« Le 27 juillet 1944, je suis parti à Ulm, chez les grenadiers. Début décembre 1943, affectation dans la région de Leningrad. Derniers combats sur le front, en retraitant de Leningrad vers la Courlande.

Dans mon unité, le seul Alsacien connu, René Schwin, voisin et camarade de Colmar, mourut au combat.

J’avais essayé, mais en vain, de déserter à plusieurs reprises : sauter d’un train en marche, me mutiler pour rejoindre l’arrière. Ces tentatives furent communiquées à la juridiction militaire par un soldat allemand qui m’avait dénoncé. Je fus menacé du tribunal de guerre, la sentence radicale prononcée par les juges était la peine capitale si les faits s’avéraient fondés. Il fallait désormais me montrer plus prudent dans mes confidences !

En décembre 1943, le train qui nous conduisit au front fut bombardé par l’aviation soviétique. L’attaque aérienne occasionna de nombreux blessés graves et des morts.

De janvier à début mars 1944, notre unité fut continuellement harcelée par l’artillerie, par l’aviation et les orgues-de-Staline. Notre retraite vers l’ouest s’effectua sans ravitaillement, sans repos, sans abri, sous une température voisine de – 40° C.

Ces dures conditions m’occasionnèrent une faiblesse et une fatigue extrêmes. J’éprouvais d’énormes difficultés pour marcher à cause de mes pieds gelés.
Les champs enneigés étaient parsemés de mourants et de morts dont je devais, en tant que brancardier, procéder au ramassage pendant les combats. L’angoisse et la peur face aux attaques russes, qui étaient accompagnées par les cris impressionnants des hourré, m’épouvantaient.

Je fus capturé le 3 mars 1944 près de Pleskau.

En passant dans les villages russes détruits par les arrière-gardes allemandes, des civils en colère nous menacèrent dangereusement. En chemin, l’on voyait accrochés et pendus aux poteaux téléphoniques et aux arbres des Russes que le vent balançait. Par qui furent-ils assassinés ?

Par suite des marches forcées de Pleskau jusqu’à Leningrad, les forces m’abandonnèrent. Je ne pouvais plus suivre, mes pieds étaient gelés. Deux camarades d’infortune, Ernest Leyes de Colmar et un Belge me portèrent : ils me sauvèrent la vie. La soif était encore plus insoutenable que la faim ; nous buvions l’eau stagnante dans les rigoles et mangions de la neige souillée, ramassée au bord des routes. Les gelures des mains et des pieds provoquèrent chez moi, au retour de la captivité, une perte sensorielle aux extrémités des membres et une mauvaise circulation. J’ai toujours froid (maladie de Renauld). Il me faut me réchauffer toute l’année avec une bouillotte !

J’ai été prisonnier pendant 22 mois, d’abord à Boksitogorsk, au nord de Leningrad puis à Tambow.

Dans le camp n°157 de Boksitogorsk (7 000 prisonniers), ma profession dans le domaine dentaire me facilita l’accès à l’infirmerie où je pus soigner mes camarades. Les Russes me permirent de garder mes cheveux longs.

Muté à Tambow, le chef politique, W. Fernand, un ancien camarade de Colmar, me força sur-le-champ à couper mes cheveux et, au lieu de seconder le dentiste allemand en exercice au camp, il m’assigna un travail pénible au kolkhoze. De retour au camp, on m’obligea à balayer les allées du camp. Désespéré et très affaibli, je ne pouvais plus retenir mes urines. Pourtant, nos kapos alsaciens me forcèrent avec un ami, Marbach Auguste d’Ammerschwir, à vider les latrines. C’était une punition injustifiée ; d’ailleurs, elle a entraîné la mort de maint camarade, martyrisé par nos propres compatriotes.

De tous les camps russes, celui de Tambow fut le plus éprouvant. Et tout cela parce que nos kapos, alsaciens comme nous ! se comportèrent d’une façon infâme envers leurs propres concitoyens, dans l’unique espoir de sauver leur vie, de mieux manger et de pouvoir rentrer les premiers chez eux. En se sauvant comme des rats avec le premier convoi d’août 1945, ces chefs, au lieu de rester à la barre comme de vrais capitaines, nous plongèrent dans un profond désarroi. Rapatrié le 25 novembre 1945, je n’avais plus que la peau sur les os.

A mon épouse, à ma famille, je n’ai commencé à parler de ma captivité que depuis quelques années.

Je me sentais un soldat honteux, un de ceux qu’on nommait un Tambowien, un détraqué ! Rentré de captivité comme un pestiféré, habillé en clochard, la tête rasée, barbu, affaibli à l’extrême avec mes 35 kg, galeux, infesté de vermine, je me sens encore aujourd’hui déshonoré et j’espère qu’avant de quitter pour toujours cette Terre, réparation sera faite pour moi, mais aussi pour tous mes camarades d’infortune !

De mes deux frères, l’un est mort au front, l’autre en déportation. » Kapp Edmond


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