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Fournier Adrien †

 

« Je n’ai pas connu le R.A.D . Sur les photos prises sur les quais de la gare de Metz, je m’apprête à partir pour la Wehrmacht. J’ai été enrôlé de force le 25 mai 1943 dans la 1 ère Stamm Kompanie du Landes Ersatz Batalion 17 installé en Autriche, à Heimbourg an der Donau.

Ce jour-là, je me suis retrouvé avec d’autres adolescents en civil, à l’entrée de la caserne où un Oberfeldwebel nous présenta au Hauptmann : « Da kommen uns freiwilligen Burschen aus Lothringen ! Voici des volontaires qui nous arrivent de Lorraine. » Il mentait comme un arracheur de dents.

Pour preuve, une mitrailleuse servie par deux soldats constituait le comité d’accueil. Trois camions vides bien en vue, attendaient, pensions-nous, les dépouilles des Mosellans qui refuseraient le port de l’uniforme allemand. Il fallut schwören (jurer fidélité), ce que nous fîmes tous, à côté des valises. Ce serment rappelait étrangement les dragonnades qu’avait instituées Louis XIV pour faire abjurer les Protestants et les forcer à revenir dans le sein de l’Eglise catholique. Ici, ce n’était plus l’arquebuse des dragons s’installant chez l’habitant, c’était la gueule féroce bleutée de la sMG (schweres Maschinen Gewehr, mitrailleuse lourde) qui nous souhaitait un chaleureux accueil.

Les grilles de la caserne s’ouvrirent alors à la nouvelle couvée prestement germanisée. Sur la place d’armes, je sus très vite ce qui rimait avec formation : actions, pressions, soumissions, sujétions, délations. Dans la foulée, nous fûmes dirigés vers les responsables des Bekleidungs- et Waffenkammer (fourrier, armurier) sans oublier le passage obligé par la Gaskammer, pour vérifier l’étanchéité du masque à gaz.

A l’instar du caméléon, je me retrouvai très vite camouflé en vert-de-gris. Du Breireis (bouillie de riz) au lait, un petit pot de miel, un demi pain avec un dé de beurre furent les bienvenus au repas du soir. A l’heure du sommeil bénéfique, je pensais pouvoir garder mon maillot de corps au lit. Le Feldwebel nous demanda de nous débarrasser so schnell wie möglich (au plus vite) de notre linge de corps douillet ; et comme nos pieds étaient de plus, bien sales, il nous envoya nus au Waschraum (lavabos).

Un jet d’eau glacée eut raison de nos senteurs de voyage. Le sergent de semaine (appelé UvD, oufaoudé, Unteroffizier vom Dienst) s’en mêla : « Alle auf die Spinde (tous en haut des armoires). Une belle journée s’annonce pour demain, souriai-je, les singes grimpent. » Dès quatre heures, chaque matin, un horrible tumulte retentissait dans notre jungle. Hurlements, exercices sportifs, cris, toilette(s), sifflets, aboiements, petit-déjeuner léger (avec café noir sans sucre et Kommissbrot = pain de munition), appels, défilés, commandements, rappels, haltes, ordres brefs, maniements d’armes, jurons, exercices de tir, punitions, repas au Schleuder (lance-pierres), admonestations, démontage et remontage d’armes, instruction militaire, engueulades, pose de mines, vociférations accompagnaient sans arrêt le cursus du soldat pressé. Face à tout ce remue-ménage journalier qui s’égrenait comme les cartons perforés de l’orgue de Barbarie, le dimanche devenait un jour béni des dieux : après les soins de corps et le nettoyage de la chambre, la messe, calme et salutaire, était bien accueillie et suivie. Les restaurants du lieu, mal approvisionnés en denrées, nous servaient, à l’heure de la détente dominicale, des menus à faire pleurer un ascète. Heureusement que les paquets expédiés de la maison calmaient notre fringale d’adolescents. En raison de la pénurie et par souci d’économie sans doute, notre cuistot préparait les viandes à l’eau, nous mitonnait des salades sucrées, nous submergeait de bouillies et autres ersatz.

Cette nouvelle nutrition ne nous chagrinait guère. Pourvu que l’assiette fût remplie et que les bouchées calassent l’estomac grognon ! Nous devions nous méfier de quelques camarades, des fayots, rapporteurs en diable qui faisaient remonter nos râleries déplaisantes à la hiérarchie. Des corvées supplémentaires attendaient le bavard imprudent.

 

Les séances de tir s’effectuaient à balles réelles sur notre champ de bataille-image où l’encadrement avait recomposé la guerre en modèle réduit avec les tranchées, les entonnoirs et autres parapets à franchir. L’attaque des tanks était reproduite en exercice réel pour nous inculquer l’art et la manière de les détruire. La grenade aveuglante et la Gasflache (ampoule de verre asphyxiante) neutralisaient l’équipage qui suffoquait rapidement sous les volutes de fumée blanche et ouvrait la tourelle. Mon métier de fantassin fut acquis sur le bout de mes doigts car l’encadrement mena l’apprentissage guerrier de main de maître.

Après ma mutation le 8 juillet 1943 à la Marschkompanie du Gren. Ers. und Ausb. Btl II-486 à Kremsir en Tchécoslovaquie, le scénario martial ne changea pas : attaques, manœuvres, contre-attaques, Nachtübungen (exercices de nuit) se succédaient à l’image des douilles éjectées en rafales de ma Maschine Pistole. La pluie fut également au rendez-vous. « Voilà ce qui vous attendra an der Ostfront » plaisantait le sergent.

Et il fallut ramper dans la mélasse, coudes agiles avançant en alternance avec le fusil reposant dans le creux des mains. De nos jours, les rhumatisants rêvent de bains de boue : là-bas, la villégiature en proposait gratuitement, sauf que la statue de glaise devait briller comme un Reichsmark neuf au repas de midi.

« Si mon père me voyait » me lamentais-je, les larmes aux yeux. Bientôt, nous fûmes assez rôdés et affûtés pour partir au front. Je fus affecté à la Marschkompanie de l’Inf. Rgt 307. Un essai dans la chambre à gaz provoqua l’évanouissement d’un Mosellan.

Tirés à quatre épingles militaires, nous eûmes droit à une dernière permission de nuit avant la montée en première ligne : Apfelsaft (jus de pommes), bière et petits alcools noyèrent notre déprime. Notre bataillon fut expédié vers Borissov.

Près d’une gare inconnue, alors que le train s’apprêtait à se ranger le long du quai, une vague d’avions russes nous bombarda. Par la porte entr’ouverte du wagon-à-bestiaux, nous plongeâmes à plusieurs dans le ravin longeant la voie. Suite aux explosions, la locomotive éventrée laissait percevoir des chuintements lugubres ; le corps déchiré du mécanicien se découpait dans les vapeurs de condensation. Un camarade luxembourgeois avec qui j’avais partagé les heures de ce long périple gisait égorgé dans le wagon. C’est à ce moment que je me rendis compte que je saignais abondamment à l’œil. Mais pourquoi trop m’en plaindre au vu du désastre environnant ? J’étais sain et sauf, c’était l’essentiel. Après un bandage sommaire, je repris place dans la colonne en marche. Et tandis que l’artillerie ennemie nous pilonnait de plus belle, une violente migraine m’indisposait, accentuée par la perte progressive de la vision dans mon œil droit, au motif que mon globe oculaire bien sanguinolent était en train de communiquer la kératite à la cornée gauche.

C’était un supplice, je m’en plaignis au sous-officier qui m’envoya alors au Verbandplatz (poste de secours). Quelques gouttes distillées dans le fond de l’oeil n’eurent aucun effet calmant. Je partis dans un train sanitaire qui fut bombardé près de Berlin. Avant d’arriver au centre ophtalmologique de Dresde, je constatais que j’étais devenu aveugle. Le diagnostic de l’ophtalmologiste restait fataliste. Sans doute devait-on m’énucléer, préconisa- t-il ! Mes parents accourus me prodiguèrent du réconfort : chaque journée passée en leur compagnie me faisait oublier mon infortune. Père me dit de ne pas me laisser éborgner : mieux valait un handicap gênant avec une vision floue et glauque qu’une belle agate vitrifiée. Le Stabsarzt se rendit finalement à mes arguments. Après ma convalescence, je fus réexpédié au front. Janvier 1944 voyait approcher jour après jour la défaite prochaine. Face aux Russes, on manquait de grenadiers.

Coup sur coup, je fus déplacé au Gren. Rgt 467, puis au Gren. Rgt 987. L’hiver était là : un vent glacé fouettait la plaine livide. Nos marches continuelles nous lessivaient. Un peu de repos permettait de ramener le calme dans les poitrines douloureuses. Mes mains grasses émiettaient le pain dur qui ne glissait plus dans la bouche asséchée par le stress. Que boire sinon la neige ? Deux heures de garde dans la bise polaire nous pétrifiaient littéralement : le bunker nous recueillait, ankylosés.

Durant une nuit horrible, deux de nos mitrailleurs disparurent de l’escarpement fortifié de notre abri. Les rafales de vent avaient étouffé leur capture. On déduisit au petit jour que d’intrépides Russes avaient creusé une galerie d’approche sous le manteau de neige.

Des traces de pas l’attestaient ; les deux couvertures raflées dans l’abri avaient dû être plaquées sur la tête des malheureux pour étouffer leurs cris. Tels des fantômes, ces diables étaient venus ; tels des spectres sous le suaire blanc, ils étaient repartis. Cette nuit-là, je l’échappai belle car j’aurais dû remplacer mes deux évaporés. Des éclopés, des borgnes nous rejoignaient constamment. Tous, nous mettions la main à la pelle pour creuser les tranchées. Les S.S. circulaient à l’arrière du front et fusillaient les déserteurs. Les partisans russes étaient devant nous et infligeaient de cruels châtiments aux prisonniers.

Nous étions pressés entre la croix gammée (Hakenkreutz) et la faucille rouge (rote Sichel). La retraite misérable se poursuivait. Je fus fait prisonnier par les Américains à Gersfeld le 7 avril 1945. Ce jour-là, avec un Autrichien, nous avions pris la poudre d’escampette de notre unité. A l’orée d’un bois, au moment où nous prenions une légère collation, nous vîmes apparaître l’étoile blanche sur de drôles de voitures basses sur roues, nerveuses et sans toit ! Les mains sur la nuque, on se rendit.

Assis sur le moteur d’une jeep, nous servîmes de boucliers aux fantassins U.S. accompagnés de leurs tanks qui s’avançaient vers la forêt. Les balles amies fusèrent en bourdonnant autour de nos oreilles, je vis distinctement trois servants allemands qui furent tués aussitôt par un feu d’enfer. Nos soldats épuisés sortirent peu après des tranchées pare-éclats (Splittergraben) et se rendirent. Les Alliés nous gratifièrent durant huit jours de nourriture abondante. Je fus dirigé comme prisonnier (sous le matricule 31 G 18433750) sur Marseille où je vis mourir de malheureux dysentériques dans d’atroces souffrances et dans un dénuement antique. Enfin un convoi nous ramena à Chalon-sur-Saône. Les punaises du château jouèrent les courtisanes de luxe, mais la bonne assiette de chou (la potée lorraine) bien à la mode de chez nous me ragaillardit aussitôt. La commission de contrôle me libéra.

Dans le train du retour lapidé un moment par quelques rancuniers, mes camarades de voyage qui s’étaient promis de consacrer un moment de bon temps au buffet de la gare de Metz, s’envolèrent tous du quai comme des moineaux retrouvant la liberté. Cruel destin : j’appris le jour de mon arrivée radieuse, la noire nouvelle du décès de ma mère chérie, victime le 22 novembre 1944, des bombardements lors de la Libération de Metz..... »


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