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Hoerth Louis †

Je me destinais à devenir garde-forestier, j’en suivais déjà l’apprentissage pratique sur le terrain. Mais lorsque mon père mourut en 1935, je dus reconsidérer ma situation professionnelle. Ma mère disposait de peu d’argent pour me faire suivre des études techniques dans la branche dite sylviculture. Je partis alors à l’UCPMI, une usine sidérurgique installée à Hagondange, ville du Pays-Haut où mon oncle et ma tante tenaient un café. Je fus embauché comme pontonnier et conducteur de grue. La grève de 1936, je l’accueillis avec sympathie puisqu’elle allait vers un progrès social évident. J’étais soutien de famille, l’État et l’usine me versaient équitablement la même somme qui constituait ainsi mon salaire. Grâce aux 40 heures concédées et aux deux semaines de congés payés, je pus m’adonner à mon sport préféré, le football que je pratiquai d’abord au CSO Amnéville. Les dirigeants de l’usine ayant appris que j’évoluais sous des couleurs rivales, me firent jouer les matchs retour dans les rangs de l’Union d’Hagondange. Puis, je rejoignis en 1937 les rangs amateurs du FC Metz. Et qui sait si sans les malheurs de la guerre je n’aurais pas évolué chez les pros, comme le gardien de buts Schuth, originaire de Freyming-Merlebach ?

C’est un dimanche matin de septembre 1939 que j’appris par mon chef d’équipe que la guerre venait d’être déclarée. Je mis un temps incroyable à rejoindre le bistrot de mon oncle car une cohue indescriptible de réfugiés bloquait toute circulation. Je dus même passer sous une charrette avec mon vélo pour continuer mon chemin. Je me retrouvai le 14 octobre 1939 incorporé au 4 ème Régiment d’Infanterie d’Auxerre où l’on nous dispensa d’emblée une instruction sérieuse dans le maniement des armes et le tir de précision. Je fus muté au 19ème BCP (Bataillon de Chasseurs à Pied) en décembre. Notre premier cantonnement fut Rouhling (secteur de Sarreguemines) où j’assurais les fonctions de caporal, grade obtenu suite à ma préparation militaire. Nous voilà partis en patrouille vers Grosbliederstroff lorsque sans crier gare, nous tombâmes nez à nez avec une patrouille allemande venue de Kleinblittersdorf, village jumeau de l’autre côté de la Sarre.

Après des palabres qui auraient pu dégénérer tant la pression des doigts sur la gâchette de nos armes était fébrile mais où finalement le bon sens transfrontalier l’emporta, chacun se quitta avec la promesse de ne rien tenter qui puisse nuire aux deux partis. Nous partîmes à reculons, priant pour qu’aucun des adversaires ne commette l’irréparable. Sur le chemin du retour, comme mû par un pressentiment, je devisai avec le lieutenant sur l’éventuel guet-apens que nos lascars risquaient de nous tendre. Nous nous planquâmes derrière de gros blocs de pierre et bientôt nous vîmes revenir à nos trousses la patrouille revancharde que nous fîmes prisonnière : ces douze hommes furent interrogés par la sûreté militaire. On nous releva bientôt et notre nouvelle mission consista à aller vadrouiller dans la forêt du Warndt près de Creutzwald. Au menu militaire défilaient patrouilles, constructions d’abris et perfectionnement des sonnettes : sorte de positions fortifiées établies dans le no man’s land destinées à contenir brièvement toute attaque surprise allemande avant le tir de parade de nos contrebatteries.

Situées souvent à flanc de coteau pour superviser le fond des vallées, ces sonnettes de tir aux affûts aménagés pouvant recevoir des mitrailleuses permettaient d’alerter la Ligne principale de résistance, -la L 1- établie en aval de la Ligne Maginot afin de préparer la réplique de notre artillerie. Nous dormions dehors, jamais au même endroit pour ne pas nous faire repérer par l’adversaire. On nous affecta ensuite dans le Drei Eck, un triangle constitué par les trois frontières, allemande, française et luxembourgeoise. C’est à Sierck et à Apach que nous eûmes nos premiers morts, tués par les tirs de l’artillerie adverse. Notre compagnie, après ces pérégrinations, fut consignée au repos du côté de Hagondange où je regagnai ma chambre du café, occupée par des soldats. Un chef m’accueillit vertement.

Après des explications fournies par ma tante, je profitai de la tiédeur de mon lit pour récupérer des longues nuits passées à la belle étoile. J’appris au cours d’une émission radio produite par le Funksender de Stuttgart que l’espion Fernando connaissait tous les numéros de régiments affectés près de la frontière luxembourgeoise, ce qui intrigua fort l’état-major français. Ces espions allemands étaient performants et bien renseignés mais par qui ? Le saura-t -on un jour ? Les régiments, découverts, furent acheminés ailleurs par train et je me retrouvai dans les alentours de Péronne. Alors que je m’apprêtais, à l’heure de la diane à me laver en bordure d’un pré, le lieutenant Rançon m’apprit que de bon matin, en ce 10 mai 1940, les Allemands venaient d’envahir la Belgique.

On nous dirigea vers Charleroi. Nous eûmes des blessés en montant en première ligne et la débandade générale éclata lorsque les stukas aux sirènes affolantes suivis d’agressifs chasseurs ailés nous bombardèrent. Arrivée à un carrefour, notre section reçut l’ordre sec d’un gendarme de se diriger vers l’arrière. Durant le trajet, je constatai que l’on faisait fausse route, nous rejoignions le front ! On rebroussa chemin et on arrêta le fameux brigadier. En fait, il avait les papiers français en règle et la version allemande aussi. C’était un gars de la 5 ème colonne que nous remîmes bientôt à la vraie maréchaussée. Nous devions rejoindre la caserne mère d’Auxerre. Quelle pagaille sur les routes ! Les réfugiés venant du Nord bloquaient la circulation. Les voitures à court d’essence étaient basculées sur les bas-côtés des chaussées ; des bêtes crevées sous la mitraille jonchaient les talus. Embarqués dans le train pour Nevers, nous voilà débarqués à Moulins, où toutes les lignes étaient coupées. Désorganisation générale ! Nous étions commandés par un lieutenant martiniquais qui n’en menait pas large faute d’ordres de la hiérarchie. Les estafettes ennemies nous firent prisonniers à Chalivoy-Milain (Allier).

Les fantassins au large sourire triomphal y réquisitionnèrent des salles et commandèrent deux fournées de pain... pour eux. Alors nous voilà réduits à mendier. Ayant été désigné comme interprète et pour ne pas l’avoir signalé tout de suite à la race des Seigneurs, j’eus droit à un magistral coup de botte au derrière. Avec un camarade, j’accompagnai une sentinelle. Nous portions des paniers, à la recherche de nourriture. Bientôt le garde nous signifia de nous débrouiller seuls. Nous prîmes la poudre d’escampette. Par monts et vaux, nous allions vers le Sud-Ouest, vers la Haute-Vienne où je savais retrouver mes parents. En effet, durant l’Exode, toute la population de nos contrées frontalières placées devant la Ligne Maginot et en contact direct avec les frontières nazies, avait quitté la mort dans l’âme les villages natals. En essayant de rejoindre la bourgade d’accueil limougeaude de mes parents, nous avons récupéré un fusil- mitrailleur et un fusil. Il faut dire que des armes abandonnées traînaient partout. En arrivant devant Cérilly (Allier) un groupe de soldats nous interpella : « Halte ! attention, il y a un side-car avec des Fritz devant le pont.» Masqués par un hangar, nous suivions des yeux leur manège. Manifestement sûrs d’eux, ils attendaient les traînards de l’armée en déroute. Le lieutenant m’ordonna de descendre les estafettes allemandes, j’obéis et la route devant nous fut libre. On cacha les dépouilles dans le fossé. A Montluçon on nous rassembla près d’une usine : il n’y avait rien à manger !

On nous précisa que les classes 1938-1939 étaient maintenues à l’armée. Dans la localité de Le Buisson, je retrouvai un compatriote, Laut Jacques senior, qui était hébergé chez mon oncle cafetier. Il me paya des bières, sa femme pleurait car elle ignorait le sort des ses deux fils mobilisés. Je saisis l’occasion pour écrire à mes parents et leur demandai de m’envoyer de l’argent et des bons pour achats. Là-bas, le lieutenant Decrotte, ayant appris que j’étais chasseur comme lui, me rééquipa en habits neufs et m’arma d’un fusil. Je devais garder des internés communistes à Chastanon. Le capitaine, constatant que lesdits internés étaient de Bischeim et qu’ils me connaissaient, leur seul tort étant d’être syndiqués, supposa que j’allais favoriser leur évasion. Jugez de vous-même la mentalité que manifestaient certains officiers soupçonneux envers leurs cousins germains d’Alsace et de Lorraine ! Il m’envoya à Brive-la-Gaillarde où le 43ème R.I . fut réformé.

C’est là que le Général Huntziger, signataire de l’Armistice dans le wagon de Rethondes, me décora pour le fait de Cirilly. Puis je fus désigné pour monter la garde à l’usine de Cosenac, une manufacture d’armes installée dans un immense parc rempli de camions. Le 12 décembre 1940, lors du rassemblement, le Colonel Goudrin demanda aux Alsaciens et Lorrains de sortir du rang. « Les Allemands vous réclament. » Je demandai conseil au lieutenant Decrotte qui me dit : « Rentre chez toi ! je te donne quelques adresses pour passer la ligne de démarcation si tu penses que ça va sentir le roussi pourtoi!» Je regagnai mes pénates. J’y arrivai pour la veillée de Noël à 21 heures après avoir marché dans la neige et m’être fait arrêter par la Feldgendarmerie. « Papieren ! Ach so ? Vous êtes le dernier à rentrer ! » De nouvelles aventures allaient m’attendre. La Gestapo de Haguenau avait arrêté mes frères, Fernand, Charles, Alphonse (qui était boucher dans le civil) ainsi que mon beau-frère qui, soit dit en passant, construisirent le four crématoire du Struthof. Ne sachant où ils étaient, je partis m’enquérir au tribunal de Strasbourg et c’est là qu’on m’indiqua qu’ils étaient internés près de Schirmeck. Un bonhomme, dans le prétoire, s’approcha subitement de moi : « Hoerth, cette feuille verte mentionnant leurs condamnations ne doit pas tomber aux mains de la Gestapo.

Mange-la s’il le faut, c’est une question de vie ou de mort pour tes frangins, les Allemands leur reprochent une attitude de rébellion à leur égard ! » A devoir charrier les lourdes pierres extraites de la carrière attenante au camp du Struthof, le pauvre Fernand mourut des suites de ces travaux de force inhumains. Ce fut ensuite au tour d’Auguste de trépasser près de Smolensk. Joseph décéda le jour de ses 19 ans à Litzmanstadt. Mon autre frère Alphonse, blessé au ventre et à la jambe, en réchappa. Et moi, après la Musterung, le conseil de révision, je devins Malgré-Nous, enrôlé dans la Wehrmacht.... A Nowo-Ukraïnka, je reçus un coup de baïonnette russe dans la main qui enfla ensuite à crever. Heureusement, mon collègue Schimpf acheva le Russe au moment où il allait me porter le coup de grâce. Nous étions toujours au contact des premières lignes ennemies et le pire était l’attente avant l’apparition des chars russes.

Dans nos trous invisibles, nous entendions arriver et cliqueter les redoutables chenilles. Si un terrier individuel était découvert, le pilote du tank vous écrasait et vous écrabouillait vivant en faisant patiner les bandes. Vue en direct, cette mise à mort qui nous révoltait enclenchait en nous une forme d’héroïsme dont on ne se serait pas cru capable en temps normal. Les tankistes russes redoutaient nos mines magnétiques. Je réussis un jour, en pleine attaque, dans la fumée suffocante, à grimper sur un T.34 en profitant de son angle mort. Accroché durant 600 à 700 mètres à la tourelle, comme dans un état second et inconscient des tirs qui m’environnaient, je cassai son œil magique, l’épiscope. Le chef de char par mégarde ouvrit le clapet.Ce fut son arrêt de mort. Lorsque la grenade à manche dégoupillée ébranla l’engin, j’étais déjà camouflé et j’attendis, déconcerté par mon audace et tremblant de tous mes membres, mon copain Schimpf.

Je fus blessé le 19 mars 1944 aux jambes et à la cuisse en traversant le Bug près d’Ivanowka. Lorsque vous étiez blessé aux jambes puis rattrapé par les Russes, ils vous liquidaient et abattaient ceux qui ne pouvaient plus marcher. C’était notre hantise. A la Saint-Joseph donc, matraqué de fatigue, je me reposais à l’arrière du front histoire de me requinquer, j’avais même négligé ma toilette. Le Feldwebel me réveilla sans état d’âme, ainsi que Binder mon copain qui ne se séparait jamais de sa pipe ni de son calme. Un jour, une balle lui avait troué le calot. « Tu te rends compte, trois centimètres plus bas... » furent ses seules paroles ponctuées d’un bon rire.

Nous montâmes à l’assaut des forces ennemies ; nous devions en effet déloger une tête-de-pont adverse devant le fleuve Bug et profiter d’un gué pour établir notre propre hérisson sur la rive opposée. Un vieux moulin servait d’abri aux Russes. « Das wird gereinigt, junge Leute ! Nettoyez-moi ça, jeunes gens. » Nous nous approchâmes, en lignes espacées pour ne pas servir de cibles faciles. Les Rouges ne s’attendaient pas à notre arrivée car le bruit des explosions de grenades avait couvert notre approche. Des balles miaulèrent lorsque j’ouvris la porte. Et comme on ne s’engouffrait jamais dans une chaumière sans en assurer les devants je balançai par précaution deux grenades à l’intérieur. A la disparition des fumées, je découvris un malheureux fantassin baignant dans son sang. « Achève-le ! » ordonna un caporal-chef. « C’est contraire à la convention de Genève » lui dis-je.

Il le liquida, mais il fut tué aussitôt après par une rafale de pistolet-mitrailleur russe. Foudroyante justice ! Chargé de faire rappliquer des renforts, je devais rejoindre l’arrière. L’adjudant me précisa de suivre le fil de la ligne téléphonique. C’est en cheminant vers le poste de commandement que je fus sérieusement blessé à la cheville et au mollet. A chaque fois que je sortais d’un trou sécurisant pour bondir dans un autre, les tirs qui m’encadraient se faisaient plus précis et l’une des balles, puis une autre firent mouche dans mes jambes. J’étais fait comme un rat : pas moyen de m’extirper de mon nouvel abri, un tireur m’avait en point de mire. Le froid engourdissait progressivement mes membres tandis que les ratschboum crachaient feu, fer et flammes. Enfin, dans le crépuscule, je fus secouru par deux brancardiers.

Agrippé à eux, je me dirigeais vers les secours lorsque le bruit particulier d’un obus m’alerta. J’eus encore le temps de plonger dans une ornière, au milieu d’une explosion formidable qui m’assomma. Je repris mes esprits et je constatai que ma cuisse et ma jambe avaient à leur tour trinqué. Mes deux camarades étaient pulvérisés. Un crâne gisait devant moi. Il était 9 heures et demie du soir.

Je restai pratiquement quarante-huit heures sans boire ni manger. Incapable de me mouvoir, je ne fus secouru que le surlendemain à 1 heure du matin en faisant fonctionner la pierre à silex de mon briquet dont les éclats alertèrent les brancardiers. Une voiture hippomobile m’amena à l’arrière. Endurant mille péripéties, je ne fus hospitalisé à l’hôpital de Stensika Demblin que le 21 avril, soit 33 jours après mes blessures ! Le médecin me retira alors six bouts d’acier de la jambe, un dernier morceau s’y promène encore.

En effet, durant un mois complet j’ai gardé en moi les éclats de shrapnel, voyageant en voiture-panier de ci, en train par là. Comble de misères, voilà même qu’un beau jour notre train sanitaire dut s’arrêter en rase campagne, par manque de charbon. Sur ces entrefaites, s’étant s’inoculé les microbes mortels lors d’une opération délicate pratiquée sur autrui, notre chirurgien chargé des amputations et des opérations mourut victime de son devoir, foudroyé par la septicémie. Sans chef et en rupture de médicaments, les équipes sanitaires mal coordonnées étaient désemparées. Face à l’infection, je me retrouvai dans un état second, secoué de fièvre, attendant le pire mais espérant le meilleur.

Mon copain Goldenfranz, un Luxembourgeois, grelottait de froid mais chantait joyeusement la Marseillaise pour prouver à nos compagnons de route souvent mesquins, combien la Wehrmacht avait besoin des Alsaciens-Lorrains. Un caporal sans vergogne urina dans un quart et le tendit à l’extérieur vers des malheureux prisonniers russes assoiffés. C’est un magistral coup de pied décoché par le blessé qui rappela à l’ordre le Manneken-Pis germain. Le lendemain, horreur ! Goldenfranz gisait mort dans son châlit. Pauvre pote ! Lors des manœuvres de redémarrage de la locomotive, un avion de reconnaissance Fieseler Storch se posa près de notre train, alerté par nos gestes de détresse. Le pilote, un Oberfeldwebel, vint s’enquérir de ce train fantôme ; il découvrit avec horreur l’état de certains blessés.

Mon infirmier s’occupa de faire parvenir une lettre laconique à mes parents signalant ma blessure, étant personnellement dans l’incapacité de l’écrire moi-même ; d’autres camarades transmirent ce jour-là également de leurs nouvelles. L’adjudant-chef embarqua les missives dans la carlingue étroite et emporta un blessé grave dont on voyait la buée sortir de sa poitrine explosée, un peu comme le jet de condensation que diffuse une baleine en refaisant surface. II faut préciser qu’à chaque étape depuis trois semaines, nous débarquions des compartiments nauséabonds les morts qu’on entassait dans le dernier wagon avant de les ensevelir dans une fosse commune lorsque le nombre s’amplifiait. Les secours s’organisèrent après l’alerte donnée par l’avion. Nous voilà enfin en route vers Vienne, mais comme les hôpitaux y étaient bondés, on fit marche arrière et c’est à 60 km environ de Cracovie que je me fis opérer.

A Stensika, on nous accueillit avec des fleurs, mais nous rêvions de biscuits et d’autres douceurs inscrites aux abonnés absents au front ! Arborant un carton rouge (à opérer d’urgence) je contractai, peu après l’acte chirurgical, la phtisie. Un matin, tombé inconscient après un brutal accès de fièvre, le service médical me confina ailleurs. La phtisie, il faut le savoir, résulte de piqûres de poux. On m’administra une dose chevaline de médicaments ad hoc, et trois jours après je repris connaissance. Longtemps après la guerre, j’en ressentis encore les effets secondaires, lesquels m’occasionnaient alors courbatures et états de fatigue. Concernant les fièvres wolhyniennes qui nous laissaient fébriles et apathiques, nous reprenions très vite le dessus. Rétabli mais me traînant avec des béquilles, je fus affecté comme planton dans l’aile F. Les Allemands ont ceci de particulier d’impliquer même leurs convalescents à toutes sortes de tâches. J’obtins la médaille des blessés et profitai de l’occasion pour demander une permission.

Sachant qu’une Genesungskompanie était installée à Lembach, non loin de mon village natal, je sollicitai un médecin autrichien qui m’accorda ce précieux document et je partis via Varsovie où j’eus droit au Führerspakett puis je transitai par Leipzig et Karlsruhe avant d’arriver à Wissembourg. Je savais y trouver un de mes frères, chauffeur-livreur de pots de confiture et autres articles d’épicerie. Il fut surpris de me trouver là, heureux bien sûr et le patron lui proposa d’écourter son temps de travail pour me ramener chez moi, à charge pour mon frangin de laver et de nettoyer le camion. Usant et abusant de prolongation, cette rallonge malheureusement eut une fin. Je partis pour la forteresse de Torgau au 218ème de génie, très peu de temps d’ailleurs puisqu’on m’affecta au 54ème bataillon de réserve. Quelle ne fut ma surprise d’être muté ensuite dans la Kriegsmarine à Thorn près de Peenemünde, célèbre lieu des V2. J’y appris les coutumes en usage dans la marine.

Le fameux nœud Nelson avec un liseré oblique vers la gauche indiquait que nous étions marins de la Baltique. Transféré à Gottenhafen, je fus affecté à des travaux agricoles. Les fermières ne pouvaient plus assurer seules le train de culture familial, leurs maris étant sur le front russe. Je me découvris une âme de paysan, parvenant même à faire démarrer une moissonneuse-lieuse toute neuve dont il suffisait de lire la notice d’emploi.

J’appris par télégramme le 19 août 1944 la mort de mon frère Joseph sur le front russe. J’insistai pour une permission (ein Urlaubschein für einen peinlichen Fall). L’adjudant me rattrapa sur le quai de départ, me confisqua le papier et la mort dans l’âme, j’embarquai sur le Panzerkreutzer Köln, en route vers la Finlande dans le but d’y récupérer des colons allemands qui fuyaient l’avancée soviétique. J’étais Panzer-mitrailleur de tourelle. Nous fîmes escale à Koenigsberg au retour de notre Seefahrt.

Je dus, en compagnie de Jean X... secrétaire à la mairie de Metz, nettoyer des bureaux de l’Administration prussienne et en détruire les fonds d’archives. Dans un capharnaüm indescriptible de paperasses, nous trouvâmes des laissez-passer, des permissions vierges, des tampons. C’était inespéré ! En un tour de main, notre « bienveillant » commandant de bord nous prêta artificiellement sa signature pour libeller nos permissions. Arrivés au port d’attache, nous mîmes notre désertion à exécution. En cours d’escapade un sous-officier affable nous emmena en ville ; on descendit à la gare peu après.

Premier test : savoir si nos permissions étaient suffisamment convaincantes ! Nous nous dirigeâmes vers la distribution de soupe réservée aux permissionnaires. Aucun problème lors du contrôle ! Rassurés pleinement, nous attendîmes l’arrivée du train et au moment du départ, nous accourûmes, l’air d’être des soldats essoufflés arrivant in extremis au quai. J’espérais arriver incognito chez moi, on se sépara en cours de route, mais je fis une bourde sur le quai de la gare natale.

En voyant de charmantes demoiselles d’enfance, je ne pus m’empêcher de les accoster et signaler ainsi ma présence. Me ravisant aussitôt, je m’éclipsai dare-dare et j’atterris au domicile parental. Sous les escaliers, se situait le mur d’une alcôve où nous avions l’habitude d’accrocher les habits. Je perçai la paroi et je me retrouvai dans une cache excellente. Le trou pratiqué était savamment caché par tous les habits accrochés à la penderie. Des gendarmes vinrent d’abord demander des nouvelles me concernant. « Mais vous savez bien qu’il est reparti. Si vous me dites qu’il n’est pas apparu dans sa caserne, c’est que son train a sans doute été bombardé » leur précisa maman. L’Ortsgruppenleiter la prévint d’une nouvelle perquisition. Il accompagna d’ailleurs le lendemain les deux policiers renfrognés qui s’installèrent à table. Ma mère fut superbe dans son mensonge !

Convaincus de sa bonne foi, ils partirent en enregistrant sa déposition : son fils avait bel et point quitté le logis familial pour s’en aller rejoindre sa caserne. Inquiet de la présence de S.S. dans les parages, je partis de nuit vers le Sud de l’Alsace, marchant le long des crêtes vosgiennes. Fin octobre 1944, j’ai été arrêté par des G.I .’s américains du côté de Bruyères par un tonitruant : « Hands up ! » Je leur répondis : « I am Frenchman, please. » Comme un infirmier US s’exprimait vaguement en allemand, je lui racontai ma situation, puis mon souhait de m’impliquer dans les armées de la Libération. Il baragouina laborieusement mon explication au lieutenant qui, apparemment satisfait de mes dires, acquiesça. Equipé de la tête aux pieds d’effets américains, on me désigna comme interprète de la 40ème Compagnie dans la VIIème Armée de Haigh. Je rejoignis les premières lignes. Saverne fut prise et tout le saillant derrière Bitche.

L’artillerie U.S. qui s’était installée à un kilomètre de mon village s’apprêtait à le bombarder pour tâter le terrain et s’éviter ainsi toute mauvaise surprise. Il faut reconnaître que les Américains étaient très économes de leurs propres vies humaines et par-dessus le marché, très méfiants. J’intercédai pour éviter la canonnade et je me proposai d’aller neutraliser avec une de leurs sections une mitrailleuse allemande. Nous pénétrâmes dans la localité. Arrivés malicieusement par une trappe qui débouchait sous le comptoir, nous fîmes prisonniers des Allemands qui consommaient au restaurant du Moulin, actuellement l’Auberge du Cheval Blanc.

Durant cette escarmouche, un soldat ennemi fut tué. Le lendemain, d ’autres fantassins de la Wehrmacht revinrent pour récupérer des vaches et surtout rechercher l’institutrice qui leur avait été dénoncée pour avoir parlé l’anglais aux avant-gardes américaines présentes la veille. Heureusement, elle s’était réfugiée dans l’orgue à l’église. Nous fîmes prisonniers la section allemande venue l’appréhender. L’aubergiste s’étonna de me voir parler l’alsacien et je lui appris que j’étais Louis Hoerth. Elle partit d’un éclat de rire, me demandant si je n’étais pas aussi le roi de Prusse. Ma barbe me rendait méconnaissable et l’oncle Auguste averti fut perplexe en me voyant arborer l’uniforme américain.

Durant l’opération Nordwind, les Allemands contre-attaquèrent. Ma famille connut un deuxième exode et s’installa vaille que vaille à Commercy. Dans un premier temps, ordre fut donné de reculer ! mais bientôt les fameux Jaboss’ américains s’acharnèrent sur les panzers. Nous dûmes alors dans de furieux corps-à-corps déloger les S.S. dans les villages investis. Bientôt tous les prisonniers étrangers figurant dans les impedimenta U.S. furent transférés à Châlons-sur-Marne. Comment ? Moi prisonnier ! Pourquoi ? Quelle ingratitude et quelle incompréhension chez nos sauveurs !

Les G.I .’s avaient rassuré le Frenchie que j’étais en m’affirmant que le camp d’internement de Châlons-sur-Marne servait de dépôt à tous les prisonniers allemands récupérés sur les différents fronts de guerre, mais que je n’y ferais pas long feu. Dès notre arrivée, en compagnie de quelques Malgré-Nous, nous avons voulu nous démarquer des soldats feldgrau toujours aussi autoritaires à vouloir nous faire marcher comme à la parade ! Doublement captifs en raison des barbelés électrifiés et de la discipline germanique, nous fîmes parvenir une lettre à la French liaison. En fait de deux semaines, j’y croupissais trois mois et demi avec des bagarres continuelles à la clé, les incorporés de force désormais Français à part entière ne voulant plus se plier au sacro-saint drill prussien. Comme j’étais incorporable, on me dota d’un nouvel uniforme et je fus promu sous-officier au 23ème R.I. de Spire. D’autres aventures allaient m’attendre sur le sol indochinois.... »


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