Warning: "continue" targeting switch is equivalent to "break". Did you mean to use "continue 2"? in /var/www/vhosts/malgre-nous.net/httpdocs/templates/templatemalgre_nous/functions.php on line 197

Brun Alphonse † de Henriville, marin dans la Kriegsmarine avant de partir au front.

J’ai déjà vécu une première fois ma mort il y a cinquante ans. Cela s’est passé dans l’après-midi du 15 avril 1944 qui, cette année-là, était le samedi après Pâques. Un convoi de trois cargos de la marine marchande allemande, qui progressait péniblement en mer du Nord, à l’extrême Sud-Ouest de la Norvège dont la côte se dessinait derrière le flou des vagues, fut attaqué par un sous- marin des Alliés. Subitement, des cris tonitruants avaient retenti sur notre transport de minerai de fer : «Sillage torpille à bâbord !»

A peine les veilleurs avaient-ils lancé ce cri que deux coups de bélier consécutifs aux explosions de deux torpilles, secouèrent la coque de mon bâtiment et le firent lourdement sursauter, le coupant en trois morceaux qui disparurent aussitôt dans les flots. Le tout ne dura en tout et pour tout que treize secondes - comme nous l’apprîmes ultérieurement - à partir du moment crucial où les torpilles avaient été découvertes jusqu’à l’instant où l’antenne du cargo fut engloutie par la mer.

Nous apprîmes également que le nombre des disparus représentait les 2/3 de l’équipage : antérieurement à l’attaque, nous étions 28 à bord. Après, on nous compta et on nous recompta : nous étions encore dix. Je suis l’un de ces dix rescapés. J’avais été incorporé dans l’armée allemande le 26 novembre 1943, comme quelque 132 500 autres compatriotes de force qui furent mobilisés à la suite de l’introduction en Alsace-Moselle du service militaire obligatoire. Je fus affecté à la marine de guerre. Le temps de l’instruction de base, qui s’est faite à Memel- (Klaïpeda depuis 1945) - dura jusqu’à la fin du mois de février 1944.

A compter du début du mois de mars 1944, stationnant à Stettin, mon port d’attache sur la Baltique, je fus affecté à la défense contre avions. A l’époque, tous les navires marchands de quelque importance que ce fût avaient été munis d’artillerie antiaérienne installée à bord, pour les défendre en cas d’attaques aériennes ou sous-marines.

L’état de guerre entraîna la formation d’équipages mixtes. Les mariniers marchands, primitivement équipes uniques à bord, furent accompagnés à la suite du conflit d’une autre série d’équipages formés de matelots et de gradés de la marine de guerre. Les supérieurs de l’un et de l’autre groupes de marins avaient certes des relations fréquentes entre eux, mais les équipages civil et militaire avaient chacun leur travail et leurs occupations propres. Les seules relations qui entraînaient une certaine complicité, tolérée d’ailleurs entre le personnel subalterne, étaient constituées par le courrier qui nous était adressé au nom du bateau avec l’indication de son secteur postal ; et les lettres parvenues après l’appareillage du bâtiment nous suivaient jusqu’à sa prochaine escale.

Les repas conviviaux étaient préparés en totalité par le cuisinier civil, dans sa cambuse, où n’avaient cependant accès, en ce qui concernait les militaires, que les porteurs de repas, et aux seules heures d’ouverture de celle-ci. Nos divers logis se trouvaient «à portée de main», sous le pont d’une part, et sous les armements eux-mêmes installés sur le pont, d’autre part, le tout relié par des escaliers, voire des échelles fixes. Ces logis étaient équipés avec un confort relatif d’autant de lits-couchettes superposés deux par deux, d’armoires et de chaises qu’il y avait de servants de la ou des pièces installées au-dessus des logis. Une grande table occupait pratiquement toute la place restée libre. Pour nous, les militaires, seuls entraient en ligne de compte le service de garde et sa relève, le quart étant pris toutes les quatre heures, qu’il s’agisse de la garde à terre, à quai, dans le port mais surtout de celle qui se pratiquait en mer, de jour comme de nuit.

Les armements étaient constitués par des superstructures surajoutées, imposantes constructions en acier, montées sur pieds, sortes de chaires surélevées à une demi-douzaine de mètres au-dessus du pont, à l’avant, au milieu et à l’arrière, selon l’importance du bâtiment qui était censé recevoir ces défenses. Ces constructions étaient munies de dispositifs propres à faciliter la mise en place des affûts, généralement multiples, des armes elles-mêmes : des canons antiaériens à tir rapide. Dès mon arrivée à Stettin, je fus avisé que j’étais détaché avec un groupe d’autres marins sur le MS. Wartheland, un vieux bâtiment sur lequel je n’ai embarqué que le temps d’un aller-retour à Gotenhaven -(Gdynia maintenant) soit une dizaine de jours qui se passèrent sans incident et dont je n’ai gardé aucun souvenir.

Dans l’intervalle, il m’avait été annoncé qu’avec effet du 14 mars 1944, j’aurais une nouvelle affectation sur le cargo Friedrichshafen*. Quand, sous un soleil magnifique baignant le port, j’ai aperçu ce bâtiment pour la première fois, amarré à quai, j’ai été ébloui par l’aspect accueillant que lui donnait sa couleur bleu-clair tirant sur le gris : je ne me doutais pas du sort qui allait devenir le mien à son bord. Il n’avait jamais pris la mer. Preuve en était les différents exercices et essais effectués par les membres de l’équipe civile pendant plusieurs jours dans le golfe de Dantzig- (Gdansk depuis la fin de la guerre.) C’est pendant ce laps de temps que se compléta peu à peu l’équipage militaire. Et le 14 mars 1944, nous prîmes la mer pour Helsinki, capitale de la Finlande. Nous transportions une prosaïque cargaison de ... charbon.

Nous avions eu l’occasion d’observer toutes les phases dudit chargement, non sans une certaine mélancolie : les soutes toutes neuves du bateau étaient devenues toutes sales par la poussière noirâtre de la houille. A bord, la routine avait repris le dessus : garde de quatre heures, repos de temps identique, garde... ainsi de suite. A l’entrée du port de Helsinki, nous reçûmes la visite du bateau-pilote, qui amenait le pilote chargé de nous guider à travers les chenaux sécurisés par les dragueurs de mines côtiers. Après le déchargement du charbon, les soutes furent soigneusement lavées à grande eau, ce qui laissait le champ libre aux multiples suppositions des non-initiés sur le futur fret à embarquer sur le bateau. Nul d’entre nous n’avait cependant imaginé que nous allions nous rendre en Suède ! Nous venions en effet de nous engager dans le golfe de Botnie, et dès que nous approchâmes des eaux territoriales de la Suède, nous fûmes accueillis par un brise-glace qui nous ouvrit un chenal dans la glace laissée par l’hiver qui se terminait. De toute évidence, il n’y avait pas eu beaucoup de mouvement en ces lieux ces derniers temps. Nous fûmes dirigés sur le port de Gävle situé au fond de la baie de même nom, entre les 61ème et 62ème parallèles. Entretemps, toutes les armes avaient été démontées et rangées sous bonne garde sous le pont et nos supérieurs, qui nous confirmèrent notre destination, nous renvoyèrent dans nos logis, nous reposer.

Le bateau, ainsi désarmé, ressemblait à un quelconque navire de commerce, et il n’avait d’allemand que le nom et le pavillon du III ème Reich timbré du svastika. Le matériau que nous embarquâmes était de la roche ferrique, non pas à l’état brut, tel qu’il provenait de l’extraction proprement dite, mais du matériau déjà traité, écrasé, broyé, concassé, lavé, prêt à être porté directement au haut-fourneau de fusion.

De simple cargo qu’il était auparavant, notre bateau était devenu un véritable minéralier dont les soutes se remplissaient silencieusement jusque dans leurs recoins les plus cachés, au fur et à mesure qu’une immense grue se déplaçant le long du quai, y déversait sans le moindre bruit son contenu qu’elle puisait dans les péniches remplies de minerai, amarrées au quai. Sitôt le transbordement terminé, nous quittâmes le port de Gävle en direction de l’Est, puis de celle du Sud. Revenus dans les eaux internationales, les armes furent à nouveau sorties de leur remise et montées à leur place respective. Après avoir contourné la Suède, nous fîmes route à l’Ouest, et par le détroit du Sund, qui sépare la Suède du Danemark, ainsi que par le Kattegat, nous nous dirigeâmes sur Oslo, logée au fond de son fjord, pour y faire escale. Après deux jours au port, nous fûmes avisés que nous reprendrions la mer dans l’après-midi du samedi 15 avril 1944.

Nous n’étions pas seuls, un convoi de trois cargos avait été constitué. Les deux autres navires circulaient du côté de la terre ferme, alors que notre couloir de circulation se situait du côté du large, à bâbord (côté gauche). Trois bâtiments d’escorte capables d’intervenir nous accompagnaient. Ces derniers nous encadraient du côté de la haute mer et ils étaient censés nous protéger ou, en cas de coup dur, nous prêter main-forte. Notre bâtiment, que nous savions lourdement chargé, fendait la mer avec une énorme vague d’étrave, dans un impressionnant nuage d’écume. Au moment du départ d’Oslo, nous avions été informés que nous devions par la Mer du Nord, -notre route obligée qui était facile à surveiller-, aller livrer notre cargaison à Bergen, en longeant la côte norvégienne. Et puis, ce fut la catastrophe : tel un braconnier en train de chasser clandestinement, un sous-marin allié qui s’était mis à l’affût non loin de là, lança deux torpilles sur notre cargo, et l’une et l’autre firent mouche !

Cela se passa sensiblement à égale distance de Kristiansand et de Stavanger, à hauteur du 58ème parallèle. Subitement, tel un coup de tonnerre, les clameurs des guetteurs de l’avant avaient retenti : «Sillage torpille à bâbord !» Différentes choses se passèrent alors simultanément ou quasi-simultanément, et plus vite qu’on ne peut le raconter. Immédiatement, les klaxons résonnèrent, envoyant tous les hommes aux postes de combat. De suite après, il y eut les deux explosions successives des deux torpilles qui vinrent frapper le bâtiment, lequel se souleva littéralement hors de l’eau et se brisa en retombant. Il coula si rapidement que personne ne fut en mesure d’entreprendre quoi que ce soit. Moi-même, je n’eus pas le temps de sauter à la mer, mais j’eus l’impression de tomber dans un trou immensément profond, pendant que des milliers de tonnes d’eau semblaient s’acharner à me mettre à mort ! A mort ? Cette idée me fit frissonner.

En effet, j’avais compris immédiatement que je ne m’en sortirais pas et que tout était fini ! Au cœur de cette tempête monstrueuse et au creux de ce cratère provoqué par l’engloutissement de la poupe du cargo, un effroi douloureux me saisit à l’idée que j’allais devoir y laisser ma vie. Vite une dernière pensée me zébra l’esprit : «papa, maman, mon Jésus, miséricorde ! » puis je sentis que je perdais connaissance. Cet état d’abandon ne dut cependant durer qu’une fraction de seconde, puisque je revins à moi dans cet océan de douleur, soufflant, haletant, toussant, crachant comme un damné l’eau que j’avais avalée, mais en constatant non sans émoi que je venais d’échapper à la mort. Le trou d’eau - ou les trois trous d’eau s’étaient comblés d’eux- mêmes et j’avais été rejeté vers la surface de l’eau. J’avais eu l’indicible chance de ne pas avoir été entraîné vers le fond par le tourbillon principal, qui devait se situer là où il y avait eu précédemment l’avant du navire, et j’avais également été rejeté du tourbillon de l’arrière - beaucoup moins important - parce que poussé vers le haut par mon gilet de sauvetage. Très rapidement, deux chaloupes, qui avaient été mises à la mer par l’un de nos escorteurs, circulèrent parmi les rares épaves qui se balançaient par là, pour recueillir les survivants. Mais tout autour de nous et presque à perte de vue, la mer était écaillée de poissons morts.

Cette image, je ne sais pourquoi, me rappela la vive impression qu’avaient faites sur moi, tout juste avant les explosions, les deux traînées de bulles, visibles de loin, lâchées par les torpilles à air comprimé que l’on devinait sous ces bulles. Et elles étaient alors déjà si proches du bâtiment... Lâchant le bout de panneau que je m’étais coincé sous le bras, je fus amené à bord de l’escorteur. Là, les rescapés eurent la possibilité de se changer : les marins du remorqueur mirent leurs affaires à notre disposition, pendant que leur cuisinier nous préparait une boisson chaude. Un officier me posa la question de savoir pour quelle raison je me trouvais sur le pont au moment où le cargo avait été attaqué. La réponse que j’apportai était simple : c’était mon tour de veille.

 

Si j’ai cité les vigies de l’avant pour leur découverte des torpilles, ma place à moi me commandait de veiller avec mon co-équipier à l’arrière de notre bâtiment, où nos yeux ne cessaient d’explorer constamment l’horizon. Nous nous tenions auprès des armes au-dessus de notre logis, et je sais pertinemment que si j’avais été au repos, je ne serais pas sorti sain et sauf de ce naufrage. En effet les torpilles, elles, n’arrêtaient pas d’avancer, comme attirées par un aimant sur leur victime désignée, face à des hommes de l’équipage se trouvant en émoi, sur le pont.

Depuis le logis, je n’aurais pas eu le temps, matériellement, de me rendre à mon poste. La façon dont les choses se sont passées m’ayant été plutôt favorables, je pensais pendant un certain temps que la force des explosions, notamment de la seconde torpille, m’avait éjecté vers la mer, mais en essayant de reconstituer les faits, je me suis rendu à l’idée que j’étais tout simplement resté sur le troisième bout du navire. En se soulevant pour retomber dans un énorme geyser, ce tiers sortant, avant de disparaître dans les flots, m’entraîna avec lui dans son grandiose remous. L’eau qui combla le trou s’abattit sur moi, ne m’aspira pas vers le fond, mais au contraire, me catapulta comme une balle de ping-pong à la surface de la mer. Les survivants - les dix - furent débarqués à Oslo à la nuit faite et ramenés le surlendemain en Allemagne par un cargo dont je n’ai plus souvenir de la nature de son chargement.

Un congé du 25 avril 1944 au 10 mai 1944 me fut accordé. A l’issue de celui- ci, je retournai à Stettin et fus affecté sur le transport-de-troupes Donau (lequel, selon une information non confirmée, fut coulé plus tard avec 1 200 hommes à bord). Ultérieurement, je fus muté dans l’infanterie et blessé en Hongrie, rapatrié en Allemagne - le 25 décembre 1944, je traversai Vienne en Autriche en train sanitaire - et je fus fait prisonnier par les troupes françaises à Tübingen en Forêt-Noire le 29 avril 1945. Mais ceci, c’est une autre histoire. * Accompagné par quatre patrouilleurs, les UJ 1101, 1102, 1103 et 1112, le cargo Friedrichshafen jaugeant 1923 Brt, fut coulé par le sous-marin britannique Venturer (Lieutenant Launders) à 15 miles au Sud-Sud-Est du Egersund, Norvège (photo du Venturer, extraite du Spiegel online).

__________________________________________________________________________________________

X. Joseph, né le 11 septembre 1920

Commentaire de son fils.

« Mon père, jeune marié, a longtemps cherché à se soustraire à l’incorporation et avait déserté la sphère paternelle pour aller vivre à S., lieu de naissance de sa femme Elisabeth.

 

Imaginez la colère de mon grand-père en apprenant que son rejeton n’épousait pas la cause nazie, alors que lui rêvait à la ferme modèle que le régime lui avait promise. Il était Fleischbeschauer à ..., un poste à responsabilité qui, supposait-il, lui octroierait tôt ou tard ein Landbesitzt (une propriété terrienne).

Le jeune couple (mes parents) avait une vision diamétralement opposée à cette idéologie et avait fui l’ambiance familiale tout comme ma tante Marie partie vivre dans son village d’adoption. La malheureuse perdit le 24 décembre 1944 son mari K. Eugène et ses deux fils durant un bombardement d’artillerie sur S. lors des combats de la Libération. Eugène s’était volontairement mutilé pour échapper à l’enrôlement : une chute malencontreuse sous la charrette tirée par les vaches avait occasionné une infirmité le rendant nicht fahnenpflichtlich (non astreint au service militaire). La belle-famille de mon père cacha cinq réfractaires.

Le grand-père maternel avait aménagé des caches dans de fausses cheminées. Du papier mural collé sur des cloisons factices occultait astucieusement le réduit. On s’y infiltrait à hauteur des plinthes : un minuscule intervalle permettait le passage qui était ensuite fermé par une planche masquée par l’étagère à chaussures. Les insoumis avaient besoin de s’oxygéner et l’un d’eux n’hésitait pas à se déguiser en femme.

"Ida" venait donc taper la belote dans sa propre maison et ses jeunes enfants ne reconnurent pas leur père accoutré d’habits féminins. Les garnements, on ne le savait que trop bien, pouvaient dans leur naïveté enfantine révéler des présences insolites aux agents de la Gestapo en cas de perquisition. Mon père se retrancha lui aussi derrière le paravent muré. Les reproches des autorités nazies formulées au grand- père à l’encontre du déserteur qu’était son fils envenimèrent leurs rapports. De guerre lasse, en fils soumis mais révolté, il fut enrôlé comme Matrose dans la Kriegsmarine et affecté à la surveillance des côtes norvégiennes (Oslo, Bergen, Stavanger). »


Warning: Parameter 2 to modChrome_artblock() expected to be a reference, value given in /var/www/vhosts/malgre-nous.net/httpdocs/templates/templatemalgre_nous/html/modules.php on line 39

Warning: Parameter 3 to modChrome_artblock() expected to be a reference, value given in /var/www/vhosts/malgre-nous.net/httpdocs/templates/templatemalgre_nous/html/modules.php on line 39

© 2015-2024. Tous droits réservés.

Console de débogage Joomla!

Session

Profil d'information

Occupation de la mémoire

Requêtes de base de données