Brettnacher Victor, né le 18 Mai 1923 à Loupershouse

Un étrange concours de circonstances m’amène à évoquer l’affaire Victor Brettnacher. C’est en discutant avec l’abbé Friedrich, aumônier de la 78 D.I sur le cas d’Albert Melling que j’ai pris connaissance d’un rapport de justice militaire concernant la procédure engagée contre Victor Brettnacher au Feldersatz Batalion 178.

Connaissant le patronyme, je me suis enquis auprès de ce concitoyen pour savoir si d’aventure je n’avais pas en face de moi, par extraordinaire «l’heureux» destinataire de cette missive «mortelle» du 18.10.1943. Je fus bien époustouflé d’apprendre qu’il s’agissait bien de «mon» Victor, condamné à mort pour désertion.

 

Le Heeres Justizinspektor Madel (photo : personnage du milieu) intercédait en sa faveur en suppliant le tribunal d’user de clémence et de commuer la peine en réhabilitation à fournir devant l’ennemi. La plaidoirie portait sur les arguments suivants : «L’accusé est Lorrain, il ne se sent pas lié à la communauté du peuple allemand et à ses exigences. Il a 20 ans ; il est soldat depuis janvier 1943 dans la Wehrmacht. S’agissant d’un élément étranger à ramener dans le giron allemand, cette reconnaissance patriotique ne l’a pas encore entièrement imprégné de ce devoir évident de prendre part au destin national.

Et là nous ne sommes pas exempts de tout reproche dans cette transition. De même ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut bousculer les mentalités et vouloir en moins de six mois arriver à intégrer ces populations. Je suis convaincu du caractère germanique des populations de Lorraine mosellane.

Si elles détiennent une langue et des traditions indiscutablement allemandes, n’oubliez pas, meine Herren, que notre préoccupation est de les déstabiliser progressivement de cet envoûtement français ! D’ailleurs, lors de son audition, ce jeune homme était assez embêté pour nous dire équitablement s’il appartenait à la France ou à l’Allemagne. La volonté d’accepter l’intégration se passe dans le for intérieur. Or, et je regrette de vous le dire, un soldat qui ne se reconnaît pas comme partie intégrante du peuple ne peut décemment pas remplir son devoir comme les fils de notre race. Nos hommes, oui, face à une situation critique, surmontent leurs peurs, leurs faiblesses, refoulent leurs soucis et sont prêts à sacrifier leur vie sans ménagement.Ce n’est pas son cas. Pourtant on ne peut ni le traiter de lâche ni l’accuser d’avoir failli à son devoir de réhabilitation.

A peine mis à la disposition d’un groupe de réserve, il fut aussitôt blessé. La condamnation à mort, suite à ces considérations m’apparaît très sévère et injuste. Cette condamnation porte atteinte au rôle et à la mission que s’est fixé le Reich en faveur des Allemands vivant le long des frontières (Grenzland). Si la troupe peut objectivement exiger des peines sévères pour abandon de poste aux fils authentiques du peuple allemand, tel n’est pas le cas ici. Voilà pourquoi je reformule mon souhait du départ, le libérer pour l’intégrer dans une unité de réhabilitation. Le prévenu regrette amèrement son geste et exprime fortement son désir de donner sa pleine mesure de soldat si on lui offre l’occasion. Je suis désormais convaincu que l’intéressé fournira les preuves qu’il n’est pas un poltron.» « Non, je n’ai jamais voulu être soldat allemand. Malheureusement, eu égard à ma grand-mère, ma mère et ma sœur (mon père était mort), que vouliez-vous que je fisse ? Me sauver ! C’eût été sacrifier ces trois femmes sur l’autel de l’égoïsme et de l’insouciance. A les imaginer déportées, j’ai préféré endosser l’uniforme de misère. J’ai passé mon Arbeitsdienst à Hermeskeil du 5 octobre au 30 décembre 1942.

La bêche était notre instrument de prédilection : bêcheur de fossés, bêcheur-bûcheur en forêt, bêcheur-soldat lors d’exercices interminables. Je suis parti le 13 janvier 1943 au Bataillon 107 d’Idar Oberstein. «Fiktor Brettnacker ! » tel était mon pseudonyme dans la Wehrmacht. J’étais devenu par la grâce de l’alphabet runique un homme nouveau. Le moule de la formation militaire paracheva cette mutation. Nous étions sans arrêt en mouvement : en ordre serré avec armes, sans armes, dans les parades et les défilés fastidieux (avec section, puis compagnie), entraînements sportifs, manœuvres nocturnes suivies aussitôt du Frühsport, initiations au maniement des armes, exercices de tirs, marches avec l’équipement complet.

Un programme endiablé qui vous mettait les genoux sur les rotules et l’estomac dans les talons ! Passe encore si la nourriture avait pu redresser la barre de la fringale, mais hélas l’appétit qui vient en mangeant n’était pas un proverbe usité dans les casernes du Reich. On aurait dit en effet que les vivres voulaient plutôt camper dans la réserve (et sur leur réserve), les rations semblaient frappées de léthargie et qui plus est surveillées par un officier d’intendance trop frugal. L’alimentation dispensée restait sur le qui-vive de la diète spartiate. Avoir toujours faim lorsqu’on est jeune et ne rien pouvoir se mettre sous la dent, da liegt der Hase im Pfeffer (voilà le hic).

C’était les sempiternelles annonces spéciales, du type Kartoffeln Sondermeldung marinées à toutes les sauces et l’éternel brouet-maison, le gruau consistant à base d’orge perlée. Au petit-déjeuner, le Fennerhartz (confiture de betteraves sucrières) se figeait au garde-à -vous puis s’étirait en accordéon sur nos tranches de pain elles aussi,... au régime par manque de céréales ! Das hat weder Salz noch Schmalz, ça manque d’assaisonnement ! Nos remarques saugrenues attiraient l’ire du chef-cuisinier. « Ce que vous me dites, das passt wie meine Faust aufs Auge, hurlait-il . Cela tombe comme un cheveu sur la soupe ou comme mon poing sur l’œil. Attendez de faire les difficiles sur le front russe ! Dort schmecken aus feindlichem Garten die Eiergranaten am besten.

C’est là que vous apprécierez les oeufs-grenades ! Dort wird Euch der Heisshunger aus dem Bunker treiben denn bei dem verhungerten Iwan fliegen Ihnen gebraten Stalinstauben in die Fresse ! Eh bien, la faim dévorante vous chassera du bunker car chez Iwan l’affamé, les merles frits de Staline vous exploseront dans la g...... » Le Spiess et le U.V .D (Oufaoudé) (sous-officier) procédaient chaque soir, après le Zapfenstreich (clairon qui annonce l’extinction des feux) à l’appel. Le préposé du Stubendienst avait intérêt à ce que tout fût «nickel». Les bottes cirées attiraient le regard de nos deux cerbères : malheur s’il manquait un clou ! Le fautif récoltait des pompes interminables de la part de ces zwei Kadetten. Le samedi après-midi, le nettoyage des alentours du baraquement figurait au programme. Brosse à dents et peigne se coinçaient dans nos poches : à tout bout de champ l’hygiène prévalait, même au pas-de-tir. Un lavabo nous y attendait pour éliminer le rinçage abrasif effectué sur nos dents et pour dégager la sueur de notre front ! Le dimanche, la sortie nous était accordée sous certaines réserves : port du calot incliné, tenue impeccable. J’eus l’idée malvenue de fixer un bouton avec une allumette, détail qui n’échappa pas au sergent de semaine ! Retour à la case de départ, « vous êtes confiné au quartier ! » ! Je fus muté le 31 juillet dans le régiment d’infanterie n° 14, faisant partie de la 78 ème Division d’Assaut. Sans cesse en mouvement de repli, tentant un jour sur deux de tenir des positions élevées à la hâte, j’ai ainsi sillonné le Mittelabschnitt après l’évacuation du saillant d’Orel. Je fus blessé une première fois à Kostinicho : un éclat d’obus me lacéra la cuisse droite. Je garde un bon souvenir de cette longue convalescence.

D’abord je fus bien soigné et les séquelles disparurent rapidement. Herr Leutnant Doktor m’avait à la bonne car j’étais devenu son homme-à-tout-faire : cirer ses bottes, nettoyer sa chambre, m’occuper de son cheval. En contrepartie, il me procurait par le biais d’ordonnances l’obtention de repas améliorés qui chagrinaient beaucoup les cuistots jaloux de ces prescriptions avantageuses. Tout a une fin... et je réintégrai ma nouvelle unité an der Front de Gomel dans un uniforme neuf.

Diables d’orgues-de-Staline avec leur bruit apocalyptique aux décibels étourdissants. Les Russes avaient cette habilité de combiner les attaques d’infanterie avec un matraquage d’artillerie. Avec le nez obligé de pointer dans la glaise, nous pouvions difficilement répondre aux assauts de leurs fantassins bondissants. Il fallait au plus vite déguerpir ; les tanks T.34 qui arrivaient à isoler l’un de nos camarades l’ensevelissaient sous un magma de terre. Heureusement que nos artilleurs étaient là pour rétablir les situations compromises. Les Nebelwerfer faisaient chuinter leurs salves au- dessus de nos têtes.

D ’autres engins lâchaient une ribambelle de fusées dans la masse compacte des Russes. Nous étions parfois le marteau qui allait sonner les cloches à Ivan incrusté dans les bourgades, parfois nous devenions l’enclume sur lequel résonnaient les tirs ennemis. On nous demandait dans une navette éreintante de repriser les percées (Löcher stopfen) puis de nous ériger en hérisson. J’ai dormi constamment dans les tranchées et je n’ai jamais pu apprécier la quiétude d’un bunker. Les rares fois où j’en ai fait connaissance, c’était lors de coups-de-main où nous reprenions à l’adversaire nos propres installations précédentes. Je pouvais alors y récupérer du ravitaillement opportun.

Les Russes étaient copieusement servis en lard blanc, leurs musettes fouillées recélaient également du pain et l’incontournable vodka, qualifiée de carburant trompe-la-mort. Ces vivres appréciés contrastaient avec notre propre subsistance : le kommisbrot, le keks, le goulasch venaient de la cuisine roulante si souvent canardée qu’elle ne remplissait plus son vrai rôle de pourvoyeuse de nourriture chaude. Chaque soir, à la nuit tombante, deux des nôtres partaient récupérer le ravitaillement qui arrivait froid dans nos positions. J’ai également dû participer à cette corvée où l’on avait intérêt à se protéger contre les balles des tireurs d’élite. A l’arrière du front, certains de nos officiers se rinçaient royalement le gosier alors que nous, nous subissions la fringale quotidienne à attendre les gamelles de la roulante (appelée Gulaschkanone).

J’étais souvent épuisé à force de creuser à la va-vite des tranchées dans le sol sablonneux ; nous les aménagions de préférence en haut des collines d’où nous pouvions superviser l’investissement progressif de l’ennemi, mais sans pouvoir vraiment réagir tant nos munitions de réplique devaient être engagées avec parcimonie. «Dein Gewehr, ehre es wie eine Frau. Honore ton fusil comme si c’était une femme ! » J’étais Schütze n° 2. Un jour, mon malheureux mitrailleur fut tué à côté de moi et je fus obligé de le remplacer. « Johann ! tu circules trop à découvert sur le terrain. Un de ces jours, il va t’arriver malheur ! » Le désinvolte Kumpel (copain), prêtant peu de foi à mes recommandations salutaires, gisait à côté de moi, les yeux fixes à jamais. Je n’en menais pas large car, en face, l’œil perçant du sniper m’avait dans le collimateur. J’appelai à la nuit tombante mon pourvoyeur planqué à quinze mètres de là. Faute de brancard, notre malheureux copain resta là, à la grâce de Dieu. Lors d’une attaque concertée des Russes qui avait jeté la pagaille dans notre dispositif et débandé mon régiment, il me fallut fuir l’enfer et j’errai désemparé avec un camarade dans la nature. Les 48 heures fatidiques au cours desquelles l’on devait impérativement retrouver son groupe furent hélas dépassées ; il faut dire que j’en avais assez soupé de cette galère au point de chercher à m’esquiver et à faire durer à dessein le plaisir de cette escapade prisée. Bien sûr, on me considéra comme déserteur ! Voilà comment la chose s’était passée. Une attaque russe précédée de tirs de mortiers (les Stupate) réglés par avion d’artillerie, le Rada, nous avait rejetés vers l’arrière. Dans le chaos des terrains dévastés, sous un roulement continu d’obus, je me retrouvai désorienté en compagnie d’un autre Mosellan.

Comment faire ? Où aller ? Tomber aux mains des Russes impitoyables, ou se planquer en attendant l’accalmie ? Le mieux était de temporiser, on verrait bien le moment venu.

La fugue en sol miné s’éternisa. De plus, sur la Rollbahn un cordon de la Gestapo s’enquérait des soldats isolés. Il valait mieux s’éclipser que de discuter avec ces diables-là. Je hélai plus tard un aimable chauffeur qui me désigna l’emplacement probable de notre compagnie. Au retour, notre Leutnant furibond nous apostropha en aboyant : « Sales déserteurs j’aurai votre peau ! »

Nos explications embarrassées mais simples de vérité le mirent en fureur et il nous promit le peloton d’exécution. Je fus donc bloqué à l’arrière dans le train d’équipage (der Tross) avec les corvées dévolues au tire-au -flanc : soin des chevaux, corvées de cuisine et montée en ligne pour apporter le ravitaillement de nourriture et de munitions.

En attendant de statuer sur mon sort, je fus également placé aux premières loges pour m’opposer aux attaques ennemies. Blessé gravement à la fesse lors d’un affrontement, je fus évacué vers un parc sanitaire où je mis plusieurs semaines à récupérer avant d’être versé dans le bataillon de la Feldstrafgefangen Abteilung 14 où j’attendis le verdict au cachot, entre le pain et l’eau (cf. récit de Joseph Zingraff sur les F.G.A.). Le verdict, édulcoré par la plaidoirie magistrale du Justiz Inspektor Madel, m’épargnait l’exécution capitale. Merci mon Dieu ! J’étais gracié mais avec une peine de prison à la clé, assortie de privation de droits civiques et de perte de dignité militaire : la sanction était à absoudre dans une unité de réhabilitation !

La perspective de mourir face au peloton m’avait vieilli de dix ans ! Je retrouvai le 10 décembre le bataillon I.E .B . 500 à Skierniewice* où j’ai croupi une semaine dans une baraque du Lager sous les hurlements des matons chargés de nous diffuser la féroce Disziplin. Je fus affecté dès le 16 décembre 1943 à la 3ème Cie dudit Bataillon où l’encadrement nous modela en d’intrépides fantassins rompus à tout l’art de la guerre.

Tout à la joie d’avoir échappé à la sentence radicale, on me proposa le régiment disciplinaire avec choix possible de l’une des deux options : soit celui d’être sans armes et où le travail consistait à déterrer les mines, poser les barbelés, ramener les morts, les enterrer, soit le régiment dans lequel les soldats cherchant à se racheter disposaient d’armes. Je choisis cette dernière car une arme sécurise toujours davantage face aux hordes ennemies. Mis à la disposition spéciale (zur besondere Verwendung) au z.b .V . 560, je me retrouvai une troisième fois blessé grièvement au coude le 11 mars 1944 à Priwolnoje, en pleine raspoutitsa.

Fin août, après ma guérison, je participai avec le 560, l’espace d’une journée, à l’investissement du ghetto juif de Varsovie. L’insurrection n’avait pas encore atteint son summum : quelque 2 500 partisans furent assez rapidement faits prisonniers. Mais les plus intrépides étaient les jeunes de 8-10 ans qui nous tenaient la dragée haute.

Ces fanatiques, souples comme des lianes et reconvertis en d’irréductibles snipers, faisaient le coup de feu dans les maisons aux recoins inexpugnables ; il fallait les neutraliser l’un après l’autre pour se rendre maîtres de la place. On ne pouvait guère compter sur les panzers, véhicules qui s’avéraient peu efficaces dans le dédale des rues ; les cocktails Molotov, armes redoutables, grillaient les tankistes pris comme des rats à bord de leurs blindés.

Peu de mes camarades s’en sortirent ce jour-là ; protégé derrière un tank, j’entendais miauler les balles mortelles. De nombreux SS gisaient à tous les coins de rue, tués d’une balle en pleine tête. On me muta ensuite à l’unité auxiliaire IEB 500. Ramené sur le front, je survécus par miracle à l’étranglement russe. Nous étions une troupe-élite et faisions le dernier baroud avant de rejoindre nos lignes à travers les champs de mines. La langue pendante, nous étions assoiffés et furieux contre nos propres troupes : la Feldgendarmerie n’hésitait pas à empoisonner chaque puits à mesure que l’on reculait. Combien de fois l’ai-je damnée ! Nos rations de guerre ne faisaient pas long feu, même devant la colère du lieutenant qui tenait à ce que nous gardions comme un viatique die eiserne Ration, mais notre faim ogresse vidait en un clin d’œil le contenu. Les Marketenderware allégeaient un peu le supplice. Je fus blessé une 4 ème fois le 29 janvier 1945 à Allenstein par des fragments de bombe. Les éclats occasionnèrent une grave fracture à l’articulation du pied droit et entaillèrent de larges estafilades dans ma nuque : elle reste encore aujourd’hui lestée de deux gros éclats.

Sorti de l’hôpital, je fus pris en main par les Américains et je vécus la captivité jusqu’au 16 juin 1945. Je réintégrai le 27 juin 1945 mon village natal de Loupershouse Ich habe Schwein gehabt. J’ai eu de la chance.... I.E .B . 500* : L’Infanterie-Ersatz-Bataillon 500 fut affecté au General Gouvernement de Pologne et ventilé en 5 compagnies (1 caserne-mère, 1 compagnie pour convalescents, 3 compagnies de marche à Tomaszow). Le zb.V . 560 était stationné en 1944 d’abord à Odessa, en juillet à Byalistok, en octobre à Varsovie puis Modlin. A la fin de la guerre, le bataillon était en Prusse-Orientale sous le commandement de la 2 ème Armée.


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