« ………J’ai passé dix mois en première ligne. La mort était présente à chaque instant et en fin de compte, on s’y habituait.

Le 15 décembre 1943, notre compagnie était arrivée au P.C. du régiment ; elle était constituée en majorité d’Alsaciens-Lorrains et de Luxembourgeois venus des camps d’instruction de la région de Baranowitschi-Minsk. Notre baptême de feu eut lieu le lendemain matin dans la région de Slobin, secteur central du front. Soixante des nôtres furent amenés en première ligne : nous devions effectuer une contre-attaque pour déloger l’ennemi qui, pendant la nuit précédente, avait investi une partie de notre système de défense. Il m’est impossible de décrire l’assaut donné sous un déluge de feu… Beaucoup d’entre nous y restèrent…

Fin février 1945, en Courlande, avec un camarade, nous avons été ensevelis dans un de ces trous de renard que l’on creuse dans le flanc des tranchées pour échapper aux tirs de matraquage. Lors de cet intense bombardement, une partie de la tranchée s’effondra et nous emmura dans la cavité.

Sonnés quelque temps, puis ayant repris nos esprits, nous avons paniqué dans notre souricière vu que nous ne pouvions plus bouger sous le remblai. Par la suite, heureusement, des camarades nous ont libérés. Pendant des heures, j’ai été pris de tremblements convulsifs …

Le 17 mars 1945 au matin, j’ai été fait prisonnier en Courlande. En voici les circonstances : 200 à 300 mètres de distance séparaient chacun de nos points de résistance. Nous étions huit gars établis dans notre Stützpunkt. Les Russes déclenchèrent une attaque d’assez grande envergure. Notre appui fut totalement isolé et harcelé par des tirs intenses, à l’image d’une cloche-de-feu sous laquelle il nous était impossible de tenter quoi que ce soit pour répliquer. Pendant ce temps, les troupes d’assaut passèrent à droite et à gauche de notre position. Quand on nous repéra, le commissaire politique ordonna de nous fusiller. A coups de crosses, on nous fit entrer dans un trou d’obus à moitié rempli d’eau. C’était là dans ce trou, me dis-je, que ma vie allait finir ; ma dernière pensée fut pour mes chers parents et enfin dormir, disparaître pour toujours. Mais à cet instant fatidique eut lieu un miracle ! en la personne d’un commandant qui passait heureusement par là et qui ordonna aussitôt de nous ramener vers l’arrière. Une vive mais brève discussion s’engagea entre les deux chefs.

L’officier justifia son ordre en faisant allusion aux directives du haut-commandement qui visaient à récupérer sains et saufs les prisonniers. Manifestant son autorité légitime face au hautain politruk, le gradé nous fit sortir de l’entonnoir qui aurait pu devenir notre tombe. En ces moments intenses de la vie retrouvée, un formidable désir de survivre, en fait une deuxième naissance, m’envahirent. Depuis cet épisode, chaque jour vécu est devenu un don du Ciel. Chaque détail de cette affaire de quelques secondes est resté ancré intact dans ma mémoire.

Pendant quatre jours de marche difficile, nous restâmes sans boire ni manger. Beaucoup de camarades disparurent en cours de route. Lors de notre périple à travers les lignes russes, un géant, saoul comme une barrique, m’attrapa au milieu de mes camarades et me frappa. Je crus ma dernière heure arrivée. Les gardes accompagnateurs n’osaient pas intervenir devant cette furie. Lorsque le colosse me relâcha en fin de compte, seule une touffe de mes cheveux lui resta entre les mains. Dépendant du camp de Mitau, je bossais surtout dans les kolkhozes. Un jour, souffrant de dysenterie, je fus ramené dans un hôpital civil où l’on me prodigua des soins convenables alors que je travaillai dans une ferme collectivisée distante de 60 km du camp….

 

Pendant mon semestre de captivité, je n’ai séjourné finalement que quatre semaines au camp de Tambow. Pourtant, vu le peu de temps que j’ai passé là-bas, je peux affirmer que la baraque des morts, de même que les pauvres malades que l’on voyait dépérir ainsi que les maladies insidieuses qui nous guettaient, tout cela n’était pas de nature à nous rendre optimistes. J’ai été rapatrié fin octobre 1945. » Frédéric Robert, né en 1922


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