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Loth Court †, un camarade de Lang Marcel.

 « Je passe rapidement sur mon R.A .D . effectué à Untereisenbach, non loin de la frontière luxembourgeoise. Néanmoins, l’un et l’autre souvenir à l’emporte-pièce me reviennent à l’esprit. La formation, les exercices concouraient progressivement à accélérer notre embrigadement. Un dimanche, j’ai été puni de sortie dominicale lors d’une visite de mes parents pour avoir chahuté avec d’autres copains de chambrée. Il nous arrivait d’aller nous restaurer à Vianden ; les cafetiers avaient vite sympathisé avec les conscrits mosellans et nous mitonnèrent quelques plats délicieux.

Surveillance des voies ferrées et chasse aux partisans.

J’ai atterri à Koenigsberg à la Stammkp. Gre. Erst. Btl 23 puis je fus vite muté dans le régiment 206 affecté à la surveillance des voies ferrées, en retrait du front certes, mais dans un coin infesté de partisans. J’ai donc séjourné avec quelques camarades (Lang Marcel, Wilmes François) dans le secteur de Gorodišče. Nous y avons connu une période exécrable : il fallait combiner exercices et services à la chaîne après les patrouilles de nuit. La nourriture était misérable, littéralement nous crevions de faim.

Il n’y avait qu’un pain pour trois, le Stubälteste (l’ancien) découpait en dés le beurre. Chacun de nous poussait des hurlements de colère car le couteau de l’intéressé dérapait souvent en découpant des cubes imparfaits, ce dont il profitait pour mieux «se beurrer» au passage. On nous octroyait encore une cuillère de Schmalz (saindoux). Tous ces aliments étaient engloutis dans la foulée, le soir même au moment de la distribution. Ce n’est que le lendemain à midi que nous recevions la 2 ème et dernière fournée de la journée. L’infâme brouet, pareil à de l’éponge, où surnageaient des légumes et de maigres rognures de viande, n’arrivait pas à apaiser notre faim.

Il y avait bien les paquetons de 100 grammes envoyés par les parents mais qui, en vérité, calmaient bien peu nos gargouillis plaintifs ; souvent ces paquets étaient éventrés et fouillés. Nous ayant fait passer une visite médicale, l’Oberartzt (médecin-chef) dressa un rapport sévère sur l’état inquiétant des jeunes recrues mal nourries et amaigries. Nous eûmes alors un régime mieux approprié et qui tenait compte des besoins énergétiques de notre organisme. Il y eut des doubles rations, de la saucisse en plus grande quantité.

Malgré cette amélioration, je me plaisais à me régaler avec un camarade de Merlebach, le nommé H. Ses parents lui faisaient parvenir du lard dans un Kilopackett. Lorsque nous étions de repos tous les deux, nous nous faisions des régalades du tonnerre avec les pommes-de-terre déterrées dans les champs. Pour savourer notre délicatesse, nous astiquions au préalable le cendrier du poêle et les lardons émincés plaqués sur la tôle chaude apportaient un fumet inoubliable à nos patates rôties. A la Frontzulage (solde spéciale) de 40 Marks, s’ajoutait mensuellement un paquet rempli de petites gâteries (Marketenderware). Contre du pain, je troquais schnaps et cigarettes qu’un Obergefreiter (caporal-chef) attendait avec impatience. La faim est un mauvais hôte car j’étais avec d’autres soldats à la recherche constante de nourriture tout comme nos gradés. Autant le sergent chez qui j’avais été affecté pour soigner mes blessures au pied et me requinquer m’apparaissait prodigue, autant nos officiers étaient sans coeur.

Le sous-officier me rétribuait avec du pain après le nettoyage de sa chambre et chose incroyable, me gratifia un jour d’une belle ration de marmelade. Je lui rapportais, par ailleurs, son lait que j’allais chercher au village. Il préparait dans sa cambuse son délicieux pudding dont je pouvais apprécier de loin la consistance crémeuse mais dont je ne pus jamais m’approcher pour en prélever quelques cuillerées. L’envie ne me manquait pas ! Plus ingrats étaient nos officiers qui nous envoyaient «butiner» chez l’habitant. Les poules, les jambonneaux étaient réclamés avec force ; les gens donnaient volontiers... par peur des conséquences en cas de refus.

Nous ramenions triomphants nos prises de guerre qui finissaient, bien entendu, rôties et croustillantes, sur la table de nos chefs lesquels n’eurent jamais le geste de l’amphitryon à notre égard. L’obsession de manquer de nourriture et la sensation pénible du crève-la-faim me poursuivaient et comme tous mes camarades, il m’arrivait d’aller jusqu’à Minsk faire du marché noir et échanger mes Marks contre de la margarine ! Après la faim, la garde était notre second sujet de mécontentement.

Par trois, nous partions vadrouiller le long de la voie ferrée pour la prémunir contre les attaques et les attentats. Promenade dangereuse, nous le savions ! Les nuits calmes répercutaient au loin le martèlement de nos bottes ; les pieds frigorifiés dans les Gummistiffel (bottes) demandaient grâce. Nous nous arrêtions alors, ou plutôt nous nous étalions comme des sacs par terre.

Planqués au milieu des taillis longeant la double voie ferrée, l’un et l’autre du trio tombaient aussitôt en somnolence, abrutis par la vie démentielle encaissée. Il n’était surtout pas question de dormir à poings fermés : avec le froid vif qui nous congelait, il en fallait des mouvements, lors de la mise en jambes, pour activer la circulation dans nos membres engourdis.

Pour passer le temps, nous fumions. Streng verboten ! cette pratique risquée était strictement interdite. Mais une ingénieuse méthode nous le permettait : nous introduisions notre mégot par un petit trou creusé dans un carton ayant contenu des cartouches : le procédé ainsi conçu en occultait toute luminescence. Les nuits étaient très courtes en été. Il fallait donc redoubler de prudence car l’activité des saboteurs y était plus forte. La vie dans notre bunker était peu avenante. Nous n’y passions que peu de temps, accaparés par les gardes et les exercices tout-terrain que nous faisions jour et nuit. Il fallait veiller à ne pas se faire voler sa maigre réserve de nourriture lors des absences ; les tubercules, par exemple, étaient soigneusement planqués dans le Strohsack 1/4 (matelas de paille).

Tout comme les poux planqués dans les coutures, les punaises collées aux avant-bras n’arrêtaient pas de nous piquer. Les manteaux étaient infestés par ces gracieux hétéroptères et à chaque patrouille les bestioles changeaient de propriétaires car nous héritions des habits fourrés et chauds portés précédemment pour aller à notre tour affronter la terreur de la nuit. Je me rappelle l’image désopilante d’un malgré-nous slovène se tortillant l’échine contre un poteau pour écraser l’indésirable vermine.

Pistage sans succès des partisans.

 

Lors de chaque ratissage, on nous demandait de vérifier une dernière fois notre léger paquetage : toile de tente roulée en boudin, gamelle garnie pêle-mêle (avec beurre et pâté), musette avec de petits effets personnels, fusil Mauser à l’épaule. Et nous voilà à nouveau partis pour ratisser une forêt supposée contenir des banderovitchi, des éléments subversifs russo-polonais. Arrivés sans encombres à l’orée d’un bois, nous attendions le coup de sifflet pour filer dénicher les rebelles cachés dans les taillis et fourrés. Séparés par des intervalles de 20 à 30 mètres et avançant sur une ligne, malgré les broussailles, nous maintenions le contact rapproché. Lorsqu’une pétarade avait lieu, même au loin car amplifiée par l’écho, nous avions nos sens en alerte ; nous avancions plus lentement avec, comme abri, un arbre à portée de main au cas où les balles fuseraient du sous-bois. Après avoir mangé sur le pouce, nous passions l’après-midi à arpenter la forêt calamiteuse de bouleaux touffus.

Et lorsque la pluie s’installait, l’eau dégoulinait de partout et nous mouillait piteusement. Malgré une vigilance assidue et des investigations rigoureuses, l’oiseau disparaissait sans laisser de traces. Avec la pénombre et le brouillard qui s’installaient progressivement, il fallait songer à rejoindre le point de ralliement. Nous étions pleinement rassurés lorsque nous entendions les discussions de nos camarades déjà installés à l’emplacement d’une clairière, endroit convenu avec les chefs de section respectifs au départ de la traque. Les camions arrivaient bientôt pour nous ramener au camp. Le sens de la solidarité entre Mosellans était exemplaire. Je donnais à chaque ronde mon pull-over à mon ami H.

Le froid était si transperçant qu’il fallait se rembourrer pour affronter la bise glaciale des steppes. Hélas, j’ai retrouvé un matin mon regretté ami dans mon pull-over lacéré, écrasé en pleine tempête de neige par un train que les rebelles avaient volontairement fourvoyé sur la contre-voie en inversant les aiguillages, sans doute pour provoquer un choc frontal entre des convois militaires. Marchant sur les traverses de façon à voir venir à lui tout train roulant dans le sens normal du code ferroviaire, mon camarade fut fauché avec ses deux camarades sans qu’il pût esquisser la moindre esquive ! Dans notre camp, on gardait des prisonniers, des Terroristen (terminologie employée pour désigner les partisans) qui étaient séquestrés et qui devaient effectuer des travaux souvent pénibles.

Lorsque des villageois biélorusses étaient réquisitionnés pour dégager les voies, ils venaient nourrir en cachette leurs compatriotes arrêtés. D’un oeil clément, nous laissions souvent faire. Personnellement, je savais ce que le mot faim voulait dire ! J’ai emprunté la Rollbahn pour aller me faire extraire une dent cariée. Le malheureux dentiste était submergé par les multiples extractions qu’il devait effectuer.

Il administrait une piqûre à la chaîne à une fournée de dix hommes et partait vite arracher les dents aux dix autres patients déjà piqués chez qui l’anesthésie avait fait son effet. Un vrai travail, comme sur des roulettes ! «Au suivant !» hurlait-il . Il eut un peu plus de travail avec ma molaire et se coucha sur moi pour en venir à bout. En attendant le départ vers mon cantonnement, je profitai d’une séance au Front Theater pour me dérider. Puis nous fûmes véhiculés vers l’arrière, mais sur une courte distance.

Stop ! Quel ne fût mon désappointement de voir s’arrêter le véhicule sur un Sammelplatz (lieu de rassemblement). Le chauffeur décréta ne plus vouloir rouler, redoutant l’activité nocturne des maquisards. Que faire ? J’entrepris à pied le trajet retour. Je ne le ferais sans doute plus aujourd’hui ! L’inconscience et ma jeunesse m’enhardissaient. Une simple balle aurait suffi à me rayer de l’effectif. J’arrivai sain et sauf à notre Stützpunkt. «Wer da ? Qui est là ? » me fit la sentinelle en armant la culasse de son fusil.

La planque !

Au bout de neuf mois de ces vadrouilles à risque, je retournai à Allenstein, base de notre garnison. Les Mosellans étaient privés de permissions. Grâce à un certificat médical établi par le docteur Namur, je pus rentrer au pays. Mon père était effectivement bien malade, il mourra en 1945. Une lettre d’intercession accompagnait cette demande de permission exceptionnelle (Sonderurlaub) dans laquelle un membre influent du parti local affirmait que nous étions des gens politiquement sans histoire. Ce double sésame me permit de revoir ma famille. Je profitai peu après d’un autre vrai congé cette fois, mais je pris bien soin de ne pas le crier sur les toits de la caserne. 2/4 Allenstein était un camp bien humain. Le vieux major paradait sur son canasson et nous avait à la bonne.

Etant le seul Lorrain du quartier, il m’avait exempté de manoeuvres ! Mon seul travail consistait à faire la chambre du Feldwebel (adjudant). Je m’éclipsais souvent et partais ronfler sur le châlit du 3 ème étage où la planque était royale. J’ai même pu bénéficier d’une double ration alimentaire pour soigner mes problèmes d’ulcères. L’adjudant comptait m’emmener en Italie. - Sofort, tout de suite, lui répliquai-je car aucun d’entre nous, avouez-le, mon adjudant, ne souhaiterait affronter la horde russe.»

En fait, en mon for intérieur, je désirais profiter de mon séjour transalpin pour déserter. Manque de chance ! Au moment de l’affectation, on se rendit compte que ma place était ailleurs et que mon régiment avait, voilà plus de trois mois, cinglé vers Narva, dans le golfe de Finlande. In Null komma nix, en un rien de temps, je retrouvai mon unité. Le manger là-bas était apprécié et notre bunker bien tenu. Mais, comme toutes les bonnes choses, cela prit trop vite fin à mon goût et face aux attaques soviétiques qui grignotaient les positions établies dans les pays baltes, nous voilà obligés de partir renforcer les lignes de défense autour de Dünabourg, en effectuant soit à pied soit en autobus cette retraite épique. Lang Marcel faisait partie de la colonne.

L’Ostfront, le front de l’Est.

Nous étions assoiffés en arpentant les routes poussiéreuses de l’Ostfront. Plus d’un puits fut asséché par les langues pendantes des fantassins allemands peinant sous leurs équipements. C’est là-bas que j’ai vécu les affres de l’existence en combats rapprochés étalés sur plusieurs semaines de retraite. Je manifestais peu d’entrain pour aller au contact direct avec l’ennemi. Mon sergent menaça de me tuer sur place (abknallen) si je ne montrais pas plus de mordant guerrier.

C’était une situation bien confuse où, à tour de rôle, on avançait pour réoccuper la position perdue puis il fallait vite reculer sous les coups d’assommoir des orgues-de-Staline. Une fois les lieux investis on devait songer d’abord à sauver sa peau sur place. Nos renforts rappliquaient pour combler les vides ; on pouvait d’un moment à l’autre s’attendre à une contre-attaque russe. Pour désorganiser les bases de l’adversaire, les shrapnells allemands fusaient alors au-dessus de nos têtes.

Puis, un ou deux de nos canons automoteurs rameutaient quelques hommes. L’espoir revenait. Pour combien de temps ? Nous creusions en un rien de temps un large trou pouvant accueillir deux hommes lorsque nous étions bloqués par la marche en avant. Les obus arrivaient en miaulant et criblaient l’espace autour de nous comme une passoire. Les victimes, horriblement mutilées, étaient nombreuses de part et d’autre. Ce spectacle continuel me donnait la nausée : nous avons, un jour, chargé un camion entier de dépouilles de nos malheureux compagnons décimés par une pluie d’obus tombés dans la forêt. Quand un Trommelfeuer s’abattait sur notre secteur, nos genoux tremblaient encore une heure après, à cause des énormes vibrations martelées dans le sol. Il fallait dans ces cas-là, creuser avec les ongles, à défaut d’une pelle- bêche, un rapide gîte pour s’y fourrer. Les tirs de mortier n’étaient pas de reste. Pendant que l’un des hommes montait la garde dans le trou, l’autre s’y reposait et vice-versa. Les premières salves d’artillerie étaient terrifiantes ; après on s’habituait à leur rythme soutenu. Tout ce qui était humain se planquait au sol, cherchait un trou pour s’y terrer ou se l’aménager telle une taupe mécanique avec sa pelle de campagne. Dans le bruit infernal de ce tohu-bohu où tout était pulvérisé, mitraillé, désagrégé, on fermait les yeux, on se ratatinait dans son terrier parfois comblé par les projections de mottes.

Les explosions s’enchaînaient interminables et les déflagrations cisaillaient, perforaient, éventraient la chair humaine. Lorsque le silence s’installait enfin parmi les carcasses rougeoyantes des véhicules incendiés, un spectacle insoutenable crevait nos yeux de rescapés. Dans le chaos poussiéreux et irrespirable, on distinguait d’abord des formes vagues, de la ferraille tordue, des arbres calcinés, puis sous l’effet des cris de terreur et d’épouvante des éclopés et des mourants, les hommes ressuscitaient de l’enfer vécu.

Certains, incrédules, s’époussetaient, regardaient à l’entour, contemplaient le spectacle et réalisaient qu’ils étaient encore en vie. Autour d’eux, le drame à échelle réelle était là, les brancardiers s’activaient, les camarades secouraient la misère entre les cadavres épars. Le carnage avait de nouveau été réussi ! Les blessés gigotaient, se traînaient et hurlaient de douleur avec leurs bras arrachés, leurs moignons sanguinolents ou leurs yeux crevés. Certains avaient brûlé vif, leurs morceaux calcinés traînaient sur le champ de bataille. D’autres agonisaient. Impuissants, nous les consolions du bout des lèvres car notre pensée était ailleurs et vagabondait vers d’autres cieux plus cléments. Comment sortir de ce piège mortel et revenir vivant à la maison ? Le hourré des Russes me glaçait d’effroi. Outre la chair de poule, j’avais l’impression de sentir mes cheveux se dresser sous le casque d’acier. Au cours d’une retraite en pleine nuit noire, je me suis retrouvé devant une ombre pointant sur moi son fusil. Devait-elle tirer ? devais-je tirer ? Etait-ce un Russe ? Etait-ce un ami ? Devait-on s’entretuer comme faux-frères ? Aucun de nous deux ne s’amusa à parler, c’était se trahir, dévoiler sa nationalité et risquer la mort.

Chacun prit ses jambes à son cou. Dès le début de ces combats, Marcel Lang fut porté disparu. Planqué dans le Stützpunkt (point fortifié), notre lieutenant qui faisait le fier-à -bras à l’époque des partisans et qui nous houspillait alors continuellement, tremblait maintenant de tous ses membres lors des attaques. Cloîtré dans le fortin, le fanfaron qui avait su nous tourmenter afin de faire de nous des combattants de l’extrême. A l’abri de la fournaise infernale, il cherchait constamment l’asile sécuritaire, loin du danger. Ce n’était pas au goût du sergent qui disait à qui voulait l’entendre que seule une balle allemande devait avoir raison de ce lâche 3/4 matamore. L’atmosphère était effroyable ; un matin, je retrouvai non loin de moi, le cadavre d’un soldat allemand poignardé durant son sommeil.

Les Russes étaient donc tout proches de nos positions. Je ne tenais pas à mourir pour la moustache cirée d’Adolf. Alors, à chaque moment délicat, je hélais mon sergent : « Faut-il que j’aille chercher du soutien ? - o ui, mon gars, hurlait-il . Wo bleiben sie denn ? Mais où restent-ils donc (les renforts) ? Nous étions obligés de maintenir fermement les positions lorsqu’une percée russe se dessinait. De l’arrière, rappliquaient rapidement un ou deux tanks chargés de grappes humaines. Les appuis bienvenus colmataient alors la brèche, mais parfois l’attente salvatrice durait une éternité. Je profitais donc de l’inquiétude de notre sergent pour filer à l’arrière et rameuter dare-dare les précieux secours. Mon échappatoire n’était pas innocente mais non dénuée de danger car je menais ma mission sous les tirs ennemis. Notre situation empirait sans cesse, car la nuit nous renvoyait en écho les vrombissements des lourdes remorques russes dégorgeant sur le sol, par milliers, les obus réservés pour nous dès le lendemain. En effet, l’orage de feu arrivait impitoyable et réglé comme un métronome tous les matins.

Les flashes éblouissants des explosions perçaient les volutes de fumée noires et nauséabondes. L’odeur de la poudre brûlée s’en mêlait. Le canardement était continu durant une heure. L’accalmie arrivant, notre secteur nous apparaissait inconnu, labouré par d’énormes entonnoirs espacés comme un damier lunaire. Le cri des blessés et des mutilés nous transperçait les cœurs. La guerre horrible était à mes côtés ; je basculais chaque jour dans l’enfer brute. Cela ne pouvait plus durer comme ça. Une seule pensée me poursuivait : comment m’échapper de ce Sau Krieg, de cette p... de guerre ? Pendant un assaut russe, je m’étais à nouveau proposé pour ramener de la rescousse. Je fus alors blessé sérieusement à la main par l’éclat d’un obus de mortier, je présume. Avec ma main gauche lacérée je filai à l’arrière, me sentant au plus mal sous la douleur. J’y rencontrai un copain prussien, heureux de compatir à mon sort. «Eh bien ! Tu t’en tires à bon compte ! » me sourit-il .

Lui-même était myope et si je le retrouvais planqué à l’arrière à cet instant, c’est que le filou avait profité à nouveau pour casser ses lunettes et resquiller. Plus d’une fois d’ailleurs et sans me gêner, je lui avais fait part de mon intention de déserter et de filer chez les Russes. «Tu es fou», me disait-il, «le Russe ne fait pas de prisonniers. Lieber Tod, mieux vaut être mort dans ce cas ! » gémissait-il, bien abattu. Lors de notre station debout dans les trous, le bonhomme, assez rondouillard tombait dans un sommeil si profond que mes coups de poings et de pieds ne le réveillaient plus. Il fallait que je lui hurle dans les oreilles «der Ivan» pour qu’il bondisse aussitôt sur son fusil. Rien de tel qu’une blague pour le remettre sur pieds ! Mais ma vision comique se dissipa vite car, sous l’effet de la douleur qui me fit subitement revenir à la réalité, je partis à la recherche d’une infirmerie. Je la dénichai bientôt. C’était une grande salle dans laquelle l’horreur était à son comble. Les blessés geignaient fort, les mourants râlaient. Le chirurgien sciait à vif les membres en lambeaux. J’ai encore la vision devant moi d’un malheureux avec la cage thoracique perforée et les yeux remplis de détresse. Une piqûre administrée de part en part dans ma main calma la douleur et permit au chirurgien d’extraire l’éclat.

Une barre de chocolat me sembla être la bienvenue, sembla l’être, car je me retrouvai je ne sais plus comment dans un lit. Le lendemain, un autobus ramena les blessés à Riga. Les hôtels réquisitionnés abritaient des milliers d’infirmes et d’éclopés installés dans les couloirs. Les blessés légers, vite remis sur pied, étaient réexpédiés dans l’enfer. Tout le secteur autour de Riga venait d’être encerclé. Un navire-hôpital devait nous transférer vers la Prusse- Orientale, mais comme la presqu’île d’Oesel avait été récemment investie par les Russes qui envoyaient par le fond tous les bâtiments qui cherchaient à s’échapper par la mer, c’est un avion Junker qui nous ramena vers Intersbourg. Mon baptême de l’air s’effectua sur le plancher de la carlingue où dix camarades s’entassaient dans la paille.

De là, je fus transféré à Niemes en Tchécoslovaquie. Mon lit était installé dans une école. J’appris par la radio clandestine (dont j’étais arrivé à capter subrepticement les émissions) que Metz allait bientôt être libérée par les Américains. Je n’eus plus qu’une idée en tête, filer. Je réclamai donc à cor et à cri une permission de convalescence (Genesungsurlaub). Le Spiess (l’adjudant) n’était pas très chaud pour laisser partir un Sarrois. J’avais en effet inventé une adresse fictive au 19, Hermann Goeringstrasse à Grossrosseln. Mais, à force de persuasion et de sollicitation, il finit par me laisser partir.

J’embarquai, je dépassai Sarrebruck et me retrouvai devant Forbach, arrêté par la Feldgendarmerie. L’un des policiers s’avança avec une lampe de poche dans le compartiment, me demanda le Soldbuch (livret militaire). Je me levai, bien inquiet. Dans la pénombre, je profitai pour me rasseoir tandis que, lui, contrôlait et examinait les autres livrets. - Et toi, où est ton Ausweis ? m’apostropha-t-il. - Je viens de le montrer à votre collègue ! » L’alerte avait été chaude. Je passai mes deux semaines de congé chez moi puis je plongeai dans la clandestinité en notre cave. Les Américains approchaient et je pus bientôt aller au devant d’eux. Je devins l’un de leurs rares supplétifs, car beaucoup d’évadés croyant à leurs paroles apaisantes furent transférés vers le camp de Cherbourg. Von Rundstedt ayant lancé son offensive dans les Ardennes, la panique s’installa dans le bassin houiller et voilà nos Boys rappelés en renfort vers Bastogne. Heureusement, l’avancée des Tiger tourna court ! Sinon j’aurais pu être fusillé comme déserteur par les Allemands s’ils étaient revenus.


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