été d’innombrables fois le théâtre d’âpres combats rapprochés. 
La fierté qui anime ces gaillards les conditionne pour tenir tête aux dangers cachés du secteur. Cette expression prouve aussi que nos soldats 
ont gardé de l’humour par rapport à leur temps de rude formation comme recrues. Cette définition appréciée trouve son origine à la fois sur les terrains de manoeuvres où l’outillage suit la troupe et sur le front dans la lutte homme contre homme avec grenades, MPi (Maschine Pistole) et arme blanche. Retour vers notre «parquet». C’est un matin de mars, humide et glacial, et où la neige tombe éparse du ciel laiteux et non brumeux. La nuit s’est achevée comme toutes les nuits passées ici à savoir que l’adversaire a tiré avec ses armes légères sans interruption et à l’aveuglette dans le 
paysage, comme à l’accoutumée. A l’aube, enfin il se calme. Nos grenadiers sont heureux d’avoir pu passer une nuit sans trop d’inconvénients majeurs. Entre chien et loup, une sentinelle bat la semelle dans une sape aménagée au plus près de l’ennemi. C’est durant cette période que notre homme doit être vigilant ! car l’adversaire estime à priori que c’est l’heure propice où notre surveillance baisse la garde. Et voilà que le guetteur remarque subitement un mouvement suspect dans notre réseau de barbelés. Deux formes émergent, en voilà d’autres, bientôt tout un groupe toujours plus nombreux. Il épaule et déjà claquent les balles mortelles dans le tas sauvage. 
La première bande de balles est éjectée et avec des gestes précis et sûrs, il introduit la seconde et la pétarade continue. Les Bolchévistes s’aplatissent et ne peuvent avancer. Voilà un soldat intrépide 
qui, à lui seul, cloue au sol vingt Rotarmisten (soldats de l’Armée Rouge, Ndr). Ses camarades alertés accourent, tandis qu’il balance ses grenades à main dans le décor. Sur ces entrefaites, arrive la rescousse. Le chef de compagnie est là, bien sûr. L’ennemi vient à nouveau d’être haché dans notre réseau de barbelés.
 
Les morts gisent devant nous, seuls les blessés sont ramenés vers leurs lignes. Nous n’avons aucune perte à déplorer. Grâce à l’esprit de camaraderie et à un matériel perfectionné et sûr, notre soldat peut ainsi surmonter le pire des dangers. Qu’il puisse longtemps encore faire exécuter aux Bolchévistes la danse de la mort ! (Extraits du journal «Stosstrup», mars 1944).  
 
 
 
 
 
27. 3. 1944 
 
« J’ai reçu votre paquet du 4 mars qui contenait vos très bons biscuits (extra fein). La saucisse, je la sais faite par la main de maman (aus Muttershand). Maslo de Hambach est tombé : il faut le taire à sa famille (verheimlichen). Espérons que Dieu vous épargne une si terrible nouvelle annonçant ma mort. (Hoffentlich bewahrt euch Gott von dieser schrecklichen Nachricht.) 
 
30. 3. 1944 
 
« Je vous réclame du papier et de quoi écrire, car mes camarades m’en prêtent. Je suis de tout coeur avec vous car dans quelques jours je serai à nouveau dans les tranchées. Combien je regrette la douceur de notre cher village ! Restez en bonne santé ! » 
 
31. 3. 1944 
 
« A tous, joyeuses Pâques ! Le printemps (der Frühling) doit resplendir joyeux chez vous.... » 
 
NdR: Nostalgie, jeunesse, Dieu, famille : voilà les thèmes continuels qu’Albert aborde dans ses courriers. 
 
1. 4. 1944 
 
« Ah ! vivement la paix ! Quelle joie si on me l’annonçait ! Je ne sais ce que je ferais ? Si je le pouvais, je ferais 50 km par jour et je serais chez vous dans six mois peut-être ? » 
 
NdR : Les points abordés concernent Pâques, la paix et Dieu. 
 
4. 4. 1944 
 
« Tempête de neige : J’aimerais avoir Marcel à mes côtés dans la tranchée. Les coups de feu sont nombreux autour de moi. » 
 
6. 4. 1944 
 
« J’utilise chaque minute que Dieu me donne pour écrire. Je dois à nouveau aller chez le médecin. » 
 
8. 4 . 1944 à Camille 
 
« Pourvu que ta vie de soldat soit meilleure que la mienne dans leurs superbes tranchées humides, constamment humides. Pourvu que le Russe, pour les Pâques orthodoxes (demain), ne nous fasse pas pleuvoir comme cadeau des œufs de Pâques (Ostereier) avec lesquels il a commencé aujourd’hui. J’espère qu’on pourra bientôt se revoir. Aujourd’hui samedi, avant les Pâques russes, malgré mes yeux fatigués, 
j’écris pour vous réconforter. Gott ist der Herr über Leben und Tod. Dieu est Maître de la vie et de la mort. Vous, vous entendrez sonner la seule cloche restante, moi pas. J’ai le coeur triste. » 
 
9. 4. 1944 
 
«Tristesse, larmes, mon coeur déborde de chagrin. J’ai envie de hurler ma haine envers tout le monde. Que fais-je dans ce pays de malheur ? L’insécurité à l’arrière existe, les partisans nous rendent la vie impossible. Tout est en état de siège : les gares sont solidement protégées sur tout le parcours ferré. Notre ravitaillement suit mal, il faut vivre sur le pays et aller chaparder chez l’habitant. La vasière grouillante débordant de bestioles sans nom me donne certains soirs le coup de grâce et je m’affale avec mes bottes dans un coin de taudis. Mon sommeil est agité. Je reste noir de saleté avec une longue barbe horrible, accoutré dans mes habits sales. Mes pieds sont plissés, étant sans arrêt mouillés dans les Gummistiefel 
(bottes en caoutchouc). 
 
Bientôt je serai à mon poste. Le front paraît calme bien que cette nuit des oeufs soient tombés. De l’arrière, nous avons seulement reçu un fromage à faire fuir les Cosaques. Je n’ai pas dormi mais toujours dû travailler, mais le Albert est habitué. » 
 
14. 4. 1944 
 
Une lettre parentale reçue le même jour évoque la perquisition domiciliaire. C’est du culot ! « Nous surveillons une contrée marécageuse toujours à trépigner des pieds pour ne pas nous noyer dans la gadoue. Une demi-heure de sommeil possible dans le bunker, pas plus ! Nous dormons debout, avec des têtes fiévreuses et des yeux humides de détresse. Impossible de lutter contre les éléments déchaînés de la nature ! 
Nous sommes des demi-portions face à l’eau. Un vrai cataclysme nous submerge, Saint Pierre avec l’aide de Noé, a ouvert les vannes du ciel !» 
 
16. 4. 1944 
 
« Je vous ai envoyé 3 paquets de tabac, j’ai travaillé toute l’après-midi. Dimanche in albis (Weisser Sonntag) : je suis toujours sale, à peine reconnaissable avec ma longue barbe. » 
 
17. 4 . 1944 Quelque part, im Osten 
 
« Comme pour tout soldat sur le front de l’Est, la boue, la vase et l’eau sont notre lot quotidien. Pas de repos. Je rentre de garde, ouf ! Les grenades tombaient, c’était épouvantable autour de moi. J’ai prié dans la tranchée. Je suis heureux d’être remplacé et en sûreté dans le bunker. Impossible de gratter la boue que j’ai encore dans ma figure. Depuis hier, j’ai dormi une heure et demie à peine ! Quelque part, im Osten : chaque introduction de lettre démarre par ce préambule dans lequel il paraît difficile d’imaginer le calvaire d’Albert. Quelle santé de fer ! car il subit de durs combats pour maintenir avec ses camarades les difficiles positions du front qui leur sont dévolues dans cette Russie infinie. La mort de Maslo de Hambach survenue le 27 mars 1944 permet de positionner son emplacement sur la Rollbahn. Le Russe qui se conformait les deux années précédentes à un immobilisme prudent n’arrête plus ses opérations. Dans la boue comme dans la neige, même si les Russes piétinent, ils entretiennent la guerre d’usure ! (cf. lettres des 6 et 8 mars, attaques du bunker le 18 mars et le 17 avril). 
 
21. 4. 1944 
 
«J’ai échappé à la Mort en sautant de sa pelle (Dem Tod auf der Schaufel herunter gesprungen). L’Onkel von Soulzbach doit bientôt venir vous voir. Je serais peut-être chez vous pour lui tenir compagnie. » 
 
NdR : Onkel de Soulzbach = cochon qui va être tué en cachette. 
 

22. 4. 1944 Le soir 
« J’ai peu dormi depuis hier (trois heures). Mes nerfs sont à bout aux trois quarts. Je sursaute sans arrêt en dormant. J’ai besoin de récupérer. Mon sort est entre les mains de Dieu. » 
 
25. 4. 1944 
 
« Je suis abonné jour et nuit à la garde. Je rêve d’un bon drap jusqu’aux oreilles à la maison. Il pleut sans arrêt, mes pieds humides fondent dans les marais. Quelle épreuve ! Nous n’avons rien à rire ! » 
 
1. 5. 1944 
 
« Deux jours de repos à 5 km à l’arrière du front. Nous partons ce soir dans la position principale pour la consolider. Je suis revenu exténué au matin. » 
 
6. 5. 1944 
 
« Départ des camarades au front. Moi, au repos. Je suis de corvée à l’intérieur du bunker. »
 
6.5. 1944 Samedi (lettre écrite en français.) 
 
« 0 heure 30 minutes sont passées maintenant. Mon cher petit frère, vite ces quelques mots écrits cette nuit pour te dire que je viens de recevoir ta gentille petite lettre. Je te remercie beaucoup, elle m’a fait grand plaisir et surtout j’ai ri sur le coup à propos de ton anniversaire et de la façon dont tu l’as fêté chez le père Philippe. Ce n’est pas bien grave, mon frérot, ne t’en fais pas, on les aura quand même. Ces heures où l’on aurait pu faire la belle promenade (promenade ? s’agit-il de l’évasion en France qu’ils avaient abordée lors de ses congés ? NdR) sont hélas loin de nous et sont passées maintenant, n’y pense plus. A partir de maintenant, j’écris toujours en français, j’aime mieux. Juste à maman que j’écris en allemand. » 
 
 
Camille Melling, son frère, précise : (voir son témoignage par ailleurs) J’ai pu bénéficier, lors de mon R.A.D., de 3 jours de congés exceptionnels pour venir à la maison et y retrouver mon frère Albert récupérant sa santé perdue suite à sa blessure. J’ai vu deux profondes balafres dans son dos, à hauteur de la colonne vertébrale, signalant deux trous cicatrisés de la taille d’un poing.

7. 5. 1944 
 Seul à seul, je lui ai dit : «Filons, nous laisserons un mot d’explication !» J’avais mon idée. Mon oncle, chauffeur-mécanicien sur loco à Dieuze nous aurait hébergés et conduits par Vergaville vers la France. Albert a refusé, plaidant que nos deux désertions entraîneraient des représailles abominables sur la famille qu’il chérissait avant tout. Il préféra retourner «à l’abattoir» car disait-il : «Je ne veux pas mettre la vie des miens en danger de mort. A quoi ça me sert de sauver ma peau si je sacrifie ma famille ?» et mon frère partit sans tenter sa chance d’évasion. Je me souviens qu’au détour d’une des lettres qu’il m’a par la suite envoyée, il admirait mon courage et regrettait de ne pas avoir tenté la «chose», le tout était dit à mots couverts pour ne pas éveiller l’attention des scribouillards de la censure. Je tenais également à signaler le cas de mes trois cousins Melling originaires de Forbach, tous morts durant la guerre. * Le sergent Melling Jean; instituteur, mort à Cappel le 14 juin 1940. * Melling Etienne, cheminot et *Melling Joseph, instituteur, tous deux Malgré-Nous. 
 
« Tir continu cette nuit, je jalouse les camarades blessés qui sont rapatriés. L’enfer est déchaîné (Hölle heis). La belle nature est en fleurs. C’était hier, un jour merveilleusement beau, le paradis ! avec un air si embaumé qui invitait à la rêverie. » 
 
10. 5. 1944 
 
« Le soir, temps de mai royal. J’ai effectué une marche de 10 km avec 4 km de garde, le long de la Rollbahn. La pluie nous accompagne. » 
 
13. 5 . 1944 samedi soir (lettre censurée) 
 
«Mes chers parents, frères et sœurs, je veux ce soir vous faire parvenir à nouveau quelques lignes. Je suis toujours bien portant et fringant et en souhaite autant de tout cœur de votre côté, mes chers, dans la belle patrie en pleine floraison et dans sa nature somptueuse. Malheureusement, en cette belle saison, je ne peux être à vos côtés. Quel immense bonheur si je pouvais être chez vous, mais hélas je suis toujours encore dans cette 
maudite Russie et sans doute longtemps encore.
 
 
 
*Ndr : j’ai vainement cherché à lire sous l’encre indélébile et opaque les mots litigieux. 
 
16. 5. 1944 
 
« Quel merveilleux printemps ! Je lance un coup d’œil vers vous, vers le jardin. Encore 45 jours à attendre. J’écris à Marcel et Camille. J’éprouve une intense nostalgie vers la terre de mes aïeux. » 
 
17. 5. 1944 
 
« Pour aller au front, et travailler en terrain découvert, sous le tir ennemi, dites, il faut être fou et sourd car ça siffle aux oreilles. Papa a eu la chance de rentrer sain et sauf. Dans six semaines je serai chez vous. » 
 

20. 5. 1944 
« Je rêve de la paix. Je souhaiterai que nous puissions être ensemble. Le ciel tout noir, avec des orages et pluies torrentielles (Wolkenbrüche) annonce Pfingsten (Pentecôte). Ma jeunesse perdue m’obsède. » 
 
21. 5. 1944 
 
Camille a prié pour moi à l’église lors de l’adoration perpétuelle (ewige Anbettung). Dans le bunker il n’y a pas de feu, il fait froid. De gros orages éclatent, nous toussons tous. Nous sommes dehors sous les trombes d’eau. » 
 
A partir de printemps 1944, à travers le contenu des lettres apparaît un autre homme, mûri et décidé. Mûri par les dures conditions de soldat d’élite, défendant logiquement sa vie au contact des unités russes, décidé à se battre pour survivre, Albert ne relate pas à ses parents la situation épouvantable dans laquelle il se débat. Son frère Camille est son seul et rare confident à qui il brosse un tableau hallucinant des combats menés pour subsister. Il ose écrire en français (3 fois) bravant la toute puissante censure. 
 
23. 5. 1944 
 
« Assis dans le bunker près d’une minable table en train de vous écrire, je lutte contre le sommeil. Je suis revenu du front bien fatigué. Le climat est très chaud au point qu’il faut quitter la chemise. J’ai pris un schnaps. Papa de son temps en recevait-il aussi ? » 
 
27. 5. 1944 à son frère : 
 
« Plus que quatre semaines et je serai enfin en congé. Notre bunker est érigé sur un tertre d’où l’on peut superviser à travers des embrasures chaque repli de terrain devant nous. C’est un abri assez spacieux, entièrement constitué d’énormes rondins. Nous l’avons enveloppé d’une montagne de terre si bien que des salves d’artillerie ne peuvent mettre à mal cet abri. Nous nous sommes organisés avec les autres unités en appui fermé. Nous nous protégeons mutuellement. Si les Russes convergeaient vers notre bunker, aussitôt les feux de réplique de nos voisins s’abattraient autour de nous. C’est la mini ligne Maginot comme à Barst ! Tout un dédale de Laufpassage rayonne autour de ce dispositif. Les tranchées de communication fourmillent. A tour de rôle, après une ronde à l’extérieur, nous jouons à l’homme à tout-faire, préparer la tambouille, alimenter le 
feu, veiller à constituer les patrouilles et les postes de garde, sécher tous les habits, préparer le Tee (tisane). Le schnaps nous réchauffe le coeur. Demain, il faudra à nouveau paver les champs de mines (l’une ou l’autre explose) et aménager des points d’appui pour briser les attaques et bourrer de maigres explosifs quelques points de passage indiqués. » 
 

30. 5 . 1944 Lettre en français à Camille. 
30. 5 . 1944 Lettre à ses parents 
 
« Je suis depuis deux jours dans les positions avant de revenir travailler à l’arrière. Ils, (les avions, NdR) vous ont embêtés du côté de Sarrebruck. J’ai renvoyé hier un paquet de tabac à papa. » 
 
5. 6. 1944 
 
« Je sais que les avions viennent souvent du côté de Sarrebruck. Vous devez commencer à avoir peur car ils pourraient vous envoyer des «oeufs» sur la tête. Pourvu que le Russe nous laisse tranquilles à la Rollbahn. Vivement la permission. » Une Rollbahn, comme son nom l’indique, est une autostrade pour rouler le matériel vers le front. Les combattants sont reliés aux bases de l’arrière qui les ravitaillent en armes, munitions, carburants et nourriture. Dans cette étendue infinie, ce long ruban unique doit être protégé jour et nuit de l’activité sournoise des partisans, une vraie calamité ! Les autres voies secondaires de communication sont détestables. Le commandement ne peut s’offrir de redéploiement inutile en hommes sur tous les axes non prioritaires (et qui sont très souvent entravés d’attentats). L’O.K.H. (Ober Kommando des Heeres) privilégie donc le cordon ombilical nourricier, qu’il faut entretenir en posant du ballast ou des rondins de bois. La Rollbahn près d’Orcha revêt une grande importance pour les Allemands. Parquée entre les fleuves Duna et Dniepr, la porte de Smolensk (Tor von Smolensk) permet de fondre vers Moscou : elle est traversée par la vieille route des relais de poste, mais aussi par le rail et l’autoroute et elle revêt de ce fait un intérêt stratégique de premier ordre. L’inverse est vrai également pour les Russes. S’ils arrivent à percer le verrou d’Orcha, ils pourront foncer vers le coeur de l’Allemagne. Un combat à mort va donc s’y dérouler pour terrasser l’adversaire. 
 

8. 6. 1944 
« Je n’ai pas peur, je récite mes prières, je demande au Seigneur sa protection. Dans trois semaines le congé. Vivement que le 22 juin* 
soit déjà passé, nous attendons la réaction des Russes. Il est difficilement compréhensible que le Russe ne réagisse pas à cette date anniversaire de l’entrée en guerre. 
 
(NdR. 22 juin 1941 : Hitler attaque la Russie lors de l’opération Barbarossa) 
 
Ce qui se passe en France, nous l’avons appris. Ça y est ! c’est le débarquement. Un curé ( l’abbé Friedrich sans doute, NdR) vient lire la messe cet après-midi dans le bunker à 80 mètres de l’ennemi. Je me sens mieux en assistant à une messe. La religion réconforte quelqu’un. » (Voir le témoignage de l’aumônier Friedrich). 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
11. 6. 1944 

Je rêve d’une nouvelle vie (neues Leben). J’ai le ferme espoir de revenir sain et sauf. Que Dieu me fasse surmonter les jours difficiles qui 
 
m’attendent. Je prie le bon Dieu et la Mère de Dieu. » 
 
15. 6 . 1944 Jeudi soir, (dernière lettre) 
 
« Ne soyez pas fâchés si je n’écris plus aussi souvent. Il n’y a plus les temps de repos comme avant. Une attaque est attendue. Nous l’attendons depuis quelques jours, c’est nous qui allons surprendre le Russe. Qu’est-ce que c’est que de courir 80 à 100 mètres ? Cette distance nous allons encore la faire ce soir. Imaginez ce que cela va être, pourvu que cela se passe bien. Que tous reviennent pour cette affaire d’un quart d’heure. Je n’ai qu’une hâte, c’est revoir ma patrie. Et maintenant que je pourrais y retourner, il y a Urlaubsperre (les permissions sont interdites), il me faudra à 
nouveau attendre, pourvu qu’on rétablisse rapidement les permissions car je désespère d’attendre ! Camille m’a également écrit, je vais lui répondre. On doit être heureux de venir en permission. Je vous envoie également une petite fleur aus Russland. 
 

Tous les hommes sont écœurés de la guerre (alles hat sat) et savent désormais que chaque ville sera un mini-Stalingrad ! C’est une guerre impitoyable, Albert ne veut pas finir «in Sibirien». Il concentre toute sa vigilance autour de son bunker qu’il s’agit de défendre bec et ongles -lettre du 9.4,- et le rendre invulnérable face aux troupes russes. De jeunes garçons de 18 ans suppléent les énormes vides laissés par les hécatombes de l’automne. Albert, à peine rétabli de son Heimatschuss, retourne dans le Hexenkessel maudit où il s’agit de ne pas céder un pouce de terrain. Mai s’est achevé sous un double déluge d’averses et d’obus. Tout comme ses camarades, Albert travaille en terrain découvert pour creuser des tranchées, se fixer en hérisson et blinder les bunkers successifs érigés à la hâte sur les lignes Panther et Bär. Les nouvelles de la Heimat ne sont pas gaies (ville de Sarrebruck bombardée). Juin s’annonce orageux. Le groupe Mitte s’aperçoit qu’il a face à lui des forces du simple au triple. «Fariboles» étouffe de colère Hitler, hypnotisé par le choc prévu plus au sud. « C’est une feinte ! Staline ne peut pas déplacer son Schwerpunkt (centre de gravité) de 500 km sans un phénoménal effort, d’ailleurs impossible à transférer en si peu de temps ! » hurle le Führer. Par un don de prémonition, Albert Melling sent que le 22 juin sera une date fatidique pour beaucoup de ses compagnons et lui-même. 
Témoignage de Lydia Melling 
 
Les orgues de Staline étaient démentielles, tout le monde en tremblait, mais lui le plus. Le 25 juin, on a annoncé sa mort. Maman nous dit alors : «oui, j’en ai rêvé cette nuit, il a été enterré vivant par l’explosion d’un obus.» On sut plus tard par un de ses camarades que c’est près de Orcha qu’il est tombé. Il occupait avec sa section le côté gauche de la Rollbahn. Ce coin-là fut submergé d’obus (les fameuses orgues-de-Staline !). Il était très 
croyant et nous envoyait toujours des lettres où il demandait à Dieu de le préserver et à la Vierge d’être son manteau protecteur. Cette Russie inconnue devait être son tombeau. Un jour, il me dit qu’au cours d’une attaque, un Russe caché dans un arbre, sauta par terre et égorgea un Mosellan. Albert prit ses jambes à son cou ; il lui fut impossible de répliquer. Une autre fois, parce qu’il avait cherché à pactiser avec l’ennemi, pour chercher à se rendre comme franzouski, un Alsacien le dénonça. 
 
C’était ou le peloton d’exécution ou aller faire des prisonniers russes. Il remplit sa mission, la mort dans l’âme. Faire-part de la Wehrmacht annonçant la mort d’Albert. 
 

 

Chère famille Melling, Au cours des combats acharnés des temps derniers, la 78 ème division d’assaut, à laquelle appartenait votre fils, a 
été engagée à fond pour protéger la patrie, le Vaterland, du danger bolcheviste. La manière particulière avec laquelle ont été menés les combats à l’Est est telle qu’aujourd’hui nous ne sommes pas encore fixés sur le sort exact de quelques-uns de nos soldats. Je regrette de tout coeur de devoir vous faire connaître que votre fils est du nombre de ceux-là qui, en qualité de caporal, ont pris part à ces combats. Il a été vu le 23 juin 1944 pour la dernière fois à l’occasion d’une lutte héroïque qui arrêta l’avance bolcheviste. Comme presque tous les officiers du régiment et beaucoup de camarades de votre fils sont tombés, il n’a pas été possible d’établir si votre fils a été blessé dans les combats après le 23 juin 1944 et s’il a été transporté à l’arrière dans un poste de secours ou même s’il a été fait prisonnier. Mais prenant en considération l’acharnement du combat, je ne dois pas vous cacher en effet qu’il est probable que votre fils soit tombé au champ d’honneur en soldat courageux pour notre peuple et l’avenir de notre 
pays. Je vous prie de croire que je prends part à votre douleur que peut vous occasionner cette triste incertitude. 
 
La lutte pour la victoire à l’Est est pour notre peuple entier d’une importance si décisive qu’à la longue toutes les familles auront des victimes à déplorer. Mais n’oubliez pas dans votre deuil, que vous pouvez être fiers de votre fils et de l’accomplissement de son devoir militaire. La 78ème 
division d’assaut a engagé d’importantes recherches pour recueillir des renseignements complémentaires. Je vous prie de me le signaler si vous receviez d’autre part des nouvelles plus précises. La compagnie reste fraternellement liée avec vous grâce à la bonne camaraderie dont votre fils s’est rendu digne. Je me mets à votre entière disposition pour le cas ou vous auriez besoin de conseil ou de secours. P.S. signé : illisible 

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