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Quelques passe-frontières ont réussi à rejoindre l’Intérieur après de nombreux avatars ....

Heiser Eugène †

« Face à la percée de Sedan, ce coup de faucille assassin dans le flanc droit franco-anglais, nos soldats fléchissaient en Belgique sous les coups de boutoir allemand. Je faisais partie du 1 er Régiment d’Infanterie qui tenait ses quartiers à Cambrai. Pour tenter d’enrayer l’attaque allemande sur la Belgique, notre unité fut appelée à la rescousse pour être lancée dans la contre-offensive. J’ai été nommé caporal le 15 mai 1940.

Les stukas désorganisèrent notre montée en ligne ; les civils engorgeaient les routes. Dans les rues de la ville de Valenciennes traversées de nuit, que de dépouilles allongées ai-je enjambées sur les trottoirs ! J’ai été fait prisonnier le 31 mai 1940 à Loos-lès-Lille, en pleine débandade de notre corps d’armées. J’eus beaucoup de chance de m’en tirer car j’avais failli me faire tuer la veille dans les faubourgs de Lille.

En effet, avec trois autres soldats, nous nous étions retranchés dans les jardins ouvriers. Avec le caporal-chef Fernand Tilleul originaire de Gouzoncourt près de Cambrai, les deux pourvoyeurs et moi le tireur, nous nous étions embusqués dans des trous qu’on avait creusés à hauteur d’hommes. Je distinguai les Allemands qui campaient sur le toit plat de l’hôpital Calmette et qui cherchaient à déborder notre verrou. Le cabochef me relaya à la mitrailleuse à un moment donné. Je le prévins de la présence sournoise de pionniers allemands postés non loin de là et je partis, marchant courbé dans les tranchées, rejoindre la paille pour y étendre mes jambes raidies et surtout manger les restes de ma ration de guerre. Mastiquant mon casse-croûte frugal, j’entendis bien un coup sec suivi d’un bruissement sourd.

La guerre est à nos côtés, me dis-je encore, soyons prudents mais de là à imaginer le pire, je n’y pensai pas. En revenant prendre position, je découvris notre imprudent chef de groupe tué par un tireur d’élite allemand qui nous épiait à la jumelle et qui n’attendait qu’une inadvertance pour cibler ses victimes. Les radio-pies allemandes sillonnaient notre secteur. Leur mégaphone hurlait : « Franzosen, ergebt euch. Sie sind eingekesselt. Français, rendez-vous, vous êtes encerclés. » Notre chef de section nous dit alors que nous étions libres, sur ordre du commandement. Libres de détaler, il n’y eut que les Chti qui purent le tenter. Nous, Lorrains, (un gars de Metz, un autre d’Amnéville et moi-même) nous ne savions que faire et nous fûmes bientôt faits prisonniers. Nous avons marché de Lille à Tournai, le trajet à pied prit huit jours. A Nivelles, nous avons dormi à six détenus dans les cellules de la prison. De Maastricht, nous avons rallié Padenberg toujours à pinces. Nous étions des milliers de soldats harassés, quémandant du pain, mourant de soif sur les routes belges.

Les pieds moulus, nous avons suivi le mouvement docile des troupes convergeant vers l’Allemagne. Pourquoi s’évader ? Nous pensions, à tort, pouvoir être tous regroupés dans des centres de démobilisation... qu’on y resterait quelques jours... qu’il fallait prendre patience. Rares étaient ceux qui songeaient à s’évader, ce n’était pas nécessaire vu que les clauses de l’Armistice allaient, à n’en pas douter, nous rendre à nos foyers. Embarqués dans des wagons-à -bestiaux, nous avons séjourné provisoirement dans la Lüneburger Heide où le manger était horrible. Du côté de Hanovre, sous la chaleur écrasante régnant dans les wagons en cette fin de mois de juin, nous avons réclamé de l’eau et tendu nos bidons après avoir aperçu par la lucarne des membres de la Croix-Rouge allemande.

« Das sind Kriegsgefangene, sie brauchen kein Wasser ! Ce sont des prisonniers de guerre, ils n’ont pas besoin d’eau ! » hurlèrent à leur encontre nos gardes du convoi. Je me suis ensuite glissé avec mon copain Bertold de Metz dans un convoi de 2 500 hommes en partance vers le Stammlager (Stalag) II D de Stargard, un camp pour sous-officiers et hommes de troupe en Poméranie.

Localisé à 370 km de Berlin, notre camp de Stargard en Poméranie, situé à plus de 1000 km de la patrie, était constitué de baraques en bois alignées sur plusieurs rangées ; dans les allées, il était interdit aux prisonniers de se regrouper. La garde du camp assurait la surveillance du haut des miradors. L’enceinte était fermée par une clôture de trois mètres de hauteur munie de fils de fer barbelés bien enchevêtrés. Le Lager comprenait de grosses baraques regroupant chacune 300 prisonniers (châlits pour 12 hommes, sans couverture). La chambre était sombre, dépourvue d’eau et remplie de vermine et d’odeurs nauséabondes venant des latrines pour tous.

Dans les couchettes superposées à quatre étages, une paillasse sordide nous accueillait. Dévorés par les poux, nous avions droit à des séances collectives d’épouillage, torse nu, sous le chaud soleil d’été. La nourriture était abominable : du pain élastique, de la margarine synthétique, une soupe bien claire faite de pois et d’épluchures ! Spartiate, elle constituait à peine le minimum d’apports énergétiques d’entretien : j’ai mangé des pommes de terre pourries. Je n’ai cessé, au cours de ces cinq mois de privation, à évoquer en songe les bons repas mijotés par ma mère à la maison.

Trente mille prisonniers croupissaient dans ce camp. Privés d’éléments nutritifs vitaux pour subsister, beaucoup de soldats moururent. Les morts étaient nombreux tous les jours, évacués sur des tombereaux vers des fosses communes. Avare en protéines mais par contre généreux en espaces, le camp regorgeait de fosses communes ! Interprète au ventre creux, j’optai pour figurer dans un commando de travail en partance vers les fermes, stimulé par la possibilité d’une meilleure alimentation. L’économie du Reich était tournée vers la guerre : beaucoup d’Allemands étaient incorporés, cela exigeait de la main-d ’oeuvre. Effectuant notre labeur avec lenteur, ce qui épuisait moins notre énergie, nous allions déterrer les tubercules, rentrer le regain, moissonner l’avoine tardive, retourner les jachères.

La nourriture s’avéra plus conséquente (lait caillé, soupe à l’os). Pour se concilier les bonnes grâces des prisonniers alsaciens-lorrains réintégrés dans le giron teuton, le commandement allemand nous libéra au bout de cinq mois. Je passai par Offenburg où la commission militaire me réforma. La Gestapo y filtra nos déclarations et s’enquit de ma situation (religion, profession, etc). Les libérés israélites et les engagés furent à nouveau enfermés. Sur un registre furent annotées les appréciations politiques de chaque individu. J’eus droit à un cours magistral où j’appris que la Lorraine était redevenue allemande pour l’éternité, que nous étions assimilés comme Allemands. « Ne t’amuse pas comme les jeunes de Lorry-Les-Metz à te promener avec la cocarde tricolore à la boutonnière, sinon ça va te coûter cher ! »

Je retrouvai mon domicile le 22 octobre 1940 ; mes parents venaient de revenir de Bonnes en Charente, notre village de l’exode. Le jeune Adrien Formery, de retour d’une course faite à Merlebach, avait filé sur son vélo annoncer la nouvelle de mon retour. Il me fallut quatorze jours de repos complet au lit pour me requinquer. J’étais revenu très affaibli par les vexations quotidiennes endurées durant ma captivité. J’avais fondu (de 70 kg, je ne pesais plus que 57 kg). En automne 1942, ma famille avait opté pour une émigration vers la France. Devant les nombreuses aspirations des candidats sur le départ, l’administration du Gau Westmark fit volte-face et préféra envoyer les récalcitrants vers les mines de Silésie. Venus à domicile vers la Noël, les hommes de la Gestapo s’enquirent pour connaître les motivations de notre partance. « Warum haben sie sich nach Frankreich gemeldet ? Pourquoi vous êtes-vous fait inscrire pour un rapatriement en France ? » Mon père leur répondit : « Je suis d’abord Lorrain de cœur. Avant 1914, nous étions Allemands, la vie était relativement acceptable.

Après 1918, chez les Français, ça allait mieux, on n’a jamais eu à se plaindre de notre réintégration. Vous êtes là maintenant, ça chauffe pour les Juifs. Pouvez-vous me garantir mes libertés et mon idéal de Lorrain ? Et pour ce qui est de mon fils Eugène, il était soldat français en 1940. Je le vois mal endosser l’uniforme allemand ou s’impliquer dans le service d’ordre local (Ordnungstum). » Très mécontents, les policiers en civil partirent, en proférant force menaces. Le 18 janvier 1943, la Feldgendarmerie parcourut à 6 heures du matin les rues sombres du village. Avec leurs mains en porte-voix, les Allemands hurlaient : « Vous avez une demi-heure pour vous préparer. Tant de kilos par personne, pas un gramme de plus ! »

L’un des gendarmes se posta près de notre porte tandis qu’un autre agent monta pour nous dire de plier bagages. Nous préparâmes rapidement nos cinq baluchons. Sur le point de partir, il fit l’appel devant la porte. « J’ai dit trois personnes... pas cinq ! cria-t -il . Comment vous appelez-vous ? - Nous sommes la famille Heiser. - Votre nom ne figure pas sur ma liste. Allez vous recoucher ! » Une quarantaine de familles furent déportées cette semaine-là. Je connus un peu de répit. Inscrit sur la liste d’enrôlement, je fus convoqué le 2 mars à la Kommandantur de Merlebach (zweck Eintragung in die Stammrolle).

Le matin même, avec mon cousin Schwartz Joseph, nous partîmes à Freyming chez Pister Jean nous renseigner sur la façon d’échapper à mon incorporation. Puis je filai en vélo jusqu’à Saint-Avold, une gare plus discrète que celle de Béning où quelqu’un aurait pu me reconnaître. Ma sœur y récupéra ma bicyclette. J’arrivai à Moyeuvre-Grande et grâce à un conducteur de locomotive bien renseigné, je me hissai en équilibre sur les tampons d’un wagon de minerai en partance vers Homécourt. On m’avait recommandé l’adresse d’un ancien gendarme, d ’ailleurs bien affolé en me voyant arriver. Une rafle avait décimé son groupe. Il me fila une adresse à La Maxe près de Nancy chez un curé. J’y partis en autobus. Je rencontrai également un autre candidat à l’évasion, Visontin. Le curé était fiché et surveillé. Je dis à mon copain de voyage : « Je connais un jeune vicaire de Farébersviller, l’abbé Alfred Koch qui officie à Domèvre sur Durbion.» Et nous voilà repartis sur les routes. Je ralliai finalement le presbytère de l’abbé Koch qui nous invita au restaurant. Lui pouvait difficilement nous aider mais il connaissait une adresse à Epinal. Les onze kilomètres furent vite avalés et nous voilà tous deux sonnant à la porte du bureau de bienfaisance. Une religieuse inquiète nous fit vite entrer et nous apprit que ses consœurs venaient d’être emprisonnées. « Vous avez faim, eh bien, je vais vous confectionner des casse-croûtes mais sinon je ne peux plus faire grand chose ! notre réseau vient d’être démantelé. » Le soir approchait ; nous décidâmes d’aller dormir discrètement, pourquoi pas dans le bois.

En cours de route, j’avisai une dame qui s’affairait encore dans son jardin, situé à mi-côte, pour savoir si elle avait de quoi nous loger. « Qu’est-ce que vous voulez ? nous répliqua-t -elle, méfiante. - Voilà, nous sommes des Mosellans qui refusons l’incorporation » Après quelques minutes de réflexion, elle nous dit : « Attendez, je vais en causer à mon fils. » Le jeune homme, sur ses gardes, voulait connaître l’exacte situation. Nous lui résumâmes nos déboires. Finalement, il se décida : « On va vous aider.» Nous fûmes installés dans une chambre à l’étage.

Sa mère, une dame Thirion, nous servit à manger deux jours durant. Au bout de trois jours, les fausses cartes d’identité étaient prêtes. J’ai usurpé le patronyme "Lagrange" qui faisait bien français, citoyen né à Lyon. Heureusement, j’avais eu sur moi une carte d’identité vierge plus une photo, et de ce fait les papiers furent facilement visés par la mairie de Neuves-Maisons. Voici les consignes strictes que le fils de la maison nous demanda de mettre en pratique lorsque nous prendrions le train :

- toujours se mettre en fin de convoi,

- prendre les billets à l’avance et quitter la gare pour éviter des contrôles inutiles,

- revenir sur les quais 10 mn avant chaque départ.

 Sur le trajet Epinal-Lure, il y eut deux heures d’arrêt que nous mîmes à profit pour aller chez un boulanger sympathisant du réseau d’Epinal. Il nous donna à manger. Arrivés sans encombres à Paris, gare de l’Est, nous prîmes une chambre sous les combles. Le lendemain, nous nous séparâmes. Visontin partit vers Villefranche-sur- Saône retrouver sa sœur. J’embarquai vers Bonnes en Charente après avoir pris le métro (sortie Porte d’Italie, direction gare d’Austerlitz). Le voyage se passa sans problèmes. J’arrivai à Angoulême à 19 heures 45. Le train pour Chalais partait à 22 heures. Je me pointai à l’Hôtel du Commerce pour me restaurer. Diable ! l’arrière-salle était pleine de fêtards allemands. A l’époque, la parité du Mark par rapport au franc se multipliait par 20. Autrement dit, un aliment coté 1 franc se payait 5 pfennigs pour l’occupant. Cours diablement intéressant pour les soldats d’occupation, ce qui leur permettait d’acheter tout... pour presque rien ! Les restaurants et les hôtels étaient bondés de troupes. «Ein guter Sankt Emilion für 30 pfennigs! » Un soldat attablé et sirotant cet excellent vin diablement bon marché s’exclama, la bouche en coeur : « Je comprends maintenant pourquoi nous, les Allemands, nous disons « Vivre comme Dieu en France. » Je m’éclipsai après avoir bu le traditionnel verre de vin charentais. Je me décidai à partir à pied, m’attardant quelque temps à un passage-à -niveau tenu par un Mosellan originaire de Petite-Rosselle qui m’indiqua le trajet à suivre. Il me restait 13 km à parcourir, une bagatelle que j’avalai les pieds légers comme Mercure en une heure et demie.

Arrivé aux Essarts, (le village voisin de Bonnes), je dévalai la côte et heurtai les volets du restaurant de Monsieur Favrot. J’y retrouvai Karmann Arthur. J’ai été recueilli par sa famille. On me fit la fête et je pus enfin me restaurer. Quelques familles de Farébersviller (Kleinhentz Joseph, Schweitzer Joseph, Groutsch Edouard) séjournaient à Bonnes. Je me sentais moins dépaysé. Je trouvai du travail à la Taillandie chez l’entrepreneur- fermier, Castagna Gino et cela pendant 18 mois. Je ferrai les chevaux, emblavai les terres. Finalement, Karmann Rémy, Jean-Claude Arnould, Egloff Albert et moi-même, nous nous engageâmes le 15 septembre1944 dans les F.T .P . (Francs-Tireurs-Partisans). Nous avions dans un premier temps gardé la ligne S.N .C.F qui enjambe les ponts à Coutras.

Cette garde dura trois semaines. « Si vous vous engagez tous les quatre pour la durée de la guerre, vous aurez une promotion dans votre grade.» Je signai mon engagement dans le 126ème Régiment d’Infanterie stationné à Brive-la-Gaillarde. Je fus promu sergent. Nous y avons passé Noël et le 1er de l’An avant de débarquer le 6 janvier à Vesoul dans la neige. Un froid vif régnait sur les contrées de l’Est. Les Américains nous véhiculèrent dans les camions G.M .C par Obernai, Benfeld vers Rhinau.

La poche de Colmar venait d’être anéantie ; les Allemands s’étaient repliés derrière le Rhin. Acheminés par G.M .C, nous avons passé le Rhin sur un pont réalisé en boudins. Les planches s’enfonçaient dans l’eau du fleuve au fur et à mesure de l’avancée du véhicule, surtout au milieu du cours d’eau là où le courant était le plus insidieux. Faisant dévier sa ligne de flottaison, il induisit plus d’un chauffeur en erreur. Et quelques camions ont hélas basculé avec hommes et bagages dans les flots impétueux. Par Rulsheim et Germaschheim nous avons abouti à Karlsruhe qui brûlait. Puis, transitant par Ettlingen, nous sommes tombés sur une résistance acharnée à Rastatt. Notre Compagnie a eu quelques morts en assiégeant le vieux fort de Vauban. Le 8 mai 1945 m’a surpris à Baden-Baden.


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