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Laugel Léon

« Je vous adresse quelques notes qui retracent la bataille sur le Brückenkopf de Nikopol (telle que je l’ai vécue) suivie de son évacuation. C’est dans ces épopées qu’a été mêlé Jean Ernst et où est mort Gilbert Simon. J’avais passé un hiver 1943-44 quasi tranquille à l’Ortskommandantur de Bolchaya Lepeticha, quoique le front n’était qu’à quelque 10 kilomètres. Mais je m’étais habitué aux lointains échos des canonnades et des rafales de mitrailleuses. L’Ortskommandant en titre était le sous-lieutenant Weissert. Vers la soirée du 1 er février 1944, les bruits des batailles se rapprochent et s’intensifient. Je me rends compte de la situation lorsque, dans la nuit, arrive à la Kommandantur un Oberst (colonel).

Il nous dit être le commandant du 9ème régiment d’infanterie militaire. Il était tête nue, pieds nus, totalement désemparé. Il lui semblait être le seul survivant de son régiment. En tout cas, il n’en retrouvait nulle trace. Il ajouta que par une attaque puissante d’infanterie et de chars sur son secteur, les Russes avaient percé le front, anéanti son régiment, atteint le Dniepr et coupé la tête-de-pont en deux. Dans ma tête, mes sentiments de Malgré-Nous sont mélangés. D ’un côté je me réjouis car le Brückenkopf est foutu et une fois de plus la Wehrmacht recule et j’espère que la guerre finira par sa défaite ; mais d’autre part je suis en plein dans cette galère et me demande comment je vais m’en sortir et survivre ... et dans l’immédiat comment vais-je traverser le Dniepr, ceci d’autant plus que le pont qui relayait les deux rives avait été démoli. 

Le 2 février arrivent les ordres précis : tout démolir. Nous brûlons tous les papiers. Nous démolissons tables, chaises, châlits, armoires, lampes. Nous maintenons juste le téléphone, dont je me sers, étant assis par terre.

Mais il y a pire : l’enterrement du cimetière militaire de Bolchaya Lepeticha fossoyé à jamais dans le requiescat in pace du sol ukrainien (qu’il repose en paix) !

En voici les raisons : mon ami Malgré-Nous Paul Landmann était à la Kommandantur le responsable du cimetière militaire. Grâce au travail d’une équipe de prisonniers de guerre russes, il avait fait creuser, l’une à côté de l’autre, des petites fosses prêtes à recevoir les cadavres des soldats allemands qu’on lui amenait tous les jours du front et qui étaient enterrés après une brève cérémonie religieuse tenue par l’aumônier catholique et le pasteur protestant de la Division. Un prisonnier russe confectionnait et plantait sur chaque petite tombe une croix de bois mentionnant les grade, nom, prénom et unité du défunt. Pendant les trois mois de notre séjour à Bolchaya Lepeticha, mon compatriote avait enterré environ 300 morts.

En ce 2 février, Paul Landmann reçoit l’ordre de rassembler toutes ces croix sur un bûcher pour les brûler, ceci afin qu’à leur arrivée les Russes ne puissent pas connaître les noms des morts et leurs unités... Lorsque je suis retourné à Bolchaya Lepeticha 50 ans après en compagnie de Paul Landmann, nous avons cherché l’emplacement du cimetière. Grâce à un vieil homme, nous avons pu le repérer.

C’est maintenant une cour d’école avec une place de basket-ball, où les enfants s’ébattent, ne se rendant pas compte qu’ils s’amusent sur les tombes de 300 jeunes soldats ! Les 3, 4, 5, et 6 février 1944, la canonnade se rapproche et nous subissons un lourd bombardement. Avec un sergent et trois personnes civiles russes, je me réfugie dans la petite cave exiguë du bâtiment. Notre Ortskommandant Weissert est introuvable. Je suis très inquiet, ne sachant pas ce qu’il convient de faire. Vers le soir du 7, il réapparaît pour nous emmener vers l’embarcadère. Le désordre y est indescriptible. Les pionniers avaient pu récupérer deux petits bateaux qui avaient fait partie du pont flottant bombardé voilà peu et les transformer en bacs qui reliaient les deux rives ; ces esquifs étaient assurés par une longue corde en acier.

Un char essaie de se placer sur l’une des embarcations. Le chauffeur fait une fausse manœuvre, le bac bascule et fait un grand « pflatsch », le pilote et son char se retrouvent à l’envers noyés au fond du fleuve, pendant que le bac dérive, retourné avec la quille en l’air, perdu. Il ne reste plus qu’une barge, c’est la plus petite. Elle peut emmener au mieux une cinquantaine de soldats. C’est la bousculade. Chacun pour soi. Le général arrive, était-ce Schoerner ? Il sort son revolver et menace de tirer dans le tas à la moindre panique. Les ordres sont formels. On n’embarque plus que des soldats. On fait sauter à l’explosif tout le matériel : chars, half-tracks, canons, camions, voitures.

On incendie le matériel hippomobile majoritairement en bois. « Et qu’est-ce qu’on fait des chevaux ? » J’ai entendu dire qu’il y en avait deux mille : ils furent tous tués ! Entretemps la nuit est tombée mais elle reste illuminée par le fantasmagorique spectacle des explosions et des incendies, accompagnée par le hurlement des ordres et les cris de cette masse de milliers de soldats provenant de tous les corps d’armée qui cherchent leur unité pour avoir le droit d’embarquer. Le sous-lieutenant Weissert craint qu’en sa qualité d’Ortskommandant il ne parte trop tôt. Il se promène, indifférent à tout ce saccage. Vanité ? Inconscience ? Douce folie ? En tout cas, témérité.

Je ronge mon frein alors que les premiers obus russes tombent sur la plage d’embarquement. Il finit par admettre que cela a assez duré et s’embarque avec sa petite équipe. Je pousse un ouf de soulagement quand nous débarquons sur la plage Ouest... mais Weissert m’interpelle et me dit : « Laugel, j’ai quand même quitté trop tôt. Remettez votre barda à votre voisin. Nous allons tous les deux retourner sur la rive Est ! » J’ai cru mal comprendre. Eh bien non ! Sur le bac vide nous traversons le fleuve pour retrouver un indescriptible capharnaüm sur l’embarcadère et sur les berges du fleuve. Il découvre une voiture calcinée, s’y installe et s’endort. Je reste debout, aux ordres, sur le qui-vive.

Je vois que les restes de deux bataillons de chasseurs, -Jägerbatalione-, connus pour leur grande valeur, et qui ont été prévus pour couvrir la retraite, commencent par arriver sur la plage. Les coups de feu et les rafales de mitrailleuses s’échangent avec les Russes qui, du haut des falaises, dominent l’embarcadère. Il nous est impossible de distinguer si les balles qui sifflent sont allemandes ou russes, de savoir si les explosions et les détonations avec d’immenses gerbes de feu proviennent des mortiers russes qui nous arrosent ou si ce sont des démolitions à la grenade du matériel allemand que les soldats cherchent à soustraire à l’ennemi. Le général, debout à l’entrée du bac, maintient un ordre relatif avec son revolver à la main. Après quelques hésitations, je décide de réveiller mon dormeur. Etant donné que je me suis permis d’interrompre sa sieste il râle d’abord, puis il consent à se diriger vers le point d’embarquement. Il annonce au général qu’il est le commandant de la place, qu’il est disposé à l’aider et se fera un honneur de ne partir qu’avec le dernier bac. Le général lui crie : « Verschwinden Sie, disparaissez ! »

Je me précipite sur le bac ; il finit par me suivre presqu’à contrecœur. Il fait jour quand nous rejoignons la rive Ouest. Nous nous engageons dans les méandres du Sumpf, (marécage). Weissert trouve encore une fois une voiture accidentée. Il déclare avoir sommeil, s’assoit sur un siège... et dort. Debout à côté de la voiture, j’entends les détonations s’éteindre progressivement sur l’autre rive. Le Brückenkopf est définitivement perdu, mais tout le monde a-t -il pu traverser le fleuve ? Et les restes des deux bataillons qui couvraient la retraite ont-ils pu s’embarquer pour rejoindre la rive Ouest, ou ont-ils été sacrifiés et partent-ils vers la Sibérie ? Quelques soldats isolés passent. L’un me jette : « Nous sommes les derniers, après ce sont les Russes. » Une fois de plus, le sous-lieutenant râle quand je le réveille. Nous traversons maintenant le Sumpf, en dépassant des quantités énormes de véhicules de tous ordres, embourbés, perdus dans les marais. Je me rappelle d’un camion renversé dont le chargement, -constitué uniquement de milliers de fers à cheval-, disparaissait lentement dans le bourbier. Notre destination est Gavrilovka. Quand nous nous approchons, nous percevons des rafales de mitrailleuses, des soldats arrivent en courant vers nous : « Les Russes ont fait irruption dans le village et ont massacré tous les soldats qui dormaient dans les chaumières. »

Weissert nous fait changer de direction et nous continuons vers Doutchino. Avec un grand sourire, il me dit : « Vous voyez, Laugel, nous avons bien fait de ne pas partir trop tôt. » Weissert était un trompe-la-mort. Déjà en octobre 1943, après notre encerclement à Worochilowka, il avait embarqué un adjudant et quelques hommes sur un camion et avait traversé avec eux les lignes russes pour récupérer un canon anti-char abandonné mais intact. Arrivé à l’endroit, il fit accrocher le canon, mais au lieu de repartir à toute vitesse, il fit embarquer toutes les munitions. Ce temps perdu inutilement permit aux Russes de se ressaisir et de déclencher une attaque. Ce n’est que grâce au sang-froid de l’adjudant que les hommes purent rejoindre les lignes allemandes. Non seulement le canon mais également le camion furent perdus dans cette inutile et folle aventure. Comme je connaissais son adresse privée, j’ai pu le rencontrer quelques années après la guerre. Il dirigeait une entreprise de quelque deux cents personnes dans une ville du Wurtemberg.

Il avait été fait prisonnier par l’Armée Rouge en Roumanie en 1944, avait effectué cinq ans de camp en Union soviétique. Il me reçut d’abord assez froidement, ne sachant pas ce que ce Français lui voulait. Il ne se détendit que lorsque je lui affirmai que j’étais tout simplement content de le voir en vie. Ses exploits lui avaient quand même permis d’être nommé Oberleutnant (lieutenant, grade français correspondant) et d’être décoré de la E.K .1 (la Croix-de-fer 1 ère Classe). C’est à cause de ces téméraires hurluberlus, fanatisés et inconscients que la Wehrmacht a combattu jusqu’au dernier carré et fait sombrer l’Allemagne dans le pire désastre de son Histoire.

(Bilder des Bundes Archiv)


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