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Schmitt René né le 26. 01. 1920 habitant Merlebach, a combattu dans le secteur de Witebsk, lieu de disparition d’Arthur Schmitt. (Ils n’ont pas de lien de parenté entre eux. Ndr) 
 
 

Avant d’aborder mon Soldatenlebenslauf (biographie militaire), j’ai à évoquer brièvement la disparition de mon jeune frère Denis. Né le 29 juillet 1928, élève de 1ère et préparant son Abitur au Gymnasium de Forbach, il se destinait à une carrière de vétérinaire. La fatalité en a décidé autrement : le 14 janvier 1944, mon frère fut récupéré dans la Flak pour servir de Luftwaffenhelfer* (aide dans la lutte anti-aérienne). Il mourut à Neuwied près de Coblence le 16 janvier 1945 au cours d’un bombardement. C’est sans doute, à seize ans et demi, le plus jeune Malgré-Nous mosellan mort pour une cause diamétralement opposée à ses convictions. 
 
*Luftwaffenhelfer (auxiliaire dans l’Armée de l’Air). Les Allemands les appelaient également Flakhelfer (auxiliaires de la défense contre avions). 
 
 
Pour faire face aux raids aériens de l’aviation alliée, Hitler jeta des adolescents dans la bataille. Placés derrière les canons des Flieger Abwehr Kanonen (Flak) ces jeunes collégiens livrèrent bataille aux bombardiers et chasseurs venus d’Angleterre. Soldats-écoliers, au lieu d’apprendre les humanismes, das Latein (latin) oder die Physik, ils apprenaient la guerre, rivés non pas sur les bancs scolaires mais derrière le viseur de la pièce de Flak de 37 mm. Wehrmacht : Départ le 21 juin 1943 : Ce jour-là, la gare de Saint-Avold accueillait plus de 600 recrues provenant du secteur du Bassin Houiller dont beaucoup de Cappel, Barst, Lachambre, Leyviller... 
 
La fanfare, martiale, défilait et les flonflons de la grosse caisse faisaient vibrer l’émotion et l’angoisse dans les poitrines de l’assistance. Le coeur gros, je partais vers l’inconnu. Débarqué à Zeitz en Saxe à l5 heures, j’étais déjà costumé à 17 heures. Les choses n’avaient pas traîné. D’emblée, le Feldwebel Hagedorn m’expédia à nouveau chez le Frisor (coiffeur) alors que je venais à peine de subir les assauts de la tondeuse capillaire chez moi. « Nennen Sie das ein Haarschnitt ? Vous appelez cela une coupe de cheveux ? » Je me retrouvais la boule à zéro. Dans la soirée, le colonel (Oberst) Brückner nous avait fait aligner au garde-à -vous. Il hurla d’entrée de jeu : « Meine Burschen, hier werden Sie geschliffen bis Ihnen das Wasser im Arsch kocht. Mes gaillards, ici vous serez dressés au point que l’eau bouillira dans vos culs ! » Cela commençait bien ! Et effectivement les recrues apprirent très vite l’abc du futur soldat et expérimentèrent douloureusement cette impitoyable formation. 
 
 
Les occupations ne manquèrent pas. Par la grâce de trois mois de rythme infernal, nous allions devenir des combattants aguerris à qui il ne manquerait plus que le baptême-de-feu. Les sempiternelles tâches se résumaient à la règle des quatre T, la fameuse Traktierung (traitement spécial) : Trimer dur, Tracasser constamment, Tourmenter à répétitions, Torturer physiquement et moralement. 
 
Les exercices s’enchaînaient à une cadence soutenue. On aurait dit que le diable en personne s’était infiltré dans le règlement teuton et ses exercices démentiels ! Dès 5 heures du matin, nous endurcissions nos corps dans l’aube fraîche. Torse nu, nous supportions des courses endiablées et des exercices physiques ou gymniques. Puis, continuaient les ablutions suivies d’un café à l’arôme perdu. Le repas de midi englobant dîner et petit-déjeuner à venir, il fallait donc tenir jusqu’au lendemain midi ! « Les Spartiates ont été élevés à la dure et leur renommée n’est plus à faire ! » hurlait notre sobre adjudant. « Ils vivaient de trois olives et d’un quignon de pain rassis. »
 
Bref, ces paroles certes flatteuses mais diététiquement bien chichement mesurées n’apaisaient pas mon estomac grognon. Je suivais comme mes camarades le mouvement du soldat pressé, en bougeotte constante. Les exercices défilaient, à n’en plus finir, et nous aussi suivions le train infernal imposé par la même occasion. La manoeuvre du masque gaz était redoutée : affublés de notre groin métallique nous courions à perdre haleine. La transpiration s’en mêlait et sous l’effet de la condensation et du manque d’air remplacés trop faiblement par la réserve d’oxygène, l’asphyxie nous guettait. Malheur au petit malin qui décalait subrepticement le masque ou dévissait la charge ! D’un geste habile, je me débrouillais pour me libérer de cet étouffement progressif sans que le gradé ne s’aperçoive de mon manège osé. Les tanks et les avions fictifs s’en mêlaient. « Panzer von links ! » vlan ! nous voilà plongeant dans le fossé. « Flieger von rechts ! » plouf ! dans la gadoue accueillante. Et il y avait intérêt à se retrouver sapé d’habits propres à 14 heures. Plus d’une fois, je fis l’impasse sur le déjeuner pour profiter du créneau libre et faire ma lessive. A midi, avant d’entrer dans le réfectoire, l’inspection des mains et des ongles en renvoyait plus d’un à l’exercice- sanction. Le sergent punissait donc ces malpropres en leur hurlant des insanités : «Ich reisse Ihnen den Arsch auf bis an den Kragen. Je vous ouvrirai le cul jusqu’au col. » Ramper, se coucher, plonger, sauter, bondir, courir, cavaler, telle était la carte de menu proposée aux malheureux punis. L’estomac criait famine. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut rien entendre et notre sergent formateur, face à notre fringale, était hélas atteint de cette infirmité auditive et prétendait que le jeûne avait sa raison d’être même en dehors du carême ! Pour avoir failli à une de nos missions de parfait troupier, nous dûmes crier : « Wir sind satt. Nous sommes rassasiés » et nous quittâmes le ventre vide le réfectoire. 
 
 

Waffen. Infanterie, tu es la plus belle de toutes les armes (unités). 
- Grau wie die Erde ist unser Kleid, Treuen Soldaten in schwerer Zeit. Notre habit a la couleur de la terre, soldats fidèles en ces jours difficiles. Je n’avais pas toujours le coeur à expectorer ces lieder martiaux même si le bienheureux Beethoven nous a laissé cette sentence : « la musique, (soldats), est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie. » Les exercices de tir prenaient beaucoup de temps dans notre cursus. La Wehrmacht savait pourquoi, nous aussi le comprîmes très vite. Je me débrouillais très bien au point que le chef de tir m’accosta : « du bist ein Wilddieb, (braconnier). Tu seras proposé comme tireur n°1 sur le front. » Il faut dire que je tapais souvent dans le mille. En fait, les cercles concentriques de la cible partaient de l’anneau extérieur 1 pour arriver au 12 parfait. Je coinçais mes cinq balles au coeur de la carte. Ayant largement satisfait aux exigences, je pouvais repartir et me reposer en chambrée. En d’autres lieux, le chant m’aurait sans doute davantage plu : ici, chanter devenait une contrainte. A peine remis de nos émotions de la journée, fallait-il s’adonner à des chants de marche à l’unisson : - Infanterie, du bist die schönste aller 
 
Les Nemrod malhabiles restaient pour parfaire leur adresse. Le fusil K 98 dégageait une ruade dans l’épaule au départ de la balle ; il fallait donc y caler adroitement la crosse avant d’appuyer sur la détente. Certains soldats, appréhendant la décharge, expédiaient leur tir sur la comète. 
 
« Du, Idiot, langohriger Hornberger Schiesser ! Du bist die Kugel nicht wert ! Espèce d’idiot, âne inexpérimenté, tu ne vaux pas la cartouche que tu viens de gaspiller.Sie, Schützen Arsch im dritten Glied ! espèce de c... au 3 ème degré ! » 
 
La Fahrkarte, en fait la cible non atteinte, obligeait donc le maladroit à recommencer les séries de tir. Pour calmer la nervosité du bleu, on lui faisait boire quatre ou cinq verres d’eau avec interdiction pour lui d’aller au petit coin. La vessie pleine devenait un supplice mais en même temps, elle soulageait la fébrilité ; les résultats s’amélioraient insensiblement sur le pas de tir. Les revues de paquetage étaient redoutées, surtout l’inspection des chaussures à clous. Gare au clou perdu ! J’échangeais volontiers mes cigarettes avec le cordonnier contre un re-cloutage parfait.
 
« Les bottes coûtent une fortune au Reich. Gare au saboteur négligent ! » L’instruction politique nous était également dispensée : on nous remplissait les poches avec le glorieux règne de mille ans, la chasse aux Juifs, l’éradication des francs-maçons. A ce sujet, nous allâmes visiter une chapelle franc-maçonnique : un catafalque, des instruments rituels exposés devaient nous instruire sur les agissements ténébreux des ennemis du Führer. « Sie müssen ausgerotet werden ! Ils doivent être éliminés » nous confia le capitaine. Les exercices de nuit avaient lieu trois fois par semaine. Nous étions à peine assoupis que le sinistre cri du « Fliegeralarm » nous éjectait de nos lits. Nous partions user les semelles dans la campagne proche ; la boussole et les balles éclairantes nous guidaient. Au retour de l’alerte, nous avions droit à une petite rallonge de sommeil. L’action continue ouvrait l’appétit. Les assiettes vidées luisaient de propreté. La soupe aux légumes, les lentilles avec des lardons étaient périodiquement au menu.
 
« Da schauen mehr Augen herein wie ‘raus ! Il y a plus d’yeux affamés qui scrutent le potage, que d’yeux de graisse qui sortent du bouillon ! » Nous eûmes un jour chacun trois pommes de terre en robe des champs. J’héritais de deux patates pourries et j’en fis la remarque au chef. « Ein gutes Schwein frisst alles ! Un bon cochon bouffe de tout. » J’étais servi... par une remarque qui vous permet de situer le plaisir sadique de notre encadrement. La période d’instruction toucha bientôt à sa fin. Les exercices répétitifs s’enchaînaient à la perfection. Eprouvés par les privations, rendus obstinés dans notre détermination à vouloir surmonter tous les périls, méprisants face aux dangers, bref, moulés à la mode prussienne, nous étions devenus bons pour le service. Le colonel nous fit parader et après l’arrêt au quart de tour, il nous abreuva de saillies indignes d’un haut gradé : « Stillstehen ! und wenn die Welt voll Fötzen hängt, hier wackelt kein Schwanz mehr ! Garde-à-vous et même si la Terre est remplie de ...., je ne veux voir aucune queue bouger ! », (plaisanterie très vulgaire pour un colonel). 
 
Vous allez bientôt partir pour le front. Sachez que mourir n’est pas une honte mais un honneur. Sterben ist keine Schande, fallen ist eine Ehre. » Pendant son discours, une mouche m’importuna et mes savantes expirations, soufflées en catimini à travers les commissures de mes lèvres, n’arrivèrent pas à la déloger de mon nez. Malgré le supplice, je me gardais de la chasser. J’étais donc bon pour le service. Désormais, je pouvais subir et endurer sans problème. J’avais sympathisé en tant que seul Mosellan avec un Luxembourgeois, Pierre Kisch. Nous nous jurâmes de descendre sur le front à la première occasion le juteux Koch, un horrible personnage qui nous avait salement affûtés. « Sie, Beutedeutschen ! Da stehen sie wie eine Sauhammelherde. Sie, Kanonenfutter ! Allemands de rapines ! Bande de p... de moutons ! chair à canon ! » Hagedorn lui aussi m’avait enquiquiné et je me misenfin à découvrir que la englische Krankheit (maladie anglaise) dont il m’affublait était une forme imagée pour me cataloguer comme tire-au -flanc et traître à la patrie. 
 
 
AU FRONT 
 
Nous mîmes 29 jours pour rallier la zone de Witebsk. Notre Grenadier Batalion 436 avait embarqué dans un train père-peinard. Deux jours d’arrêt par ci, une voie de garage par là, bref une vadrouille qui n’était pas pour me déplaire. Le wagon était confortable ; la paille nous tendait sa balle, un poêle nous réchauffait. La cuisine roulante veillait sur nos estomacs. Brest-Litovsk : arrêt obligé. Visite des boutiques. Puis le périple continua. Des mitrailleuses étaient installées sur les plates-formes. La loco poussait un wagon-tampon rempli de sable. Des sentinelles postées le long de la voie nous saluaient.
 
 

Quelle désolation le long des rails ! De part et d’autre, on avait déboisé pour des millions de RM ; des trains pour d’autres millions gisaient, éventrés, rouillés, calcinés le long du double ruban d’acier. Dans le Raum Witebsk, le transbordement se fit rapidement. Tout aussi vite, nous apprîmes à rester silencieux lors de notre montée au front. « Si vous voulez einen kalten Arsch, un derrière refroidi ! rien de plus simple, faites du bruit, histoire de vous faire repérer. Le Russe aime cela. » 
 
En file indienne, nous partîmes vers la ligne de front en ayant pris soin d’enrouler et d’envelopper tout ce qui cliquetait dans le paquetage. Je faisais désormais partie de la 11 ème Infanterie Division. Désigné tireur sur sMG, j’avais le redoutable devoir de descendre des hommes, des Russes, les pauvres diables. Quel gaspillage de vies humaines !
 
La Stavka envoyait à l’abattoir une foule d’Asiatiques, des gus costauds, aux larges carrures. Sacrifiés sur l’autel du Kremlin ! Lorsque les attaques s’enchaînaient, la pétarade mortelle issue de nos tranchées fauchait des vagues entières sans cesse renouvelées. Lorsque ma mitrailleuse, chauffée à blanc s’enrayait, il suffisait de changer d’un coup sec le Laufwechsel : la manipulation s’opérait en trois secondes et la sarabande continuait. Notre artillerie providentielle s’en mêlait.
 
Ça y est ! On venait à nouveau de calmer pour quelque temps les ardeurs ennemies. Epuisé par l’intensité du combat, je retrouvais avec plaisir la quiétude du bunker, un abri solidement aménagé avec des troncs superposés et camouflés par des mottes de terre et du gazon. Les traditionnelles parties de cartes alternaient avec le repos ; les lettres à écrire prenaient du temps et nous reliaient à la maison. Ici, pas de feu. Les repas étaient raisonnables, le pain à volonté. 

 
Un agréable Führerspakett nous arriva sans crier gare : il contenait une boîte de sardines made in France, un litre de vin, un bout de lard et une tablette de chocolat Meunier. Brave mais pas téméraire Chancelier qui pensait de si loin à ses soldats méritants ! Car oui, nous méritions du Vaterland. Ici il fallait se battre pour survivre et d’abord ne pas baisser les bras devant l’adversité. Les poux, ces redoutables petits ennemis sournois, se retrouvaient châtiés entre nos ongles revanchards.
 
Les moustiques agissaient comme d’effrontées pestes. Les marécages et le terreau leur servaient de bastions fertiles.
 
Malgré la moustiquaire, ils s’infiltraient dans les échancrures et nous décochaient leurs trompes foreuses. La gent ailée n’était pas une sinécure et le Russe en face était une grosse plaie. Il s’enhardissait et nous menait la vie impossible.
 
Il fallait le déloger à l’arme blanche des tranchées, le faire déguerpir d’une colline stratégique ou aller l’espionner. Dans ce cas, une patrouille partait tâter l’adversaire ; dans notre groupe, des soldats parlant le polonais, blottis devant la tranchée, arrivaient à comprendre des bribes de conversation et arrachaient ainsi de précieux renseignements à l’ennemi. Plus d’une fois, surpris lors du retour par une embuscade, nous dûmes ramener blessés et morts en les traînant par les pieds dans nos lignes afin de les soustraire à la fureur des Russes. 
 
La nuit, tous les chats sont gris. Erreur, je peux vous garantir que nous pouvions, en nous habituant à l’obscurité relative, distinguer les alentours, visualiser les silhouettes, reconnaître les abords de nos positions. Le ciel étoilé, la blancheur blafarde des constellations amélioraient notre vue dans la pénombre ambiante. Certains soirs, le ciel couvert estompait les contours mais notre vue s’adaptait au relief indistinct malgré les ténèbres. Même par nuit noire, j’arrivais à changer la culasse de mon canon déformée par la chaleur des tirs qui avait déréglé la sMG (Ruckstoßlader mit beweglichem Lauf und Rollen Verriegelung). D’innombrables accrochages nous opposaient. Une nuit, je me suis retrouvé face à face avec un inconnu. Chacun s’est sauvé sans demander son reste. Chaque nuit, une poignée de nos intrépides compagnons d’armes allait jeter l’inquiétude dans les lignes adverses : au retour, leur vaillance était saluée avec des effusions de joie. 
 
Les attaques, au début, nous donnaient souvent l’avantage. Nos forces étaient bien réparties. Les Russes fonçaient à découvert et la plaine était peu après jonchée de pauvres moujiks. Nos baïonnettes dardaient leurs aiguillons mortels car plus d’une fois les Russes purent s’infiltrer dans nos positions où les attendaient nos grenades à manches. L’exaltante résolution de ces adversaires impitoyables nous glaçait d’effroi et il fallait être sans faiblesse pour répondre à ces attaques hardies. « Schiscajenno Niemitzkii. Saloperie d’Allemands » hurlaient-ils. C’était bien simple : en Russie c’était d’abord ne pas se faire tuer, puis manger et boire, enfin dormir. La vie se résumait à ces actions primaires. De temps en temps, un repos nous ramenait sur notre base arrière. Alors l’épouillage était de mise tout comme la recherche de rideaux ou de chiffons pour refaire notre garde-robe en chaussettes. Mon colonel me demanda un soir, alors que je montais la garde, si j’avais été gratifié d’un second cadeau-surprise (sardines, vin, lard). Il faut reconnaître que nos gradés étaient attentifs et soucieux de notre existence. Ils vivaient avec nous, au plus près du danger. Les orgues-de-Staline étaient redoutées. « Achtung, Stalinorgel ! » Nous entendions au loin la manivelle qui les hissait à l’angle voulu sur les bases de départ des rampes. Drat, drat ! Chaque tour de manivelle faisait grincer les poulies.
 
La mise à feu débouchait sur un feu d’artifice tonitruant et la première salve arrivait soit à la queue leu leu, soit en explosions espacées. Dès le premier impact, on pouvait deviner le suivant et il fallait s’esquiver soit à gauche, soit à droite. A la grâce de Dieu ! Le but était de chercher à se terrer au plus vite et invoquer tous les saints du Ciel. Le Vendredi-Saint 1944, trois obus de mortiers m’encadrèrent et crevèrent à 50 cm de mon trou. Le sol meuble avait pu neutraliser et étouffer leurs éclats. Le lieutenant m’alerta pour que je m’enfonce davantage dans mon terrier, le reflet du soleil brillant trop sur mon casque avait attiré le regard de l’ennemi comme la limaille sur l’aimant. Devant une assemblée recueillie, l’après-midi, un Feldgeistlicher, un aumônier, m’administra la Sainte communion en pleine H.K .L (Hauptkampflinie) à 150 mètres des premières positions du coriace Yvan. Je rendis grâce à Dieu pour sa protection. 
 
Les jours se suivaient, misérables. Aucune permission ne venait alléger mon séjour. Je croupissais dans les tranchées, de simples trous d’hommes éparpillés à l’entour, sans grand renfort de barbelés. On nous avait appris à creuser nos trous d’homme étirés à la façon d’un P majuscule. Si, pour notre malheur, un T. 34 venait à nous repérer, il était vital de s’esquiver par le couloir latéral (en laissant le mastodonte s’épuiser sur la cavité abandonnée). Sinon on courait le risque de se faire écrabouiller par le monstre dans une souricière sans porte de sortie. Les actes désespérés de nos assaillants sans cesse à l’attaque nous faisaient comprendre quel caractère furieux allait prendre la lutte finale. Parmi nous, des irréductibles croyaient encore aux armes miracles. « Keine Angst, der Führer hat geheime Waffen. Er schafft’s ! Aucune crainte, le Führer dispose d’armes stratégiques. Il va arriver à s’en sortir. » 
 
BATAILLE DE WITEBSK  
 
Vers la mi-juin 1944, le Russe activa ses tirs d’artillerie. Il ne faisait plus de doute que la bataille allait bientôt faire rage. Le 1 er Front de la Baltique fourbissait ses armes contre notre 3 ème Panzer-Armee : munitions, armes, renforts montaient en ligne. A nous, on nous demandait simplement de remonter au beau fixe notre moral, seule arme à opposer aux véloces brigades de chars et aux marées humaines ennemies. Witebsk, la superbe forteresse, défiait l’armada russe avec nos poitrines insolentes. La ceinture fortifiée nous paraissait être un solide rempart pour arrêter les vagues d’assaut. L’offensive d’été allait cependant nous laminer dès le 21 juin 1944. Les orgues-de-Staline égrenèrent leurs salves mortelles sur nos partitions. Nos "pauvres notes noires" parsemaient les lignes du front. Les avions nous asticotèrent, tels une nuée d’affreux vautours planant sans arrêt à nos trousses. On se défendit comme des furies en première ligne ; l’étau se resserrait jour après jour. Les Rouski nous poursuivaient : ce fut la débandade en des lieux inconnus, au sein de plaines sans nom, loin de la civilisation mais au milieu des traquenards partisans. Les norias de tanks et les escadrilles d’avions russes pilonnaient nos lignes de défense établies en hérisson.
 
Les contre-attaques s’épuisaient devant notre détermination : j’ai vu mon adjudant s’avancer hardiment avec un Panzerfaust (lance-fusée antichar) puis viser avec application le tank. La boule de feu fit mouche. La sortie de la flamme du tube m’épargna. Un de nos frères d’armes fut blessé par une balle de mitrailleuse tirée d’un avion. « Kameraden, emmenez-moi », gémissait-il . La cohue des gens débandés ignora son état. La vision de cet être abandonné me poursuit encore aujourd’hui, La retraite fut catastrophique. La Rollbahn si savamment réalisée en troncs d’arbres servait maintenant aux coups de boutoir des tanks russes qui profitaient de la chaussée aménagée en filant rapidement dessus au point de rattraper notre arrière-garde. Durant la percée des Russes im Raume Orcha le 24 juin 1944, j’ai assisté à l’exécution de trois personnes : deux civils russes terroristes dans les maquis, la trentaine environ, et un sous-lieutenant (Leutnant) de la Wehrmacht âgé de 24 ans. Cette exécution a été perpétrée par un Hauptsturmführer S.S. de la Division Sepp Dietrich. Installés sur un tank, tous les trois ont été déséquilibrés par le démarrage de l’engin et se sont retrouvés pendus à la grosse branche d’un arbre-potence. L’officier S.S. avait mis un carton autour du cou du jeune Leutnant.
La craie blanche tracée révélait : « Wegen Feigheit vor dem Feinde starb er für Führer, Volk und Vaterland. Par lâcheté devant l’ennemi, il mourut pour le Führer, le peuple et la patrie. » 
 
« Unsere Truppen haben sich planmässig auf neuen vorbereiten Stellungen abgesetzt, wobei der Feind schwere Verluste erlitt. Nos troupes se sont retirées méthodiquement sur des positions déjà aménagées et l’ennemi a subi de cruelles pertes. » Certes, la radio disait vrai, mais elle oubliait de préciser que c’était aussi la catastrophe pour nos troupes qui prenaient la dégelée royale !
 
On nous regroupait dans des unités nouvelles et en avant ! Un matin, cachés dans un champ de maïs, nous vîmes six avions faire des cartons dans nos rangs. Le sixième appareil volait à 20 mètres de moi, je l’avais en point de mire. « Je le descends, fis-je à l’adjudant. - Non, non, malheureux, les cinq autres vont s’en rendre compte et nous réduire en charpie. Regarde par ailleurs devant toi, des T 34 se pointent. Je vais m’en occuper. »
 
En deux enjambées, il grimpa sur le monstre, dégoupilla une grenade et s’aplatit dans le fossé au moment de l’explosion. Son geste venait de sauver notre section. Nous reculions devant la marée. Bloqué dans un bombardement, je me cachais au fin fond d’une cave. Un Panzerzug, un train blindé, flambait sous l’estocade des bombes ; les bâtiments des alentours brûlaient. Tout n’était que rougeoiement d’incendies. Après l’alerte, je bondis d’horreur en voyant que je m’étais planqué sur descaisses à munitions. Tout au long de cette retraite, nous fûmes sans arrêt exposés aux attaques soutenues des Ivans. La faim nous égarait, nous vivions comme du bétail. Les partisans russes avaient empoisonné les puits. Il me restait à éprouver une méthode inculquée par mon père, soldat du Kaiser, pour boire de l’eau. Je m’accroupissais au bord d’un fossé et je lampais à travers un mouchoir l’eau ainsi filtrée. 
 
Début janvier 1945, j’étais au bord de l’inanition. Malgré le danger encouru, j’entrai dans une isba russe. Je fis du troc. Du sucre et du sel que j’avais chapardés me garantirent au retour douze oeufs (eika) et un bloc de lard. J’en fis une omelette record que j’engloutis sans problème. D’ailleurs il n’était plus question de s’embarrasser de provisions inutiles. Etait-on maître de son destin ? Il fallait manger au hasard de la fortune et ne pas s’entraver de poids inutiles. La survie était à ce prix. Les positions étaient perdues, regagnées puis reperdues. D’effroyables mêlées s’ensuivaient. Les vapeurs de poudre brûlaient les yeux ; l’épaisse fumée annonçait encore et toujours des obus russes. 

 Nos canons Pak 8,8 tiraient maintenant à tir rasant dans la mer grouillante. Les chars Tigre, embossés dans des redoutes en terre par manque de carburant, lâchaient à vue leurs bordées sur la nuée de tanks. Ils succombaient sous le nombre. Viele Hunde sind des Hasen’s Tod. A la fin, le lièvre est rattrapé par le nombre de chiens. A Francfort an der Oder, le sang stagnait dans les fossés. On se retrancha bientôt à Wittenberg an der Elbe, célèbre piton sur lequel est érigée la chapelle qui accueillit Martin Luther, moine frappé d’excommunication et mis au ban de l’empire en 1521, lors de querelles de religion. L’attaque donna finalement l’avantage aux Soviétiques. « Vite, filez ! » Par les fenêtres, par les escaliers, nous déguerpîmes des lieux historiques, les balles russes aux trousses. Un jeune lieutenant nous réunit. « Ich suche freiwillige Soldaten.... Je cherche des volontaires pour sauver du pillage et du viol vos soeurs, les femmes allemandes, livrées en pâture à l’ignominie bestiale de nos ennemis.
 
Qui m’aime, me suive ! » Lassés, écoeurés, nous ne bougeâmes pas. En pleurant, le gradé arracha ses épaulettes. Nous le laissâmes en sanglots. La retraite en ordre dispersée jetait pêle-mêle les troupes désorganisées sur les routes surpeuplées de fuyards. Des colonnes entières de civils cherchaient à se sauver des griffes russes. Finalement, alors que nous longeâmes un barrage, des soldats américains nous firent prisonniers. Je fus surpris de constater au petit matin que nos vainqueurs étaient des Noirs, la nuit ne les ayant pas fait distinguer des autres fantassins yankee. Nous fûmes regroupés à plus de 75 000 dans un immense champ à 80 km au sud de Naumburg an der Saale. C’était un 30 avril. Ce jour-là, pour savourer le suicide de Hitler, le commandant du camp nous fit rassembler et dit : « Gare aux émeutes. An das Hungern seid Ihr ja gewöhnt, ihr Schweine. Sales porcs ! La faim, vous la connaissez ! » 
 
Durant trois jours, il ne fit rien distribuer. On m’a dit que ce gradé U.S. était juif et qu’il tenait à prendre sa revanche sur le soldat allemand. Etant Lorrain, je pensais bénéficier de la clémence des vainqueurs. On n’eut aucun égard pour moi. Souffrir de la faim est un supplice, mais manquer d’eau est le plus cruel des châtiments. « Une goutte d’eau pour un royaume ! » Les dysentériques mouraient par dizaines, faute d’eau. Je fus contraint de boire mon urine refroidie ; cette 
dernière extrémité, je la devais à des gens dits civilisés ! Par la suite, la situation s’améliora un tant soit peu. Je dormis dehors par tous les temps. Des heures durant, j’attendais, posté en rangs par deux, la distribution de nourriture : le corned-beef quotidien pour deux et un litre d’eau. Tel était notre régime. Il n’y eut pas de pain durant ces cinq mois de détention. La guerre bestiale m’a fait comprendre que l’homme est un loup pour l’homme, quel que soit le degré de 
civilisation dont il se targue. Je porte profondément incrustés en moi les stigmates de cette longue épreuve. 

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